Après plus d’un an de procédures entre la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, ses investigations et observations, la rédaction de son rapport et son envoi à la justice, le travail acharné de la police chargée des crimes économiques et financiers, le dossier de la corruption, dont on commençait à désespérer, refait surface. Et pas n’importe quel jour ! Un Mardi gras, tant la cueillette est bonne. L’ex-président Ould Abdel Aziz, deux anciens Premiers ministres, des ex-ministres, des hauts fonctionnaires et des hommes d’affaires sont de nouveau convoqués ; mais cette fois devant la justice. Ils passeront tous durant trois longues journées entre les fourches caudines du procureur de Nouakchott-Ouest et d’un pool de juges chargés de la lutte contre la corruption. Comme à son habitude, Ould Abdel Aziz est resté muet comme une carpe, se prévalant de l’article 93 de la Constitution qui lui garantirait l’immunité pour tout acte commis dans l’exercice de ses fonctions. Ce qui n’a pas empêché le procureur de l’inculper pour dix chefs d’accusation ; notamment : blanchiment d’argent, corruption, enrichissement illicite, octroi d’avantages indus et obstruction au déroulement de la justice (excusez du peu !). Il écope d’un contrôle judiciaire renforcé à l’instar de douze autres prévenus, en l’attente de leur procès. Le bon sens aurait voulu qu’ils aillent tous dormir dans la citadelle du silence. D’autres sont allés en prison pour beaucoup moins que ça mais la justice a parfois ses raisons que la raison ignore. Pour amortir le choc et charger sans doute un peu plus la mule, le procureur a donné certains détails croustillants qui donnent une idée de l’ampleur de la prévarication dont a été victime le pays au cours de la dernière décennie. Ould Abdel Aziz avait pourtant fait de la lutte contre la gabegie son principal cheval de bataille. Une gabegie sélective, apparemment. Vingt-neuf milliards d’anciennes ouguiyas ont en effet été saisis dans ses comptes et neuf autres dans ceux de son beau-fils. Sans compter les terrains nus, les villas, les voitures, les camions, les citernes, le matériel de BTP et les comptes à l’étranger. Une véritable caverne d’Ali Baba qui n’en finit pas de nous surprendre. Quoique nous n’ayons cessé de le répéter : le pays était en coupe réglée. Rien n’a échappé à la boulimie de ce clan vorace. Jamais dans notre histoire, un Président n’a fait preuve d’autant de cupidité, se permettant de reconnaitre ouvertement qu’il est immensément riche et que sa fortune continuera à croître. Une déclaration pour le moins osée. Il ne pensait sans doute pas, à ce moment-là, que celui qui fut son alter ego irait jusqu’à fouiner dans son patrimoine. Oubliant sans doute qu’il s’était emporté, un jour dans l’une des déclarations tonitruantes dont il avait le secret, à asséner que l’ère de l’impunité était révolue et qu’on ne pouvait pas continuer à piller ce pauvre pays sans avoir à rendre comptes. Il ne croyait pas si bien dire… Toutes proportions gardées, il faut tout de même le reconnaître : malgré des faits accablants et aussi bizarre que cela puisse paraître, des hommes d’affaires et de hauts responsables sont passés entre les mailles du filet, quand d’autres ont été inculpés pour des faits moins graves. Comment des dossiers d’une extrême gravité, comme la liquidation de l’ENER et de la SONIMEX, ont-ils pu passer par pertes et profits ? Certes, tout comme la stricte application, en Mauritanie, du code de la route réduirait à néant la circulation des automobiles et, partant, les affaires, on aurait à préserver un certain nombre d’affairistes « compétents » pour éviter un tel dépérissement. Le « deux poids, deux mesures »serait-il donc… mesuré ? On se souviendra, ici, que le « Mardi gras », chez les chrétiens, est suivi, dès le lendemain, par le « Mercredi des cendres » ouvrant le Carême où tout un chacun est tenu de « manger maigre »…
Ahmed Ould Cheikh