La vie était très simple en notre petite ville. Toutes les familles se connaissaient. Nous étions les enfants de tout le monde. Nous pouvions manger chez n’importe qui… et être tout autant utilisés aux corvées de n’importe qui. Les fêtes des Aïd El Fitr et El Adha (« la Grande Journée » comme on l’appelait chez nous) faisaient l’objet d’incontournables rituels. Après la prière, les enfants couraient de maisons en maisons, réclamant « Ndewné » (un mot d’origine wolof), un petit cadeau sonnant et trébuchant que les plus grands offraient – offrent encore – à ces heureuses occasions. Les amis se retrouvaient par groupes d’âge chez l’un d’entre eux pour passer la journée ensemble. Ils recouraient alors à une pratique qui encourage la solidarité sociale, le « Tegdah » : chacun amène son repas et l’on se retrouve ainsi devant un très varié menu, liant le plus passable au plus succulent. Ces délicieux moments de dégustations amicales menaient toujours au « Dgiro » où l’on s’échangeait de mains en mains et à qui mieux-mieux les repas, dans les plus grandes confusions et bousculades possibles qui ne finissaient jamais qu’en éclats de rires, commentaires blagueurs et taquineries mutuelles. Le soir, aux environs de dix-huit heures, les hommes et les femmes sortaient, parés de leurs plus beaux habits, en quelque visite d’amis ou à la grand-place pour assister au tam-tam animé par les célèbres cantatrices feue Jbaba mint Imigine, la mère de notre ami Aliyène ould M’beirik ou feue Mbeïrka mint Yarg du quartier des Ehel Gda’ami. Je revois encore certaines de nos mamans ou papas marquer fièrement les pas de danse, lancer un cri d’allégresse ou une « tberbira », signes tangibles de l’émouvante festivité du moment. Beaucoup de noms défilent dans ma tête, me rappelant combien simple était la vie. Combien n’étions-nous, tout simplement, que des Alégois et qu’on s’en suffisait. Les gens de ma génération n’ont pas connu Mohamed ould Vatte, le chef de la cité d’Aleg. Réputé très sage, il habitait juste en face de l’ancienne mosquée de la ville où officiait feu Sidi ould El Waqf, un grand érudit qui fut remplacé à l’imamat par son frère feu Mohamed Abdallahi ould El Waqf, le père de mon frère et ami de classe feu Barham ould El Waqf décédé malheureusement dans le crash de l’avion de Tidjikdja le vendredi 1er Juillet 1994. Élève particulièrement brillant, Barham devint professeur d’arabe. Tout aussi arbitrairement dans le réveil de mes souvenirs, je pense à quelques excellentes femmes comme feues Vatimetou mint Breike, la maman des Ehel Dembe Fèye (Faye) ou Maville mint M’beyarek, une femme très imposante et incontournable, épouse d’un homme tout aussi extraordinaire, feu Abdou ould Sambe Vall, l’adorable Dah, un des premiers infirmiers de la ville et de ses alentours. Il y avait aussi feu Aminetou mint El Ghassem, la spécialiste des louanges au Prophète (PBL) auxquelles elle consacrait pratiquement chaque soir un grand cérémonial où affluaient tous les gens de son quartier et de ceux environnants. Qui ne se souvient du croustillant pain de feu Ethmane Diewp (Ousmane Diop) qu’avait amené à Aleg un autre maître-boulanger, feu M’baye Guèye, le père d’Aminetou dite Amy Touty, ma sœur et promotionnaire, et de mon grand frère Habib ? Feu Ousmane avaient beaucoup d’apprentis : entre autres, Abdallahi ould Yarg, feus Oumar ould Saly et Zeiguem devenus plus tard chauffeurs ; Jiddou et Ramdane restés, eux, fidèles aux enseignements de leur défunt maître en devenant à leur tour maîtres boulangers... Leurs miches ont souvent la texture, parfois la saveur, inégalable, de celles de leur maître dont la réputation dépassa les frontières de la ville jusqu’aux confins des brousses et campements. Il faut dire que si tous les Alégois en raffolaient, les broussards, dont certains venaient spécialement en ville pour y goûter, en étaient de véritables fans. Il y avait bien sûr d’autres boulangers comme feu Beïbe ou feue El Avia mint Anwella et ses fils Brahim et Moustapha. Cette brave femme symbolisait la franchise. Qui d’entre de mes amis et moi-même pourrait oublier sa radio plein volume accrochée à l’épaule, perforant l’horizon d’une cassette de Lehreïr chantant, tube sur tube, des louanges au Prophète (PBL) ? Tout à côté du pain d’Ethmane Diop, voici les beignets de feue Mariye, son adorable épouse et très grande amie de feue ma mère. Comme les pains de son mari, c’étaient de véritables « petits bijoux » que se disputaient, l’eau à la bouche, non seulement les petits écoliers à la récréation devant la cour de leurs écoles mais aussi toutes les usagers du marché, manœuvres et boutiquiers de la ville. Et voilà encore feu Youba Thiam, un « groumani », appellation locale du wolof ! Ce commerçant à la taille imposante tenait également une boulangerie qui négociait gommes arabiques et céréales. Je le revois allongé, le soir, sur son lit pliant, distribuant des bonbons aux enfants du quartier... (À suivre).
Soucieux de moderniser Nouakchott et d’en faire une ville un tant soit peu viable, le gouvernement a décidé de débloquer cinquante milliards d’ouguiyas MRO. Plusieurs départements ministériels sont concernés par cette mise à niveau dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle a tardé.