Dans un ultime hommage intitulé " Souvenirs de Moustapha ould Bedredine’’, le regretté Mohamed Yehdih ould Breideleil raconte l'histoire fascinante d'un grand combat qui remonte à l'aube des indépendances.
Ce combat, dont il a été le témoin précoce fut, dans, son essence, nationaliste arabe ou africain, avant d'être national voire international pour certains courants de pensée.
A vrai dire, on oublie souvent ou on feint d’oublier, sans doute à cause de la douloureuse déchirure qui a séparé une certaine élite mauritanienne que l'insurrection qui avait permis, en termes d’idées, d'accélérer la décolonisation était, au total, une aspiration à la résurrection des identités culturelles meurtries.
C’est, en tout cas dans ce sens que s'inscrivit la littérature abondante de l'éminent écrivain qui nous a habitués par une dense production intellectuelle, à éclairer les divers horizons avec les lanternes de sa riche expérience et de sa profonde connaissance d’un passé bien compliqué.
Le style, c’est l’homme
Au niveau du style, ne dit-on pas que l'homme, c'est le style ? Mohamed Yehdih avait cette belle manière de faire promener, par son génie dialectique, les esprits cultivés, dans un magnifique jardin d'idées généreuses qui donnent envie de chanter, en chœur, le temps des cerises.
Au fond, la littérature abondante et instructive de l’intellectuel engagé qu’il fut aura été l’une des principales, si ce n’est pas la principale approche visant à unifier ce qu’il est convenu d’appeler, dans le jargon approximatif des politiciens, ‘’ les mouvements idéologiques ‘’.
Qui d’entre les anciens ou nouveaux adeptes de l’arabité ou de la négritude, de l’islamisme, du gauchisme marxisant ou du libéralisme à visage social, n’a pas lu, quelque part, entre les lignes du Maitre, une pensée attribuée à l’une de ses idoles ?
En réalité, le Maitre ou ‘’ Al ustadh ‘’ a toujours fait usage, dans ses beaux articles, de ce don magique qui lui est propre, pour faire défiler, par une rhétorique de la Tolérance, les figures de Nasser, Michel Aflaq, Georges Habache, Nkrumah, Lumumba, Mohamed Abdou, Mao Tse Toung pour les intégrer dans une idéologie nationale alliant l’éloge du Jihad de Cheikh Ma Al Ainine à celui de la sagesse de l’Ijtiihad de Baba ould Cheikh Sidiya et de l’endurance de Al Hadj Omar Tall.
Il y avait dans sa pensée écrite, donc ayant une force probante, cette obsession de synthétiser la diversité culturelle de notre pays et dans ce sens il était à l'aise en parlant de l'intérêt de notre peuple, toutes composantes confondues. L'action politique était pour lui, à travers ses écrits, un enjeu national.
C’est, seulement, aujourd’hui, après sa disparition que les esprits bien-pensants pourraient comprendre ce qu’il avait écrit pour enseigner, par la haute culture, que la confrontation de leurs idées constitue, au final, la meilleure façon de vivre ensemble et que la contradiction principale, comme dirait Mao, est celle qui les oppose à ceux qui n’ont pas d’idées.
Sur le terrain ou, disons-le, du point de vue de la praxis, Mohamed Yehdih fut le " leader idéologique" qui a été le plus embastillé.
C'est, d'ailleurs, pourquoi ses avocats n'ont pas eu du mal à décrire, avec précision, les sacrifices qu'il avait consentis, pour faire avancer l'idée même de la liberté dans notre pays.
Aussi, l'hommage unanime qui lui a été consacré par ceux qui produisent les idées et en font leur vocation naturelle n'est-il guère surprenant. Il conviendrait, néanmoins, de noter celui des figures devenues classiques de la contestation radicale, avec une mention spéciale de la grandeur distinguée dont Monsieur Thiam Samba a fait preuve.
Combats communs
Il m'arrive, souvent, de me demander comment j'ai pu échapper, dans ma jeunesse à l'embrigadement de la chapelle idéologique du leader historique du Baath. Je me souviens, en effet avoir lu "l'opinion de Baghdad " avant " le cri de l'opprimé’’. En outre, une intime relation de type quasi parental me lie avec la famille Breideleil. Mais je me suis, assez tôt, abonné à une chapelle concurrente à la sienne. Pourtant cette concurrence, parfois déloyale, n'excluait pas des combats communs comme ceux que nous avons engagés, ensemble contre l'esclavage ou dans le cadre du mouvement national du volontariat quand il était question que les baathistes, les Nasséristes et les Kadihines MND, s'unissent dans un front patriotique.
Je faisais, alors, partie des jeunes qui avaient au tout début des années 80, la pelle à la main, répondu à l'appel des " forces progressistes " en vue d'aider les masses affamées des bidonvilles.
Une décennie plus tard, après avoir pris mes distances avec le militantisme " idéologique crypto maoïste ", je me suis retrouvé au sein de la nébuleuse qui devait, plus tard engendrer le PRDS, dans le même camp politique que celui du leader historique du Baath.
En effet, au lendemain du déclenchement du processus démocratique en 1991, je me suis engagé dans le groupe " Ribat " animé par l'ex baathiste tendance trotskiste Chbih Cheikh Ma Al Ainine, lequel entendait alors apporter un soutien critique au régime militaire en place et qui a récemment rejoint " la Coalition Vivre Ensemble " de Kane Hamidou Baba.
C'est dire que l'engagement politique n’est jamais fondé sur une science exacte et que de nombreux combattants issus des différentes confréries idéologiques se sont séparés sur le chemin du pouvoir de l'imagination, lequel passe, forcément, par le débat d'idées.
C’est, précisément, sur ce terrain que nous avons appris à découvrir les grands combattants dont le dernier vient de disparaître…