« Il est des morts qui rendent immortels », avait hurlé de rage un chantre vietnamien dont le cœur brûlait d’amour pour sa patrie agressée et meurtrie. Transposant cette célèbre formule, on peut dire que les enseignements de Mohamed Yehdhih ould Breïdeleïl contre l’injustice et la corruption dans son pays l’ont rendu immortel dans la mémoire d’une certaine jeunesse mauritanienne en mal d’espérance.
Passionnée par ses analyses sur la décadence morale et la mauvaise gouvernance en Mauritanie, il incarnait et incarnera toujours, à leurs yeux, Saladin le preux, notre Roland du monde musulman. C’était un homme de fer qui prêchait la liberté de penser, la haine de la corruption et des corrompus. Chaque fois que je lisais ses écrits bourrés de souvenirs et d’émotions, c’est personnellement avec avidité que j’en dévorais les lignes, sans jamais reprendre haleine. Tous ceux qui l’ont connu, lors de passionnés débats, ont gardé de lui un souvenir ébloui.
Reprendre pas à pas son parcours de combattant dans une Mauritanie assujettie au régime usurpateur des galonnés n’est pas chose facile, tant il y aurait à dire. Nous nous contenterons donc ici de diverses généralités. À commencer par la plus simple : Décédé le mercredi 13 Janvier 2021 à Nouakchott, Mohamed Yehdhih ould Breïdeleïl naquit en 1944 dans la Badia de l’Inchiri. C’est donc à l’âge de 77 ans, onze cycles de sept, qu’il a cessé de scintiller. Après Soumeïdae le baroudeur, Diagana l’intrépide, Yahya ould Oumar le frondeur, Moustapha ould Bedredine le vétéran, la génération postcoloniale perd une autre de ses idoles, tel un astéroïde filant et éblouissant qui s’éteint au loin dans l’espace.
Sphinx
Comme un sphinx posant des questions auxquelles nul ne peut assurément répondre, il me demanda un jour, lors d’un débat houleux, si je savais ce qu’était le Baath.« Un nationalisme arabe d’obédience syrienne », répondis-je. « Non », me dit-il,« c’est une opposition à tout nationalisme étroit et chauvin, qu’il soit arabe ou africain. Nous sommes des progressistes, pas des arrivistes ».
« Du communisme (made in arabic) », lui répliquai-je avec ironie. « Mais non », me reprit-il encore. « Le Baath serait plutôt proche du socialisme scientifique (version arabe), mais à mille miles du communisme athée. Nous ne sommes pas des athées. Nous sommes déistes. Et d’ailleurs, le communisme, ça n’existe plus ».
Mohamed Yehdhih et moi sommes, non seulement, très proches parents mais, aussi, promotionnaires. Nous pensions cependant différemment. Partant parfois des mêmes données, nous arrivions à des résultats différents. J’avais d’ailleurs récemment exprimé des réserves sur ses hommages à feu Moustapha ould Bedredine. Mais la bonne foi y était, comme toujours, et c’est l’essentiel.
La tromperie
Sur son implication en 1978 avec le régime militaire d’exception, c’est seulement après coup, me dit-il plus tard, qu’il avait compris que les militaires ne partiraient plus jamais et n’accepteraient pour rien au monde de lâcher le fauteuil présidentiel. Leurs déclarations d’arrêter la guerre, instaurer la démocratie et réintégrer leurs casernes dans un délai de cinq ans au maximum n’étaient que bluff et tromperie. Alors le phare de l’avenir des jeunes érudits hantés par l’histoire et le désarroi de toute une génération clama haut et fort que ces gens-là ne cherchaient pas à construire le pays. Il s’en suivit, pour lui et ses compagnons, des assignations, arrestations à répétition, détentions et jugements sous presque tous les régimes militaires successifs.
Une mémoire prodigieuse
Mohamed Yehdhih avait une excellente mémoire. Exemple avec le simple fait divers qui suit. « Te souviens-tu de monsieur Mille, notre professeur de maths au Collège Xavier Coppolani de Rosso ? », me demanda-t-il un jour. « Bien sûr », répondis-je, « un excellent professeur ! » Et Mohamed de me rafraîchir la mémoire, à moi qui avait oublié jusqu’aux noms de nos condisciples, on parlait tout de même d’une anecdote de la fin des années cinquante du siècle passé, il y a de cela plus de soixante ans. « Monsieur Mille avait parfois une drôle de façon de remettre les copies corrigées. Ça se passait toujours le matin, comme un petit déjeuner. Il commençait toujours par les zéros : Oumar S., zéro ; Halima B., zéro ; Khadaja mint…, zéro ; etc., etc. » Je fus pris de fou-rire, comme l’aurait été tout celui qui connut ces élèves.
Cela dit, c’est notre héros de la cause des opprimés, Mohamed Yehdhih, le battant qui plaida, toute sa vie durant, contre le parti des voleurs et des escrocs, pour une Mauritanie prospère et juste, que je veux ici surtout honorer. Repose en paix, Mohamed Yehdhih, que la bénédiction d’Allah le Tout-Puissant t’accompagne jusqu’en Son saint Paradis, amine.
Lehbib Bourdid