Administrateur des régies financières et titulaire d’une maitrise en droit des affaires, Abdoul Kane est un ancien fonctionnaire de la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO) et de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA).
Cet Expert Consultant en Commerce & Intégration régionale qui a occupé, pendant quatre ans, le poste de secrétaire général du Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés (CCME) est à la retraite depuis 5 ans.
Le Calame : Vous êtes membres du Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés (CCME) qui bouge beaucoup ces derniers temps. Pouvez-vous nous expliquer brièvement les objectifs de cette structure et pourquoi ces activités tout azimut ? Combien de cadres elle rassemble?
M. Abdoul Kane : Le Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés -CCME est né de la volonté de quelques-uns de nos ressortissants de mettre en place un cadre formel de concertation, de réflexion et de proposition, afin de faire contribuer ce segment de notre diaspora à la marche du Pays vers le progrès, un développement économique et social inclusif, et le renforcement de l’unité nationale.
Les objectifs du Collectif sont pluriels. On en citera notamment la participation aux efforts de « …développement de la Mauritanie, par une mise à contribution de l'expertise multisectorielle de ses membres ; le développement de plaidoyers pour la consolidation de l’unité nationale, la justice économique et l’équité sociale ; ou encore la promotion de partenariats avec les différents acteurs nationaux -au premier rang desquels le Gouvernement, mais aussi les organisations politiques et de la société civile engagées pour le développement du pays…».
Pourquoi ces activités tous azimuts ? Je ne sais pas s’il en est ainsi. Disons plus simplement que le Collectif a démarré ses activités en 2014, et déploie depuis lors des initiatives à un rythme soutenu pour la réalisation des objectifs qu’il s’est fixé. Il a aussi acquis en visibilité, en raison à la fois (i) de la pertinence de son action par rapport aux enjeux qui sont ceux du Pays, et (ii) d’une plus grande interaction avec les décideurs et les autres acteurs nationaux, interaction qui s’est traduite entre autres par la production de notes de réflexion et d’analyse, suivie de conférences-débats sur nos défis de développement.
En termes de membership, le CCME avoisine présentement la centaine de membres, experts de haut niveau, dans divers domaines de la vie active : médecine, enseignement supérieur & recherche scientifique, TIC, Banque & Finance, fonction publique internationale, économie, environnement, expertise conseil, ingénierie…etc. Et c’est un membership qui reste ouvert à tout moment, à tous les mauritaniens de ce segment de notre diaspora.
En décembre dernier, le CCME a organisé une réunion portant sur l’emploi. Que représente cette thématique pour votre organisation? Qu’avez –vous préconisé au Gouvernement pour l’emploi des jeunes ?
L’emploi des jeunes est d’une importance capitale pour l’essor d’un pays en développement comme le nôtre. Qui dit ‘Jeune’ dit force de travail -donc facteur de production, et qui dit ‘Emploi décent’ dit ‘principal levier de redistribution des richesses’ dans une économie.
En Mauritanie, les jeunes représentent environ le tiers de la population. Or, nos statistiques montrent un taux de chômage de l’ordre de 60% chez les moins de 35 ans, corollaire d’un décrochage scolaire quasi endémique ; 45% des enfants scolarisés qui n’arrivent pas au baccalauréat, et un taux de réussite à cet examen oscillant autour de 10% ces dernières années. Il est difficile de trouver un défi de développement aussi important. Et il n’y a pas de réponse toute faite face à une telle problématique. L’apport du CCME a porté à la fois (i) sur le diagnostic -notamment le constat d’un lourd déficit en compétence cognitive, généré par les lacunes de notre système éducatif- et (ii) sur les pistes de réflexion et d’action pour des réponses pérennes au problème posé. L’une des solutions préconisées par le CCME est -parallèlement à une réforme efficiente du système éducatif-, la mise en place d’un dispositif territorialement déconcentré de formations professionnelles courtes, ciblant les décrochés scolaires, et répondant aux besoins réels du marché du travail.
Quel est le poids de la diaspora mauritanienne dans l’économie mauritanienne ? A-t-on une idée du volume de ses transferts d’argent aujourd’hui ? A votre avis, ces apports financiers sont-ils bien gérés ?
Pour les chiffres, il serait plus avisé de se référer aux statistiques officielles (ONS, BCM), pour estimer le poids réel de notre diaspora sur notre économie, notamment en termes de transferts des migrants. Cela dit, il est de grande notoriété que dans les régions sud et sud-est du pays, la plupart des ménages dépend desdits transferts pour leurs besoins primaires quotidiens : se nourrir, se vêtir, se soigner et -de plus en plus- avoir un habitat décent. Il s’agit donc principalement d’apports pour la subsistance, mais n’oublions pas que la consommation des ménages fait partie des principaux moteurs de croissance de l’économie. Autrement dit, l’apport financier de notre diaspora pour notre économie est réel. Il serait davantage optimisé si nous produisions une plus grande part de nos besoins en consommation courante.
Depuis quelques années, les cadres de la diaspora étaient confrontés aux problèmes du double nationalité, de l’enrôlement ... Où en êtes-vous avec ces questions?
Les problèmes de double nationalité ou d’enrôlement ne sont pas spécifiques aux Cadres de notre diaspora, mais à la diaspora mauritanienne dans son ensemble. Vous noterez du reste que le problème de l’enrôlement est partagé avec d’autres mauritaniens, qui eux n’ont encore jamais quitté le pays. Ce sont donc des problématiques qui concernent un grand nombre de nos concitoyens, et qui font partie intégrante des nombreux défis que nous avons en matière de gouvernance. Vu sous cet angle, le CCME est prédisposé à développer des plaidoyers avec les autres composantes de notre diaspora et avec tous les acteurs nationaux, pour la mise en œuvre de solutions idoines et transparentes -comme cela se fait dans beaucoup d’autres pays de notre région, et de par le monde. L’action du CCME dans ce domaine ne s’inscrirait donc pas dans la recherche d’une solution spécifique pour ceux de ses membres qui pourraient être concernés.
L’immigration clandestine constitue une véritable préoccupation aussi bien pour les pays de départ que pour les pays de chute. S’agit-il d’une force ou d’une faiblesse pour l’Afrique ? Que faire pour endiguer les flots auxquels on assiste depuis quelques années?
Comme vous le dites, l’immigration clandestine est une préoccupation pour tout le monde – pays de départ, pays de transit et pays de destination. Cela ne peut donc pas constituer une force pour l’Afrique qui voit ses enfants partir ainsi à l’aventure –et pour nombre d’entre eux pour un voyage sans retour. C’est un constat qui interroge tout à la fois nos politiques de développement, nos systèmes éducatifs, la gouvernance de nos Etats, le rôle de nos élites, nos références culturelles et sociétales. Les ‘boat-peoples’, c’était il y a quelques décennies, trois ou quatre seulement. Aujourd’hui, c’est un lointain souvenir pour tous les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Il y a là des enseignements à tirer pour les pays africains. Et en tout état de cause, le pari d’une gouvernance vertueuse est –et restera au cœur de toutes les problématiques de développement, ici comme ailleurs.
Les conséquences économiques de la pandémie de la COVID 19 ont remis sur le tapis la question de la dette africaine. Dans ses discours, le président Ghazwani, président en exercice du G5 Sahel a réclamé l’annulation de celle du G5 Sahel. Qu’en pensez-vous ?
La pandémie du Covid-19 a ‘remis sur le tapis’ -comme vous dites- beaucoup de postulats, beaucoup de certitudes, beaucoup de postures, y compris chez les principaux acteurs de l’économie mondiale. L’endettement public et les déficits budgétaires ont ‘explosé’ partout dans le monde pour faire face aux situations d’urgence. Des solidarités se sont créées ou se sont renforcées à l’échelle des collectivités, des Etats et des Continents. Le moratoire sur la dette accordé aux pays les plus pauvres dans le cadre du G20 s’est inscrit dans cette dynamique d’ensemble, pour permettre à nos Etats d’avoir quelques marges budgétaires et faire face à l’urgence. Seulement, la pandémie est encore là, avec de multiples effets dépressifs sur l’activité économique et les capacités de résilience des populations. Les pays développés ne sont pas épargnés non plus. Alors, un plaidoyer pour l’annulation de la dette a certes sa pertinence, surtout dans le contexte des pays du G5 Sahel, en proie depuis bientôt une décennie à une crise sécuritaire sans précédent. Pour autant, à l’échelle du Continent, négocier et obtenir un moratoire plus long -de 3 à 5 ans- nous semblerait être l’approche la plus réaliste au problème posé, celle qui responsabilise davantage nos gouvernants et nos élites.
Propos recueillis par Dalay Lam