Le gouvernement mauritanien a fait approuver par l’Assemblée nationale une loi sur les associations, fondations et réseaux. Le texte a été voté le 11 Janvier dernier. Composé de soixante-douze articles qui définissent l’association, les règles régissant sa fondation, ses engagements et les cas éventuels de suspension de ses activités et de sa dissolution, ce texte entend mettre de l’ordre dans la pléthore de nos associations. Ce qui avait poussé feu le directeur du Calame, Habib ould Mahfoudh à parler d’« associations-cartables ».
Mais la loi va-t-elle mettre de l’ordre… ou accentuer le désordre ? Les associations de la Société civile ont poussé comme des champignons dans les années 90. C’était la course au récépissé, perçu comme une espèce de sésame à subventions, aides et autres appuis. Pour pouvoir « octroyer des marchés » à leurs proches et amis, les responsables d’ONG ou projets de l’État les encourageaient à se constituer en associations. C’était très facile. Le financement se retrouvait ordinairement partagé entre le président de l’association et le responsable du projet bien au fait des mécanismes de suivi-évaluation. Corruption à grande échelle... S’engager à mettre de l’ordre dans cette fourmilière est une bonne chose. Pourvu que les mécanismes de contrôle et de suivi ne suivent cette corruption et que les nombreuses organisations ne mutent pas comme la COVID 19 : Les Mauritaniens sont très forts en matière de contournement de textes !
Le nouveau texte abroge et remplace la loi 64.098 du 9 Juin 1964 relative aux associations ainsi que ses modifications ultérieures. Il se conforme désormais à l’esprit de la Constitution du 20 Juillet 1991 modifiée. Parmi les innovations, on peut noter l’introduction du système déclaratif en lieu et place de l’autorisation préalable, le renforcement du contrôle, les voies de recours en cas d’abus de pouvoir, une réglementation complète sur les régimes de nullité, de suspension et de dissolution des associations. Il permet également à celles-ci de bénéficier, bien évidemment sous certaines conditions, d’appuis techniques publics, privés et étrangers ; notamment pour les associations signataires d’accord–cadre et accord de siège avec l’État.
Les associations étaient jusque là soumises à une autorisation de l’Administration, c’est-à-dire du ministère de l’Intérieur dont les services pouvaient, sans la refuser expressément, laisser les dossiers pourrir dans leurs tiroirs, s’octroyant ainsi la possibilité de sévir en cas d’activités organisées par des associations en attente de récépissé. L’« appartenance à une association non autorisée » ou participation à « manifestation non autorisée » furent souvent brandies par les autorités administratives et les forces de l’ordre pour interdire et disperser un rassemblement public. Certaines organisations comme « Touche pas à a Nationalité » (TPMN) et « Initiative pour la Résurgence de Mouvement Abolitionniste » (IRA) en ont fait les frais.
Une avancée
On comprend donc qu’elles se soient réjouies, par la voix de leur président, respectivement Dia Alassane et Biram Dah Abeid, de l’adoption de ladite nouvelle loi. Selon maître Mine Abdoullah, président de l’association « Publiez ce que vous payez » (PCVP), ce texte constitue une avancée qui devrait améliorer le fonctionnement de la Société civile, élément essentiel de tout État de droit. Pour autant que ces associations assument véritablement leur mission : constituer un contre-pouvoir, moyen de pression et voix des sans voix ; et non des outils pour s’enrichir.
La députée Kadiata Malick Diallo reste, elle, très prudente, pour ne pas dire sceptique. Car l’Administration détient toujours le droit d’autoriser ou non les manifestations des associations, restreignant ainsi leur liberté d’expression. Cette crainte a d’ailleurs été exprimée par les députés lors de la discussion du texte. Ils ont voté les amendements apportés par la commission de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense, sur les articles 2, 9, 10, 23, et 30 du projet de loi, visant, dans l’ensemble, à préciser davantage le contenu de ces dispositions. Parmi les points soulevés par les représentants du peuple, on note ainsi :
- la possibilité pour le gouvernement de retirer le projet en vue de l’améliorer et d’approfondir la concertation avec les acteurs du champ associatif afin de l’adapter aux exigences d’une société civile opérant dans un État démocratique ;
- la problématique des conditions et exigences en matière d’organisation requises par le texte et la dichotomie entre ceux qui y voient un excès préjudiciable vidant la loi de sa substance et ceux, au contraire, qui estiment qu’elle encourage les véritables associations travaillant avec sérieux et constitue un mécanisme approprié contre la dilution de l’action associative ;
- l’éventualité de voir certains concepts et expressions trop vagues (les coutumes, la haine, la menace de l’ordre public, etc.) interprétées de manière à restreindre la liberté d’action des organisations de la société civile ;
- la nécessité de veiller à professionnaliser davantage l’action associative, de l’éloigner de la politique et de ne pas lier les procédures d’application du présent projet de loi aux textes réglementaires qui pourraient porter atteinte à la marge de liberté dont disposent les associations.
DL