Au milieu et à la fin des années 70, les vacances ne dépassaient pas les mois de Juillet, Août et Septembre. L’école ouvrait ordinairement ses portes le premier Octobre de chaque année. Un rituel auquel tous les écoliers du pays étaient habitués. En 72 et 73, j’étais encore très petit, je devais avoir entre 6 et 7 ans. Je me rappelle pourtant diverses scènes qui m’ont marqué, comme la traque de plusieurs jeunes, garçons et filles, menée par les gendarmes de la brigade locale. J’appris plus tard qu’il s’agissait de Kadihines, un mouvement très populaire à Aleg et autour duquel se racontaient toutes sortes d’histoires. Chaque dimanche, je m’en souviens également, un gendarme sillonnait les rues de notre petite ville en clamant un bruyant « Balyé ! » signifiant à ses habitants de balayer leur quartier, sous peine de sanctions. La gendarmerie était pratiquement la seule autorité régulatrice des rapports entre les citoyens. Elle suivait les prix chez les commerçants, les bouchers et les boulangers. Ceux d’entre eux qui élevaient les prix au-delà des seuils prévus par l’administration étaient passibles de « Laman », intéressante déformation du français « amende » à l’instar de bien d’autres comme celle qu’énonçait feue ma mère quand un quidam partait se plaindre d’un autre à la brigade : il est parti le « calmer », disait-elle.
Au début des années 70, Aleg était certainement parmi les villes les plus infestées par les moustiques : des animaux en mouraient. Une réputation qui lui est restée collée et autour de laquelle une tripotée de croustillantes anecdotes se racontent dans toute la Mauritanie. Pour se prémunir de ces moustiques, on veillait jusqu’au petit matin. Certains grands partaient nager sous les ponts (grand Pont, petit Pont, pont Podor ou pont J’daa, entre autres) construits vers les années cinquante par la société SOCOTRAM (Société de construction de travaux en Mauritanie). D’autres préféraient passer la nuit à trotter sur les ânes et parcourir la ville de quartier en quartier, au risque de se faire traquer, des heures durant, par un ou deux agents de la petite patrouille de gendarmerie. Ses « chevaucheurs » d’ânes souvent volés passaient par Tayba, Goural, Teydoumet Ejeych, Dieb, Nbeyne El Ker’ane, El Ve’r’e et même parfois jusqu’ Badély ou Dewara. Les plus jeunes garçons jouaient fréquemment à « Samori » : on se partageait en deux groupes ; l’un partait se cacher, l’autre le cherchait. Cela pouvait durer des heures. Parfois, les recherchés convenaient entre eux de rentrer tous dormir à demeure, laissant leurs poursuivants se fatiguer dans une quête sans aucune chance d’aboutir. Le soir, on se retrouvait entre amis par groupes d’âge. C’était le temps des clubs. Les « Toks », par exemple, étaient nés en 1958 et environs. Il y avait celui des « Santos », ceux de « La Fureur », de « La Havane » ou de « La Fusée »… Des noms dont la connotation historique était évidente. Dans mon quartier, les boutiques n’étaient pas nombreuses : à peine trois à quatre. La plus proche de chez moi, c’était celle de feu Ahmed ould M’beirik, le père de mon ami Aliyène. Feus Ahmed ould M’beyrik, Belkhaïr et Moktar ould Anwella réputé pour son excellent méchoui étaient les trois terreurs des enfants du quartier : certains doivent encore porter au dos les traces de leurs terribles lacets. Gare aux durs de tête, aux petits insolents ou à tout celui qui commettait la moindre incartade ! Il y avait aussi la boutique de feu Mohamed Lemine ould Boubou, le père de l’ex-ministre Khadjettou et de son grand frère Isselmou. À quelques mètres de la mosquée, se tenait la boutique de feu Nehah ould Didi ould Tajeddine, le frère du banquier Isselmou et père de mon ami Mohamedi, réputé par sa disponibilité à aider tous les gens du quartier, derrière son comptoir généralement assis à côté de la merveilleuse et aimable feue Nea’ma Mint Bouhamady. Les boutiquiers vendaient essentiellement du sucre et du thé. Il y avait aussi les biscuits et les arachides. Celles qui ‘’marchaient’’ le plus avaient dans leurs rayons les lampes tempêtes, leurs verres et leurs mèches, quelques pièces de tissu généralement du Popeline ou un autre tissu à l’appellation peu décente ou encore un fut contenant de l’huile. Il y avait aussi d’autres petits objets usuels comme les lames, les aiguilles, les rasoirs, les fils, les cordes généralement du ‘’Chmandiver’’, des chaussures plastiques ….La boutique Ehel Hamoud était le magasin principal, le grossiste chez qui se ravitaillaient les petits détaillants. C’est devant lui que les camions en provenance de Nouakchott via Rosso stationnaient pour débarquer quelques marchandises avant de continuer vers d’autres destinations. (A suivre)