À Rosso, nous logions dans la maison des Ehel Hamza, sise au quartier de l’Escale, juste à quelques encablures de l’École 1 où nous étions scolarisés. Les quotidiens de toutes les écoles nationales se ressemblaient. Chaque matin les rangs devant chaque classe avant d’y rentrer. À l’époque, l’école, c’était quelque chose et gare à celui qui venait sans avoir appris ses leçons de la veille ! Un temps où le « Par quatre » dissuadait petits et grands élèves d’entreprendre quoi que ce soit avant d’être certains d’avoir bien maîtrisé les tables de multiplication et les problèmes de Jean Auriol ou du Calcul Quotidien, les règles de grammaire, d’orthographe et de conjugaison généralement inspirées du Bled ou des « Dix mille verbes », les récitations ordinairement tirées, en CM1 et CM2, des fables de la Fontaine, comme « Le laboureur et ses enfants », « Le loup et l’agneau » ou «Le corbeau et le renard ». Je m’en souviens encore de ces élèves récitant à tue-tête : « Travaillez, prenez de la peine : c’est le fond qui manque le moins » ; « Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, fit venir ses enfants, leur parla sans témoins » ou encore « La raison du plus fort est toujours la meilleure : nous l’allons montrer tout à l’heure. Un agneau se désaltérait dans le courant d’une onde pure » [..] « Maître Corbeau sur un arbre perché tenait en son bec un fromage. Maître Renard par l’odeur alléché lui tint à peu près ce langage »….Pendant les séances de récitation, le maitre exigeait la plus grande discipline afin de pouvoir déceler les moindres petites erreurs dont le fautif subissait généralement les plus grands châtiments. Le maître s’arrêtait à « toute petite et à toute grande ». Ni mauvaise prononciation ni « saut » d’un mot n’étaient tolérés. Même l’intonation était exigée et plus encore la gestuelle. C’était « l’école de l’excellence » promue par des instituteurs irréprochables, aussi bien sur le plan pédagogique qu’académique et même sur le plan vestimentaire et comportemental. Nos maîtres étaient toujours impeccablement habillés. J’ai encore en mémoire un jeune stagiaire qui s’appelait Monsieur Bâ qui ne commençait jamais son cours sans avoir enfilé ses gants et sa très belle et blanche blouse puis sortir délicatement une petite boite contenant « sa craie » de toutes les couleurs. La ville de Rosso était depuis toujours une ville cosmopolite. C’était le temps où la tribu, la région et l’ethnie ne voulaient pas dire grand-chose et plutôt même rien du tout. Un soir, alors que j’accompagnais feue ma mère chez une cousine, nous passâmes un bon moment à regarder une séance de « Sabar », danse wolof généralement organisée le weekend dans un grand espace du quartier. De jeunes et moins jeunes femmes s’y trémoussaient « diablement » au son de petits tambours frappés frénétiquement par des artistes qui ne manquaient pas à jouer de temps à autre leur partition de troubadours dans l’âme. À la fin de l’année scolaire, les écoles organisaient des cérémonies récompensant les meilleurs élèves. C’est au cours de l’une d’elles que je reçus mon premier livre : « Les lunettes du roi ». Pendant les vacances, mon frère et moi retournions chaque année à Aleg. Nous en avions particulièrement besoin pour nous divertir, tant feu mon grand frère Sidi ne nous en donnait pas le loisir. Avec lui, seules les études comptaient. Dans ses perspectives, Mohamed devait devenir un brillant médecin et moi, quelque chose en rapport avec les mathématiques ou la physique. Lorsqu’il mourut un certain 19 Février 1981, nous étions malheureusement encore jeunes élèves au collège d’Aleg, encadrés par des professeurs dont les pratiques ne nous permirent pas de persévérer dans la voie que le très brillant mathématicien que fut notre frère nous avait tracée. Les vacances scolaires 77/78 furent pratiquement comme toutes les autres. C’était le temps où les pluies tombaient dru, inlassables et obstinées, mettant à rude épreuve les très nombreuses maisons en banco de la ville dont les propriétaires venaient de recouvrir les toits avec de la bouse mélangée avec de l’argile, pour les prémunir contre le ruissellement des intempéries. Chaque jour avant le début des travaux champêtres, nous avions, mes amis et moi, un programme fort chargé. Le matin, c’était le tour de thé chez l’un de nous avec quelques pains chauds. L’après-midi, les entraînements au ballon juste au-delà du « dienguerr’e » (un mot pulaar signifiant dépotoir de poubelles), un petit espace à quelques mètres de « Krei’e Dioulatt » (littéralement : l’affluent des courtiers) où les enfants que nous étions nageaient, en période d’hivernage, à côté de nos sœurs et de nos mamans qui y lavaient les habits ou abreuvaient leurs animaux. C’était aussi le lieu où certains de nos parents creusaient, en période sèche, des puits de petite profondeur appelés « e’aguell » qui permettaient de pallier au déficit très fréquent d’eau lors des canicules. (À suivre).