Ce n’est à pas Aleg que nous avons effectué, mon frère et moi, le plus gros du cycle fondamental scolaire. Aussi n’eus-je pas la chance de recevoir les enseignements de brillants instituteurs comme messieurs feus Idrissa Sarr, Mohamed Derdech, Mouhemed El Moktar Diallo dit Djigo, Mahfoud ould Bebana, Sall Kalidou et autres toujours en ce monde – qu’Allah les y garde encore ! – comme Moustapha ould Ahmed Vall, Sy Samba, Aïchata Sarr ou Cheikh ould Haibelty... Mais je n’en ai pas moins bénéficié, à l’école « Justice » de Nouakchott ou en ses homologues 1 de Rosso et d’Atar, de l’encadrement d’enseignants tout aussi excellents, comme mes deux instituteurs au CM2 de Rosso, Monsieur Guèye et « Seyidi » Ahmedou ould Limam. Ou Monsieur Lab, Monsieur Koné, Madame Doumbia, sous la supervision d’un directeur emblématique toujours tiré à quatre épingles. La rigueur de Demine ould Jaber faisait régner une discipline de fer au sein de l’école et même dans ses environs peuplés de vendeurs et vendeuses de toutes sortes de friandises. Les pensionnaires des années 77 à 80 de l’école Justice ne peuvent pas avoir oublié, j’en suis certain, notre adorable surveillant feu Sid’Ahmed ould Boydiya et son petit jardin scolaire. On se retrouvait chez lui à la récréation pour acheter du pain au miel que certains préféraient au célèbre « mbourou sauce » et autres « accra », petits beignets très épicés vendus généralement par de petites dahoméennes (béninoises).
À la fin des vacances 1975-1976 passées naturellement à Aleg, mon frère et moi devions partir à Rosso où feu notre frère venait d’être affecté professeur de mathématiques. Feue notre mère, une femme exceptionnellement brave et entreprenante, se chargea de nous accompagner dans un voyage qui s’avéra tumultueux. A l’époque, les voitures n’étaient pas encore « frappe avec ton bâton » comme maintenant. On pouvait passer des semaines à attendre à Aleg les rares camions qui nous embarqueraient en leur arrière généralement noirci de charbon et sali des restes de toutes sortes de marchandises. À l’ordinaire, un véritable parcours de combattant. Je ne sais comment feue ma mère parvint à nous réserver de la place dans le vieux camion de Mohamed ould M’beyarek, un vieux cousin parmi les premiers de la région à détenir un véhicule. Le camion stationnait devant la demeure des Ehel Leaziz, une honorable vieille famille d’Aleg dont la maison ouvrait sur la grand’rue. Feu mon père partit à la Poste « remuer le fil » (envoyer un message via télécommunications) à mon frère pour lui annoncer notre imminent départ. Nous partîmes très tôt le matin non sans avoir pris quelques pains de chez le four de feu Ethmane « Diewp » (Diop) un maître boulanger sénégalais qui s’est installé à Aleg avant notre naissance et dont le pain avait acquis une telle réputation que, sans lui, aucun thé ni tagine n’avaient quasiment de valeur. Ethmane était le père de deux des mes amis de classe, Fati Diop et son frère Bacari Diop, dit Thioulou.
Nous devions passer par Boghé. La route traversait quelques villages zmarig comme Zeglane et Moundi. C’était « la route d’en bas » ainsi distinguée de « la route d’en haut » qui prenait un autre axe. Un fort éprouvant voyage… Le vieux T46 se « déhanchait » lentement, parfois au prix de périlleuses secousses qui faisaient sursauter ceux qui s’enhardissaient à tenter de somnoler. Les soixante-dix kilomètres qui séparent, au grand maximum, Aleg de Boghé, il fallut des heures pour les parcourir et ce n’est que le soir aux environs de 17 h passées que nous arrivâmes à Boghé où nous passâmes une nuit réparatrice chez ma tante paternelle, avant de poursuivre la route, dès 7h le lendemain. L’axe Boghé-Rosso présentait un passage fort redouté par les chauffeurs : « Sid Yewkel », un très grand fossé où des dizaines d’accidents moissonnèrent trop de vies. Sur ce lieu très abrupt et dangereux, les chauffeurs racontaient toutes sortes d’histoires, des plus démoniaques aux plus extraordinaires. On stationna à son bord une grande partie de la journée, occasion, pour moi, de savourer un appétissant riz à la viande cuisiné par de très frétillants apprentis sur du bois dégageant une forte fumée sans trop d’impacts sur le contenu de la marmite juste couverte d’un carton. Après quelques manœuvres du chauffeur et moult prières de certains passagers, dont feue ma mère, notre T46 franchit le dangereux escarpement et se dirigea cahin-caha vers Rosso où il n’arriva que vers 22 heures. Voilà comment, après deux jours de voyage, nous rejoignîmes, mon frère et moi, la ville où nous devions poursuivre l’année scolaire1975-1976. J’entrais au CE1 avec Monsieur Ndiaye et mon frangin au CE2 avec Madame Niang, une institutrice sénégalaise qui habitait à Rosso-Sénégal. (À suivre).