Après avoir évoqué le processus qui a conduit à la mise en place de la Commission d’enquête parlementaire et la descente aux affaires d’Ould Abdel Aziz, Bertrand Fessard de Foucault revient dans cette deuxième partie de son essai sur le pouvoir politique en Mauritanie sur la bataille judiciaire autour du rapport de cette même CEP.
La partie est devenue telle, que, le lendemain 6 Août, le Premier ministre, Ismaïl Ould Bedde Ould Cheikh Sidya, remet sa démission au président de la République, et celle de son gouvernement. Jusques là, conseiller à la Primature, Mohamed Ould Bilal Messoud, est nommé Premier ministre, est chargé de former le nouveau gouvernement. Le même jour, sont mis sous séquestre les comptes de 24 entreprises et de 52 personnalités proches de l’ancien président. Sont saisis 150 poids-lourds et véhicules tout terrain, immobilisés cinq bateaux à Nouadhibou. On va enquêter sur la manipulation des comptes de la S.N.I.M., des fraudes dans la gestion du Fonds national des revenus des hydrocarbures, la liquidation de certaines entreprises et même des attributions de terrains à Nouakchott. Valeur totale : 1,14 milliards dollars ou 430 milliards UM.
Ce qui se disait, est donc avéré : la fortune de l’ancien chef de l’État est bien plus importante que celle des plus grands fortunés traditionnels du pays, les Ehel Abdallahi Ould Abdallahi, Ehel Noueighedh et Ehel Abass, qui étaient jusqu’avant le putsch du 6 Août 2008, les piliers des secteurs industriel, commercial et financier de la Mauritanie.
Mohamed Ould Abdel Aziz pensait, cet été encore, avoir trouvé la parade politique que sa fortune lui permettrait dans un autre contexte : une petite formation de gauche, le Parti Unioniste Démocratique socialiste, créé par un ancien sous-officier de l’armée mauritanienne juste après sa sortie de prison, est à prendre. Mais le P.U.D.S. ne compte aucun élu ni dans les communes ni au Parlement. Le nouveau secrétaire général, qui lui est désigné, a été ministre avant 2019 : Seyidna Ali Ould Mohamed Khouna, et l’ex-chef de la diplomatie, Isselkou Ould Ahmed Izid Bih, a également rejoint le P.U.D.S.. Mais ils sont seuls, car le 12 Août, les six ministres de Mohamed Ould Abdel Aziz qui s’étaient maintenus dans le premier gouvernement d’El Ghazouani. sont placés sous contrôle judiciaire. Il s’agit de Yahya Ould Hademine, Premier ministre de 2014 à octobre 2018, de Mohamed Abdallahi Ould Oudaa qui fut ministre de l’Equipement et des Transports ainsi qu’administrateur directeur général de la S.N.I.M., de Moktar Djay, devenu l’administrateur de la SNIM, après avoir été ministre de l’Economie et des Finances, de Nani Chrougha qui avait occupé le poste de ministre des Pêches et de l’Economie maritime, de Dia Malal, ancien ministre de la Justice, et enfin d’Amal Mint Maouloud, ancienne ministre de l’Equipement et des Transports, devenue directrice générale de la compagnie publique Mauritania Airlines International. Et le 15 Août, « la fermeture du siège du Parti unioniste démocratique et socialiste est annoncé et ses activités suspendues pour une durée de 90 jours. Motif : la violation des procédures régissant les activités de partis politiques. Ce parti fraude dans le dessein de porter atteinte à la sécurité et à l’ordre publics.»
Bataille judiciaire
Dépouillé de tout, c’est le 17 Août, que Mohamed Ould Abdel Aziz, convoqué à la Sûreté nationale, est mis en garde à vue et va le rester jusqu’au 24. Il est interrogé sur la fameuse cession en Janvier 2012, de l’une des îles du banc d’Arguin à l’ancien émir du Qatar, Hamad bin Khalifa Al-Thani, renversé en Octobre de la même année. Isselkou Ahmed Izidbih crie à la détention arbitraire et au kidnapping. Les délais de la garde à vue expirés, très régulièrement, Mohamed Ould Abdel Aziz est libéré sans charge mais son passeport est retenu et il lui est interdit de quitter Nouakchott. Le 20, ses avocats (français – comment ne se fait-il pas assister par des compatriotes?) l’ont rencontré. La bataille judiciaire commence. Le 26, les comptes de Mohamed Ould Abdel Aziz sont bloqués, après que le 20 Août, aient été déjà opérées des saisies sur les comptes bancaires de 76 personnalités réputées proches de lui.
Le 25 Août, un collectif de soixante avocats constitué pour défendre les intérêts de l’État contre Mohamed Ould Abdel Aziz, son ancien chef constitutionnel, mais abusif, se présente à la presse et à l’opinion nationale. Conduit par M° Brahim Ould Ebety, élu bâtonnier de l’Ordre national des avocats, il comprend notamment M° Diabira Maaroufa, doyen des inscrits, M° Yacoub Diallo, Pr. Mohamed Mahmoud Mohamed Saleh, Pr. Lô Gourmo.
Mais, le 4 Septembre, devant l’Assemblée nationale, le nouveau Premier ministre a produit sa déclaration de politique générale : elle est nette. « S’agissant du dossier de l’enquête parlementaire, il y a lieu de préciser, ici, devant la Représentation nationale, que le Gouvernement s’engage, comme notre Constitution l’y oblige, à respecter scrupuleusement le principe de séparation des pouvoirs. Aussi, s’abstiendra-t-il de toute immixtion dans les procédures judiciaires relatives au dit dossier, tout en prenant l’engagement, comme c’est de son devoir, d’appliquer les décisions et jugements éventuels de la Justice à ce sujet quels qu’ils soient. C’est en effet à ce prix, et seulement à ce prix, que notre pays peut se prévaloir du statut d’État de droit sans lequel rien de durable ni de fiable ne peut être entrepris, au double plan économique et social. » Et Mohamed Ould Abdel Aziz n’a plus de ressource que le silence. Le 28 Septembre, confronté à son ancien Premier ministre, Yahya Ould Hademine, prié de répéter en présence de son « ex-employeur » ce qu’il avait dit aux enquêteurs, maintien ou pas de ses « accusations», l’ancien président de la République garde le silence. Le procureur de la République lui signifie l’interdiction de quitter Nouakchott pendant toute la durée de l’enquête. Ses défenseurs dénoncent des « violations dans l’enquête parlementaire » et le 2 Octobre publient une lettre ouverte au président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Elle réclame « un débat loyal, juste et éclairé pour que chaque citoyen puisse être informé de manière contradictoire de la situation actuelle. » et s’en prend aux défenseurs des intérêts de l’État mauritanien : « la plupart des conseils choisis par l’Etat semblent avoir fait, par le passé, la démonstration de leur partialité et nous ne pouvons que supposer que leurs interventions servent uniquement à tenter de protéger les exactions dont notre client est actuellement victime. Sur le fond, il est particulièrement consternant de constater que ces 60 avocats, pourtant a priori munis des outils juridiques de réflexion optimum compte tenu de leur nombre, ne parviennent pas à interpréter de manière stricte et intelligente la Constitution de Mauritanie ». Quant à l’ex-président, il invoque une immunité absolue, celle du président de la République. Le collectif d’avocats défenseurs des intérêts de l’État rejette aussitôt cette prétention : les actes incriminés et commis pendant son exercice du pouvoir par Mohamed Ould Abdel Aziz sont « détachables de l’exercice de la fonction présidentielle », « les faits qui font l’objet de l’enquête préliminaire menée par la police chargée de la répression des infractions à caractère économique et financier, sont sans rapport avec la mission et les prérogatives constitutionnelles du président de la République ».
Jurisprudences
Le bâtonnier, Brahim Ould Ebety qui depuis 1983, sa prestation de serment, s’est tant battu pour les droits de l’homme en Mauritanie, réfute, le 12 Octobre, l’ensemble de la lettre ouverte des défenseurs. Et puisque prétendent s’appuyer sur la loi française, il les renvoie à des jurisprudences de la Cour de cassation française, mais a la charité de ne pas évoquer la mise en examen d’un autre ancien président, de la République française dont la complaisance envers le coup du 6 Août 2008, avait été achetée, par l’intermédiaire son secrétaire général, à l’époque, Claude Guéant, moyennant un financement conséquent.
Dans un total respect des institutions, auquel fut contraint le président sortant qui dut renoncer à un troisième mandat consécutif des deux premiers, voici jugée une gestion de dix ans : « tous les problèmes seront réglés » répétait le président du Haut Conseil d’État. Judiciairement, ils vont maintenant l’être.
La Mauritanie et celles et ceux qui y sont attachés, par naissance ou par adoption, sont ces jours-ci, également dans la pensée de l’anniversaire de la mort du président Moktar Ould Daddah, le 15 Octobre 2003, juste à la veille de la parution de ses mémoires : La Mauritanie, contre vents et marées. Les putschistes de 1978, selon leurs comités successifs, l’avaient fait juger, en trois jours, du 18 au 20 Novembre 1980, et laCour spéciale de justice à Rosso (organisée par la loi du 14 Septembre 1973) l’avait condamné par contumace, aux travaux forcés à perpétuité pour haute trahison, violation de la Constitution et atteinte aux intérêts économiques de la nation (art. 77, 83, 84, 112 & 171 du Code pénal). Il avait, étant au pouvoir, dû emprunter à une banque de la place, de quoi construire une maison privée, et, bien des étés, Abel Campourcy, son conseiller technique, l’avait aidé à financer les vacances familiales. La condamnation a fait long feu : son homologue malien, accusé de malversation, s’était écrié : tous les chefs d’État, en Afrique, se conduisent ainsi, sauf Moktar Ould Daddah./.
Et voici qu’une nouvelle fois – et chaque fois est capitale – que les mines de fer de la Kedia d’Idjil et les guelbs qui l’environnent, reviennent pour soutenir l’Histoire. Elles ont permis la reconnaissance internationale avant la lettre de la toute jeune République Islamique de Mauritanie, puis son émancipation financière vis-à-vis de l’ancienne métropole. Elles ont constitué, à leur nationalisation, un consensus politique sans précédent dans le pays, et elles ontcontribué à la réussite du premier des coups militaires, celui dont tout a découlé jusqu’à aujourd’hui. Et voici qu’il s’avère que cette grande ressource industrielle et minière nationale a été volée crûment, à hauteur de 50 millions de dollars, par des financements, hors de son objet social. Il s’est frauduleusement agi d’opérations immobilières revenant d’une manière ou d’une autre dans la mouvance de Mohamed Ould Abdel Aziz, et ces opérations ont porté sur le nouvel aéroport international de Nouakchott, dont le nom qui s’imposait – celui du père-fondateur – fut refusé par l’ex-homme fort, jouant, jusqu’au drapeau national, sa dernière carte : la démagogie, aux frais du pays. Car Najah Major Works, en grave difficulté, est incapable de rembourser ce prêt singulier. Accueilli par la S.N.I.M., le 2 Novembre dernier, le nouveau président de la République a compris la leçon, puisque les prochains grands chantiers sportifs, de retentissement international, viennent d’être confiés en régie au génie militaire./.
Bertrand Fessard de Foucault,
alias Ould Kaïge