Les problèmes dans la vie font partie des signes visibles du Destin. Tout le monde en a, les citoyens comme les hommes publics. Mais si l’on me demandait quels sont les deux hommes publics les plus confrontés à des problèmes, je répondrai sans hésiter : l’ex-Président Mohamed ould Abdel Aziz et son ancien compagnon devenu malgré lui son ennemi juré, le nouveau président de la République. Leurs problèmes nous interpellent, même si, tout compte fait, ils ne se ressemblent pas et n’ont pas la même portée.
Emporté par le tsunami déclenché contre lui par les enquêtes préliminaires sur les malversations et la mauvaise gouvernance durant la décennie 2008-2018, le premier se cramponne au moindre vestige de son guère glorieux règne, dans l’espoir de passer au travers des mailles du filet savamment tressé par la Commission d’enquête parlementaire (CEP). S’attendant à se retrouver très prochainement devant ses juges, en qualité d’ex-Président ou de citoyen ordinaire, Mohamed ould Abdel Aziz s’est juré de mener une guerre sans merci – peut-être la dernière… – envers et contre tous. La République Islamique de Mauritanie n’y aura pas de place. L’ego blessé et aigri du général putschiste cherchera une revanche personnelle contre tous ceux qui l’ont mis à terre. Il faut parier gagnant qu’il aura la gâchette facile et tirera sans discernement dans toutes les directions, même dans les rangs de ceux qui l’avaient soutenu et obéi au doigt et à l’œil pour satisfaire sa soif de pouvoir et sa boulimie foncière et financière.
On le sait déjà, la meute de courtisans finira par l’abandonner, un à un, car la source des prébendes de l’État s’est tarie et il n’y a plus rien à partager, sinon des déboires. Son amertume sera encore plus grande ; son esprit revanchard, son côté baroudeur et son penchant à trop communiquer avec la fougue qu’on lui connaît finiront par l’enfoncer davantage. Sans polémique, nous pensons que son destin est tracé d’avance : même si la justice arrive à le disculper, le peuple souverain l’a déjà condamné et la sentence est sans appel. L’histoire n’associera son nom qu’au négatif du personnage.
Son Excellence le nouveau président de la République, puisque c’est désormais ainsi qu’il faut appeler le second, fait face, lui aussi, à une infinité de problèmes dont le plus petit est celui d’avoir eu à hériter le pouvoir de son prédécesseur. Ce ne sont pas des tracasseries mais des défis majeurs, des guerres à mener sur plusieurs fronts, pour réformer, désembourber et redynamiser tous les secteurs d’activité du pays, actuellement en panne ; sinon, en perte de vitesse. De toute évidence, il ne lui sert à rien d’interroger le passé pour déterminer la paternité des maux qui affectent l’État et le corps social mauritanien ni de se focaliser sur les occasions perdues. S’il veut s’inscrire dans la postérité et donner au pays de réelles perspectives d’avenir, le chemin de la gloire et de l’honneur est de faire face avec détermination. Il le sait mieux que quiconque : à la guerre comme au rugby, c’est dans la mêlée qu’on gagne.
Les sujets de préoccupation ne manquent pas. Pléthorique, minée par l’incompétence et particulièrement timorée, l’administration doit être secouée et revue de fond en combles pour améliorer le service public. Le même chemin doit être pris pour l’école, perdue dans les ténèbres de l’inconscience et ne portant plus le flambeau de la lumière. La santé est malade de sa grande maladie et demande à être perfusée. Très efficace aux frontières, la sécurité peine à maîtriser la délinquance interne qui évolue dangereusement et prend des formes inattendues, hideuses et particulièrement révoltantes. Le manger, essentiel pour la conservation de la vie, n’est pas produit localement mais vient de l’extérieur. Véritables calvaires pour les ménages et les entreprises, l’eau et l’électricité sont aux abonnés absents ; on n’arrive pas à les domestiquer, malgré les investissements importants engagés par l’État. Tout cela doit être saisi à bras-le-corps, avec fermeté et rigueur, sous-tendues par une volonté politique sans faille, même si le contexte n’est pas favorable, dans la crise de santé publique que nous traversons.
Il faut agir vite. Déjà la classe politique s’agite et demande à ce que les pas accomplis dans le sens de la décrispation débouchent sur des concertations nationales qui ne devraient normalement pas ressembler aux précédentes. Les intellectuels ont eux aussi pris la plume pour indexer l’immobilisme dans la mise en œuvre du principe de la responsabilité et de son corollaire, la reddition des comptes qui, compte tenu de ce qu’on a connu pendant « la décennie perdue » et de ce qui s’est passé tout récemment à la Banque Centrale, devraient être au cœur de la gouvernance. S’invite avec insistance au débat l’attention qu’on doit porter aux établissements publics qui, comme on s’en rend compte chaque jour, n’arrivent plus à assurer convenablement la gestion du service public et ne semblent capables d’aucune perspective durable, si aucune réforme n’est entreprise. S’y ajoutent les inquiétudes justifiées de la Société civile sur la persistance de la pauvreté, du chômage et de l’exclusion, ainsi que d’autres facteurs de perturbations de la paix sociale, comme les crimes et les violences impunis contre les femmes et les enfants.
Mais les choses ne sentent pas partout le soufre. Au-delà de l’ampleur des difficultés, tout est à la portée de la main. Il faut seulement se dire que les défis sont à la dimension de la grande Mauritanie, une terre vierge, arrosée par la baraka divine, riche de ses ressources naturelles et de ses hommes. En démarrant, le train des réformes mettra le feu à l’activité de tous les secteurs, s’épanouissant enfin pour livrer des trésors cachés. La chance est aussi au rendez-vous ; l’homme en qui les Mauritaniens ont placé leur confiance est bien celui qui peut les conduire vers un destin national plus rayonnant.
Son Excellence le président de la République sait qu’il n’est pas « empereur », contrairement à son ex-compagnon, et que gouverner est un exercice qui requiert dextérité, sagesse et art mais aussi haute idée de la fonction qu’on occupe et du devoir envers chaque citoyen. C’est en ce sens qu’il a soumis la fonction présidentielle à des règles déontologiques qui lui imposent le respect des valeurs d’excellence comme la discrétion, la courtoisie, le courage, l’honneur, la probité morale et intellectuelle, la discipline, l’application et la rigueur. Son naturel, son empathie, son engagement à bien faire, aller de l’avant et toujours plus loin ont forcé le respect et l’admiration, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
Il a aussi démontré qu’il est avec le peuple et ne ménage pas ses efforts pour relancer l’économie nationale. Les plans visant l’autonomisation des jeunes par l’entreprenariat en économie solidaire, partout dans le pays apportent des réponses appropriées aux attentes des couches sociales les plus défavorisées. Ils contribueront largement à la richesse par l’emploi et la structuration des activités informelles. Parallèlement, ils permettront de maintenir des populations dans les zones rurales et de diminuer graduellement le flux de l’exode vers les grandes agglomérations. L’ambitieux programme de relance économique va permettre aux divers secteurs d’activités de se remettre d’aplomb, accroître leur capacité́ à produire des emplois et à préserver les sources de revenus. Sans trop s’étendre sur ce sujet, il faut tout de même reconnaître que la réussite de chaque plan ou programme dépendra de la qualité de sa mise en œuvre, de l’engagement du gouvernement et de l’implication des citoyens.
La tâche importante à laquelle le gouvernement devrait actuellement s’atteler est d’engager les Mauritaniens, par une communication améliorée, efficace et de préférence de proximité, à s’impliquer davantage et s’approprier les programmes que l’État a mis ou mettra en place. Surtout, il revient aux citoyens de ne pas se laisser distraire par cette malencontreuse affaire de biens détournés par des responsables malveillants ou de se ramollir à cause du Covid 19 : ce ne sont que des nuages de poussière qui vont se dissiper sous peu.
Rejeter les bisbilles, éviter les querelles de chapelles et s’investir massivement dans des actions valorisantes, voilà le salut. Nous avons passé soixante ans à discuter naïvement dans les salons, à insister sur ce qui nous divise, en place de ce qui nous rassemble, au risque de saborder la cohésion nationale, saper l’ancrage de l’État de droit : cela ne nous a pas porté bonheur. Une nouvelle porte est ouverte. Le temps est venu d’ôter les boubous, porter tenues de travail et investir les chantiers, puisque c’est dans le travail et seulement dans le travail qu’on réalise le développement du pays, l’unité nationale, l’équité, la justice et l’émergence de la démocratie réelle. C’est aussi dans nos capacités à faire évoluer nos mentalités, changer nos préjugés, compter sur nos propres forces créatives et valoriser nos compétences que nous trouverons des pansements aux plaies que constituent l’esclavage et la pauvreté. Aucun doute possible : l’amélioration du mieux vivre des familles et groupes sociaux ne peut aboutir qu’à un meilleur vivre ensemble. Celui-ci ne se conquiert et ne se concrétise que par la volonté politique et la sueur du front. Aux sceptiques, je dirai que ce ne sont ni balivernes ni rêve ; c’est seulement un idéal exaltant pour des hommes talentueux et courageux, acceptant de se mettre à rudes épreuves. Et je crois que les Mauritaniens le sont.
Diop Mamadou