Depuis quelques mois, avec la transmission à la justice du rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire visant l’ancien Président Mohamed O. Abdel Aziz et plusieurs hauts responsables de son pouvoir, la problématique de la corruption et des biens mal acquis est au devant de la scène.
Faut-il rappeler que la corruption, qui est un crime pour des pays qui peinent à se développer, est punie est par le Code pénal (en ses articles 171, 172 et 177), de même qu’elle a fait l’objet d’une loi spécifique (n°2016-014 du 15 Avril 2016) qui l’incrimine sous toutes ses formes, notamment quand il s’agit d’agents publics (nationaux ou étrangers).
Handicap majeur pour le développement des pays, une tare préjudiciable à la santé économique et à la dignité du citoyen, en plus de pénaliser les entreprises, la corruption est un mal qui ronge le pays et qui introduit des dysfonctionnements dans le jeu des marchés et dans les mécanismes de l’économie tout en privant l’Etat et les organismes publics d’importantes ressources financières.
La corruption est un phénomène complexe et multiforme qui tend à la globalisation et constitue même dans certains pays une culture et un mode de gestion. Selon la Banque Mondiale, la corruption est un phénomène globalement nocif ayant des effets délétères et souvent ravageurs sur fonctionnement de l’administration et sur le développement économique et politique des pays où elle sévit.
Transparency International estime même que le tiers des financements destinés au développement est englouti par la corruption.
Pratique qui entame la confiance des institutions et ternit gravement l’image de marque des pays où elle est pratiquée, la corruption tend à se généraliser puisque répartie sur toutes les surfaces du globe. De ce seul fait, il reste évident qu’aucune partie de la Terre, qu’aucun peuple ou pays en particulier n’a le monopole de cette tare. C’est dire aussi qu’en tout lieu et de tout temps, elle est et demeure une gangrène qui vit insidieusement et se développe – souvent à grandes enjambées – dans le corps de la société. Le degré de corruption d’une société donnée reflète amplement l’image de celle-ci, avec tout ce que cela comporte comme freins conduisant à des retards regrettables des pays où elle hisse son étendard.
La corruption accroît la pauvreté ; entrave la bonne marche des services publics de base; empêche le développement tant social qu’économique et sape la démocratie. Il s’agit d’un problème complexe auquel il ne peut donc exister une solution simple ; mais c’est bien pour cette raison que la lutte contre la corruption doit constituer une priorité pour endiguer ce phénomène qui, en se généralisant, fait du tort aussi bien à ceux qui la pratiquent qu’au reste de la société.
Avec tant d’effets pervers sur le développement des sociétés, depuis quelques années, la corruption figure parmi les grandes priorités internationales et nul ne songerait plus à nier aujourd’hui qu’elle constitue une entrave majeure au développement, au commerce et aux investissements (rapports Transparency International).
Sans que l’on puisse mesurer l’ampleur véritable de cette pratique dans notre pays, en raison de son caractère intrinsèquement secret, une vaste couverture médiatique consacrée à la corruption permettra tout de même d’espérer une sensibilisation croissante de l’opinion nationale sur cette problématique.
Il revient aux médias de dénoncer avec constance cette tare, qu’ils battent campagne par l’écrit et le verbe, dans les journaux, la radio ou l’audiovisuel ; qu’ils étalent au grand jour l’ampleur du phénomène pour que personne ne puisse se voiler la face.
Aussi, le rôle des médias dans cette lutte contre la corruption ne peut être dissocié de celui de la société civile qui, de façon directe, concrète et significative peut et doit participer à cet effort car les organisations de la société civile disposent en effet du «mandat public» et du potentiel global (une force de frappe) leur permettant, d’une part, d’affirmer que l’amélioration de la qualité de vie des populations au sens large est une priorité absolue, et de l’autre, d’agir de manière significative à cette fin.
Les organisations de la société civile peuvent (et doivent) assurer l’impulsion, donner de la force et occuper le leadership de la lutte, au niveau national, contre la corruption. Les efforts que ces organisations auront à fournir constitueront ainsi un cadre solide dans lequel viendront s’inscrire les actions des pouvoirs publics et des entreprises. Mais cela ne pourrait se faire, les fruits de ces efforts ne sauraient être cueillis sans l’adoption de nouvelles conventions internationales (convention OCDE – lutte contre la corruption d’agents publics étrangers entrée en vigueur en 1999), et la mise en place de nouvelles législations et de nouvelles réglementations de nature à permettre d’endiguer les pratiques de corruption et des actes assimilés dont le plus sournois est sans doute «le renvoi d’ascenseur». A ce sujet, la loi de 2016 sur la corruption est à saluer et la volonté affichée du nouveau pouvoir de lutter contre la corruption et de recouvrer les biens spoliés apporte de l’eau au moulin de la société civile. Celle-ci doit donc s’impliquer davantage en menant des actions préventives parallèlement à l’action de l’Etat, en formant et sensibilisant ses adhérents ainsi que la population, en oeuvrant dans le pays avec le concours de toutes les forces vives et en travaillant à établir et à entretenir des relations entre les structures nationales qui pourront, à terme, conduire à la création d’un Réseau Régional et International de Lutte contre la Corruption.
Dans cette campagne de lutte contre la corruption et de recouvrement des biens spoliés initiée par l’Etat (qui s’est d’ailleurs attaché les services d’un collectif d’une soixante d’avocats), il revient à la société de mettre en place une coordination viable qui pourrait se constituer société civile afin de pousser la justice à aller au terme de la procédure, et que tous ceux qui sont coupables répondent de leurs actes à la hauteur des forfaitures commises, sans exception aucune… Quoiqu’il en soit, ce combat doit être poursuivi jusqu’au bout car toute remise en cause, pour une raison ou une autre, doit être rejetée par l’opinion.
L’engagement de la société civile contribuera aux remèdes à apporter à la lutte contre la corruption, même si, à prime abord, il n’existe pas de remède miracle, la corruption étant devenue très présente au sein de la société, développant une sorte de mécanisme qui multiplie les obstacles pour les citoyens, tant pour la recherche du travail que pour l’accès aux services de bases.
Pour combattre et empêcher que cette maladie ne détruise les cellules les plus compétentes de la société, la mise sur pied des réformes pertinentes s’avère une nécessité. En plus de la volonté politique, ce combat ne peut aboutir sans l’indépendance de la justice. Il est, à ce titre d’ailleurs, édifiant de constater que dans pratiquement tous les pays de la planète, la question de l’indépendance de l’appareil judiciaire se trouve posée. La justice reste donc un élément déterminant pour combattre le fléau de la corruption.
Lutter contre la corruption n’est pas chose aisée. Cette lutte ne pourra donc avoir d’effets probants que si, parallèlement aux mesures d’ordre général, il était mis sur pied des structures devant mener le combat de front.
En conclusion, il est impératif de créer :
• une coordination de la société civile de lutte contre la corruption ;
• et une structure publique indépendante.
Le travail de ces deux structures doit être relayé par des actions plus volontaristes telles que la mise sur pied de moyens de lutte contre la fraude, le développement de codes professionnels de déontologie, l’institution d’îlots de transparence, la création par les ordres et les associations d’instances spécialisées en leur sein ; la recherche de solutions pédagogiques spécifiques aux différents milieux de travail.
Dans tous les cas, le combat de la société civile doit être progressif et s’inscrire dans la durée.
Pour une fois que la volonté politique de lutter contre la corruption, quels qu’en soient les auteurs, semble affichée, il revient donc à la société civile de montrer toute sa détermination, en renforçant sa mission de veille et de lanceur d’alerte, pour que l’Etat s’oblige à faire face à son devoir de redevabilité et de gestion transparente.
Aussi, la société civile, dans sa mission de veille, se doit de se rappeler toujours que confondre le corrompu et le corrupteur suppose de la part des autorités judiciaires une enquête approfondie, faite dans le respect des droits des personnes et de leurs libertés. A ce titre, tout un chacun doit se garder de s’abandonner à la tentation de provoquer des situations nuisibles à l’ordre social par des initiatives qui, à la limite, risqueraient de s’apparenter à de la pure délation, de la vengeance ou du règlement de comptes.
Vaincre la corruption est une tâche ardue mais elle n’est pas impossible.
Maître Mine O. Abdoullah
Avocat à la Cour à Nouakchott
Président de la L.M.D.H.
Président de PCQVP-Mauritanie