Etrangement il existe une similitude entre l’édification de l’Etat mauritanien et la création de la Banque centrale. Personne n’aurait parié un khoums sur la survie ni de l’Etat mauritanien ni de la Banque centrale. Lorsque le président feu Mokhtar s’attela à édifier l’Etat mauritanien en l’absence de toute structure de base, beaucoup le prirent pour un pêcheur de poissons dans le désert. Il ne s’est pas laissé intimider par les défaitistes, il réussit à créer à partir du néant un Etat qui gagne rapidement respect et considération.
Se préparant à prendre de décisions d’importance capitale, les autorités politiques décidèrent de créer une banque centrale jugée impérative pour prendre en main leur autonomie monétaire. Ahmed Ould Daddah a été charge de réaliser le projet.
Beaucoup considèrent le projet utopique et voué à l’échec, il sera mort-né, prédirent certains car tout était à recréer. L’activité était réduite, le taux de bancarisation quasi-nul, les ressources insuffisantes, le revenu faible, le personnel qualifié faisait défaut.
Tous les facteurs militaient pour l’abandon du projet et comme si une main extra-terrestre le guidait vers le succès, la réussite était au rendez-vous.
Conscient des difficultés qui se dresseraient sur son chemin mais convaincu de pouvoir les surmonter, il s’arme de sa foi de musulman, se confie à ALLAH et se mit avec sont staff au travail comme s’il était protégé contre le sort qu’avaient subi les banques centrales de Guinée et du Mali créées quelques années auparavant, mais l’ancienne puissance coloniale s’est évertuée à les asphyxier économiquement pour les faire revenir à la zone franc.
Ainsi la Banque centrale naquit en ce mois de juin 1973. Ahmed ould Daddah devint son premier gouverneur qui la dirigea jusqu’au mois de Mai 1978.
Une assistance technique arabe limitée dans le temps et limitée en nombre passe la main à des mauritaniens qui ont su assurer valablement la relève et prouver leur compétence.
Le gouverneur Ahmed Ould Daddah et son staff dotèrent la banque d’une discipline et d’une organisation rigoureuses tranchant radicalement avec les habitudes de l’administration centrale.
Relâchement coupable
Il y avait cultivé le dévouement pour le travail, l’esprit de sacrifice, la considération de l’intérêt national avant toute chose, le travail collectif, la solidarité professionnelle. Chacun savait qu’il sera jugé objectivement sur sa valeur intrinsèque, sa compétence intellectuelle et son expérience.
Ahmed ould Daddah et son staff ont fait de la banque une pépinière de cadres compétents où la présidence de la République y trouve les cadres répondant aux critères nécessaires pour les fonctions polyvalentes.
Au milieu des années 80, un relâchement commence à miner l’organisation mise en place à la création de la banque. Le manquement à la discipline fut toléré, l’assiduité et la ponctualité ne sont plus de rigueur, les absences sont fréquentes et non sanctionnées. Des agents prennent l’habitude des quitter leurs bureaux rejoignant des collègues dans une autre aile de la Banque pour discuter des choses sans rapport avec le travail, laissant les clients patienter de longues heures. Le clientélisme fait son apparition.
Les nominations et les avancements ne répondent plus aux critères, jadis objectifs. La procédure pour les promotions n’obéît plus aux normes éthiques qui étaient établies. A la place de la compétence et du dévouement, le militantisme au parti majoritaire dévient la raison d’appréciation pour l’avancement et la promotion. L’esprit de sacrifice et la prise en considération de l’intérêt national avant toute chose appartiennent désormais au passé.
Les cadres supérieurs ne sont plus motivés pour la mise à niveau de leur connaissance en vue de se faire distinguer par leur apport technique ou par leur capacité de conception.
La menace pour la banque centrale de perdre sa place de leadership s’accentue à grand pas.
Des gouverneurs non issus des milieux économiques ou financiers venant de tous les horizons sont nommés. Ils ont, certes, des compétences mais le manque d’expérience et la complexité de la tache les handicapent. Pour certains d’entre eux, à peine ils commencent à se familiariser avec la gestion de la banque qu’ils sont appelés à d’autres fonctions. Rares sont les gouverneurs qui ont accompli un mandat complet.
Aujourd’hui, on remarque avec satisfaction et fierté qu’après environ 30 ans, le gouverneur et le gouverneur adjoint sont issus du personnel de la banque.
Espérons qu’il s’agit d’un retour irréversible à l’équité qui permet à la banque de retrouver son image de marque et de renouer avec ses méthodes d’antan qui en ont fait l’institution exemplaire.
Kébir Ould Vall
Ancien directeur à la banque centrale