Arrivé au pouvoir quatre années plus tôt, le président malien, feu Modibo Keïta, voulut, en 1964, offrir à sa mère un pèlerinage à La Mecque. Mais, ayant renoncé à la moitié de son salaire au profit de son pays, il n’avait pas assez d’argent pour payer tous les frais inhérents au voyage Il écrivit alors une lettre, devenue célèbre, à l’ambassadeur du Mali en Arabie Saoudite, lui demandant de lui prêter 60.000 francs maliens à remettre à sa maman et qui lui seraient remboursés dès sa maigre paye présidentielle perçue. Plus près de nous, feu Mokhtar ould Daddah reçut d’innombrables dons en espèces ou en nature de ses homologues africains (Mobutu, Bongo, Houphouët-Boigny..) mais sefit invariablement un point d’honneur à tout verser au Trésor public. Aujourd’hui, on est très loin, en nos deux pays frères et voisins, de l’esprit de ces pères fondateurs honnêtes et désintéressés. Accusé, au Mali, d’avoir détourné des milliards de Fcfa, le président IBK vient d’être balayé par un coup d’État militaire et, en Mauritanie, l’ex-président MOAA n’est pas mieux loti :une commission d’enquête parlementaire vient de transmettre à la justice un rapport accablant sur sa gestion. Déjà convoqué à trois reprises par la police chargée de la répression des crimes économiques et financiers, il n’est pas encore au bout de ses peines.
Nos pays seraient-ils maudits au point d’être encore, soixante ans après leur accession à l’indépendance, des havres de mauvaise gestion, prévarication, détournement de deniers publics et malversations en tous genres ? Au moment où d’autres pays plus pauvres rivalisent d’ingéniosité pour assurer le bien-être de leurs populations, les nôtres caracolent en tête de liste des Etats où il ne fait pas bon vivre. Certes, la société importée de consommation et de spectacle s’est chargée, dessous de table aidant, de promouvoir l’avidité et la passion irréfrénée envers les biens de ce monde. Mais c’est partout. Alors pourquoi si intensément et cruellement en nos sables où la noblesse se faisait justement honneur du frugal ? Serait-ce que le pouvoir nous rende aujourd’hui vulgaire ? Ne s’accommode plus que de celui-ci, chez nous comme trop souvent ailleurs ? Ou que seul le vulgaire ait été assez frustré pour s’acharner à y accéder ? Avant d’y sévir, au grand dam du peuple… Et nous laisser, au sortir de cette souffrance, cette intrigante question : son ami de quarante ans aurait-il l’âme –et le courage… – de se révéler à tout le moins l’exception qui confirme la règle ?
Ahmed ould Cheikh