Initialement convoquée le 13 juillet pour débattre, devant l’Assemblée nationale, des modalités de la réactivation de la Haute Cour de Justice (HCJ) appelée à juger Mohamed ould Abdel Aziz, suspecté de s’être enrichi de manière illicite sur le dos des Mauritaniens, la commission parlementaire chargée de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense a décidé, par vote, de reporter sine die le débat. Des sources concordantes laissaient tout d’abord croire que c’était à la demande du gouvernement mais Jiddou Manaba, le président de ladite commission, s’est empressé d’expliquer que celle-ci n’était pas prête techniquement, qu’elle manquait de temps, et que le gouvernement n’y était pour rien. Allez donc comprendre pourquoi ses membres avaient été convoqués.
L’opinion mauritanienne était cependant suspendue à la tenue de cette réunion. Aussi l’annonce de son report a-t-elle immédiatement suscité polémique. Qu’elle émane du gouvernement ou de l’Assemblée nationale, une telle décision accrédite, aux yeux de beaucoup, les soupçons de ce que l’Exécutif n’ira pas au bout du travail de la Commission d’enquête parlementaire (CEP). « Tous pourris », entend-on dire, « pour rien au monde, le pouvoir en place ne sciera la branche sur laquelle il est assis ». Rétropédalage, donc ? Quand la CEP fut fondée, nombre de Mauritaniens ne lui accordèrent aucun crédit. Ce report va-t-il leur donner raison ?
Pour la députée RFD Nana Mint Cheikhna, la décision de la commission est tout simplement incompréhensible. Le déni d’une Haute Cour de Justice prévue par la Constitution est perçu par l’écrasante majorité de l’opinion comme une plus que coupable indifférence à la gabegie : une quasi reconnaissance de l’ancrage de cette dernière au plus haut sommet. Et d’ajouter : il serait fort grave que le louable élan vers la normalisation des institutions de la République soit remis à des délais indéterminés.
Pour sa part, le député de l’Alliance Populaire Progressiste (APP), Sghair Taghi relève une volonté manifeste de surseoir à la création de la haute Cour de justice. ‘’Le manque de temps ou les aspects techniques évoqués ne tiennent pas la route ; l’Assemblée a attendu deux semaines les amendements annoncés par le gouvernement. En vain. La véritable raison non évoquée est la peur des uns et des autres d’avoir à répondre devant cette juridiction. En vérité, Ould Abdel Aziz ne serait pas le seul à être traduit, voire condamné par la HCJ, des ministres, des directeurs et autres couleront eux aussi. C’est, à mon avis la seule raison qui explique le coup de frein apporté à ce processus de mise en place d’une HCJ, réclamé pourtant par l’écrasante majorité des mauritaniens. A y regarder de près, on observe que le tribalisme constitue un frein à la lutte contre la gabegie’’, dira-t-il. Et d’ajouter : ‘’Il est regrettable, aujourd’hui, de constater que les responsables mauritaniens ne sont pas décidés à changer d’habitude, à adopter la bonne gouvernance. On refuse de se doter de mécanisme capable de nous en prémunir. C’est dire alors que la gabegie a encore de beaux jours devant elle. Hélas!’’
Opinion publique sur le gril
Pour les détracteurs du gouvernement actuel, le frein apporté au processus serait lié au refus de l’ex- Président de répondre à la convocation de la CEP. Un mépris en forme de défi au pouvoir de son successeur. Rien à craindre de la commission d’enquête, n‘aura-t-il cessé de fanfaronner, façon de dire, pensent certains, qu’il n’entend pas couler seul. Une menace qui suffirait à contenir toute démarche visant à prouver qu’il a détourné des deniers publics ? Après avoir accepté, fin Janvier dernier, d’autoriser l’enquête que réclamait l’opposition démocratique – très largement appuyée par l’opinion nationale... – le pouvoir n’aurait ainsi d’autre choix que de l’empêcher d’aboutir à sa conclusion logique.
Une hypothèse assez solide pour mettre le feu au Palais. Pour l’éteindre, des députés de l’UPR sont, dès l’annonce du report, montés au créneau pour jouer les pompiers. D’abord, Jiddou Manaba, le député de Tidjikja tantôt cité, précisant que le processus de mise en place de la HCJ n’est pas interrompu mais momentanément suspendu. Ses travaux reprendront « le moment venu ». Même son de cloche du côté de Sidney Sokhna, membre de l’UPR : aucune volonté du gouvernement d’arrêter le processus, assure-t-il. Et d’ajouter qu’à l’heure actuelle, on ne sait pas qui va être jugé et par qui, il reste des distingo à établir entre ceux qui le seront par la HCJ et ceux du ressort de juridictions plus ordinaires.
Les deux élus tentent manifestement de rassurer les Mauritaniens sur l’avenir de la HCJ. Le gouvernement va-t-il l’enterrer ? Non, soutient un ex-sénateur proche du pouvoir. Et d’amplifier l’argument de Jiddou Manaba : pas techniquement prête, la CEP mettra à profit le surplus de temps pour parachever ses auditions et boucler son rapport final, en s’attachant les services d’experts en Droit et autres spécialistes, histoire de fournir un « dossier-béton » aux juges. Pour cet ancien élu, le gouvernement apporte, de son côté, un soutien résolu à l’accomplissement sans faille de la mission assignée à la CEP : éclairer les Mauritaniens sur les « dossiers sulfureux » de la gestion de l’ex-Président. La vivacité de la polémique est en tout cas symptomatique de l’état actuel de l’opinion publique mauritanienne : sur le gril, elle est manifestement en instance d’ébullition…
Dalay Lam