19, répercussions et rebondissements / Par Dr Ould Abdou Salem Ahmed Aidara, enseignant chercheur à L’IESEG, Paris la défense

16 July, 2020 - 01:40

On regardait de loin l’apparition du coronavirus en Chine comme si l’autre ne faisait pas partie de notre monde si minuscule et fragile. Or, si l’une des premières puissances économiques mondiales est touchée, cela a des répercussions sur toute la planète. Wuhan, l’épicentre de l’épidémie, est l’un des centres économiques méconnus de la Chine intercontinentale, un haut lieu industriel et universitaire, attirant d’importantes entreprises. L’interdépendance des économies à l’échelle mondiale est certes propice aux échanges, qui vont de plus en plus loin et de plus en plus vite. De ce fait, les pandémies comme celles du coronavirus, se propagent de manière exponentielle.

 

Ironie du sort, le vieux continent est affecté : le virus a franchi les portes de l’Europe. Totale panique à bord. Ce qui arrive aux autres peut nous atteindre, c’est du sérieux lorsque les vieilles démocraties sont touchées. La gravité de la crise est réelle lorsqu’elle s’est transformée en une pandémie mondiale. Certes, les pays en développement ne bénéficient pas du même poids de communication que les pays occidentaux. Cependant, la crise a révélé une autre facette, celle de la limite du système capitaliste. Un blackout. Arrêt de l’activité économique. Des mesures sanitaires exceptionnelles sont prises, mais trop tardives (en particulier en France, contrairement à l’Allemagne où le dispositif sanitaire est des plus performants). Pour couronner le tout, l’armée vient en aide aux infrastructures hospitalières. Pour autant, la guerre est déclarée contre un ennemi commun invisible qui frappe quasiment toutes les nations et seul est mis en place le dispositif de confinement comme seul vaccin contre celui-ci. Ce fléau s’attaque aux économies, les conséquences ne font que commencer et nul ne sait quand la situation reviendra à la normale.

 

Scénario catastrophe

Le problème devient plus préoccupant encore quand on se place dans le contexte du continent africain, ce dernier n’est en effet pas épargné par le virus, et se dessine un scénario catastrophe tant redouté dès le début de l’épidémie vu le manque d’infrastructures sanitaires, de personnels qualifiés dans le domaine de la réanimation. C’est la première fois dans l’histoire contemporaine que l’Afrique a eu une bonne attitude dans la gestion d’une crise aussi préoccupante que le Covid-19. Comparé à ce qui se passe en Europe ou aux Etats-Unis, l’Afrique a eu une bonne gestion de la crise sanitaire. Peu de pays ont été touchés jusqu’à présent, en espérant que cela persiste. Bien qu’il existe des morts liés au Covid-19, cela reste à des proportions moindres par rapport à l’Europe ou aux Etats-Unis qui comptent des dizaines de milliers de morts. L’Afrique a pris les devants dès la propagation du virus. Autre aspect important, si on raisonne dans la logique économique, est la part de l’Afrique dans la mondialisation limitée, ainsi  la fréquence des déplacements des individus par rapport aux autres continents est moins importante, ce qui a constitué une sorte de protection de la population africaine jusqu’à présent. Bien entendu, il est plus qu’essentiel que l’Afrique reste sur ses gardes. Le système de santé étant un des plus vulnérables au monde, le continent africain doit continuer à renforcer les mesures déjà mises en place pour lutter contre la propagation du virus. Les économies africaines seront les plus affectées par cette crise sanitaire et certains indicateurs tels que le PIB africain passerait de 3.2% à 1.8% en 2020 selon l’estimation du CNUCED (la croissance mondiale serait en baisse d’après les prévisions, l’Afrique ne sera pas la seule. En France, par exemple, on perd plusieurs points de pourcentage du PIB). La plupart des économies africaines dépend de façon majeure du commerce international. Un ralentissement de la croissance mondiale a un impact conséquent sur certains pays de ce continent et les premiers à sentir cet effet sont les pays occidentaux. Cette conjoncture ne fera qu’accélérer la récession existante. De surcroît, le manque de diversification de la majeure partie des économies africaines couplé au ‘’syndrome hollandais’’ ne feront qu’aggraver la situation dans la plupart des pays.  Un consensus se dégage. Aujourd’hui, il n’y a pas de gestion parfaite de la crise sanitaire mais il faut limiter les dégâts économiques et sociaux à tout prix.

 

Conjoncture incertaine

La Mauritanie n’est pas un cas isolé. Pour faire face à la situation, le gouvernement mauritanien et la Banque Centrale de  Mauritanie (BCM) ont pris des mesures économiques qui vont dans le sens d’atténuer les effets socio-économiques de la pandémie du COVID-19. D’une part, la BCM agit en baissant ses taux directeurs pour dynamiser l’investissement et la consommation. La BCM a décidé d’augmenter  les ressources à la  disposition  des banques afin de permettre à celles-ci de maintenir et d’accroitre le financement nécessaire à l’économie. Par exemple, une baisse du taux de facilité de prêt de 9% à 6.5% et une baisse des taux de réserves obligatoire de 7% à 5%. Ce sont des exemples d’instruments que la BCM a utilisés pour dynamiser l’économie. Vu l’incertitude radicale de la conjoncture où tous les signaux sont au rouge, les agents économiques réduisent leur niveau de consommation au profit de l’épargne. Dans ce cas, celle-ci est une épargne de précaution et donc forcée  sous l’angle de la période d’incertitude qui prévaut. D’autre part, le gouvernement mauritanien a annoncé la création d’un fonds national de solidarité sociale pour lutter contre la pandémie, montant estimé à 60 millions de dollars américains et a communiqué de façon stricte sur le confinement des citoyens. Le conseil d’administration du FMI a accordé à son tour des fonds de 370 millions de dollars américains qui aideront le pays à répondre aux besoins urgents en matière de balance des paiements, à élever les investissements dans le secteur de la santé, spécifiquement la « protection sociale » résultant de la crise sanitaire actuelle. Malgré les aides et la gestion relative par le gouvernement de la crise sanitaire, la croissance économique de la Mauritanie devrait se contracter de 2% en 2020 selon les projections du FMI. Le déficit budgétaire global, quant à lui, pourrait se creuser et atteindre 3,4% du PIB.

Assurément, l’impact de la crise sanitaire sur les pays développés et celui sur les moins développés seront distincts.

Les questions à se poser à ce stade d’évolution de la crise sanitaire sont les suivantes : quelle société devons-nous rebâtir après le covid-19 (au niveau de la protection sociale)? Quel regard devrons-nous porter sur la « mondialisation » ? Ne faut-il pas s’interroger sur les modèles économiques dominants d’aujourd’hui ? Ne faut-il pas mettre le climat au cœur du débat public ? Il serait complexe dans l’état actuel d’apporter à ces problématiques des réponses uniques et concrètes.

La crise sanitaire n’est pas encore passée, mais des enseignements peuvent nous aider à préparer l’après covid-19.Notre monde après la crise sanitaire ne résistera pourtant pas à un examen comparatif du vécu de chaque pays ayant traversé ce traumatisme. Il est primordial et nécessaire que les Etats-Nations mènent des réflexions approfondies sur la façon de construire une  société plus juste et plus soutenable où l’être humain en tant que tel, est au centre de toutes les décisions : davantage de services publics, autrement-dit, la santé et l’éducation pour tous. Cependant, l’économie du marché s’oppose à ce type de démarches. La mondialisation dans sa globalité est en grande partie responsable de l’extension du covid-19 avec des flux touristiques massifs aux quatre coins de la planète à la recherche  d’une curiosité historique unique sans prendre le temps d’apprécier les choses. Et à son tour, le capitalisme est incapable de répondre à cette pandémie correctement, ce qui le reléguera au bas des modèles économiques prétendument fiables. Depuis des décennies, la science économique reste dominée par la théorie classique ou néoclassique. Certes, cette théorie a montré des limites dans sa conception, surtout sur l’idée d’auto-régulation des marchés. La crise financière de 2007-2009 avait révélé que l’efficience informationnelle ne suffisait pas et que l’intervention de l’Etat était nécessaire pour une meilleure régulation. De même, pour la crise sanitaire actuelle, la globalisation financière et la mondialisation ont montré leurs limites. Le capitalisme a des défaillances, mais après tout il reste la théorie dominante, bien qu’il faille aujourd’hui redéfinir la science économique en y intégrant les aspects écologiques. Finalement, il faut anticiper les dangers qui nous guettent, sanitaires et climatiques.

Une conviction certaine : la démarche centrale viendra des Etats les plus audacieux mettant au goût du jour le dispositif du « revenu universel » comme instrument d’ajustement en  période de crise économique. L’Histoire nous a appris que nous sommes plus liés à notre ADN qu’à notre conscience.  Nous répétons en effet souvent les mêmes erreurs face aux crises.