Le spectre de la famine en Mauritanie : Une lame de fond en formation (suite et fin)/Par Moussa Hormat-Allah, Professeur d’université, lauréat du Prix Chinguitt

16 July, 2020 - 01:31

Dans la première partie de cette étude (publiée dans Le Calame 1210 du mercredi 7 juillet 2020), le professeur Moussa Hormat-Allah a évoqué la Mauritanie avant la sécheresse: un mode de vie idyllique, d'une quasi autarcie à la famine. Il a poursuivi avec un second chapitre intitulé De la famine à la quête de la survie: Des populations sinistrées  convergent vers les centres urbains et les grands axes routiers. Avant de la clôturer par un autre sous le titre : Faute de moyens et en l'absence d'une politique efficiente, les régimes successifs n'ont pas prisla vraie mesure de ce drame.

 

 

Vers un retour à la bonne gouvernance, dans la lignée des pères fondateurs ?

Les agissements irresponsables de ces gouvernants ont perduré plusieurs décennies, et ont eu pour conséquences, un détournement systématique des maigres ressources de l'Etat au détriment d'un peuple qui se meurt lentement en raison, notamment, d'une famine chronique.

Face à de tels agissements surréels, que dire? Il est bien loin le temps où des ministres de retour d'une mission à l'étranger, reversaient au Trésor, le reste de leurs perdiums. Il est bien loin le temps où un ministre des finances, limogé, est jeté en prison pour avoir perçu une prime controversée d'un montant de 70.000 ouguiyas (soixante-dix mille). Il est bien loin le temps où un président, après 18 ans à la tête de l'Etat avait, en tout et pour tout, dans son compte bancaire moins de 100.000 (cent mille) ouguiyas et une villa, construite grâce à un prêt bancaire, qu'il a mise, gracieusement, à la disposition de l'Etat pour héberger les hôtes de passage.

Il est bien loin le temps où ce même président, à la veille du coup d'Etat qui l'a écarté du pouvoir demandait à un entrepreneur mauritanien de l'embaucher dans sa société. cf. La série d'entretiens accordés par l'homme d'affaires, Bamba OuldSidi Badi à la télévision Athaghavia, mois d'avril 2020, repris, par la suite, par la télévision nationale Almouritania. L'intéressé a dit que le président Mokhtar qui était au courant du putsch, lui avait fait cette surprenante requête 48 heures avant le coup d'Etat.

Le président ne pensait, sans doute pas, qu'il allait être arrêté et privé de sa liberté. Car le seul grief qu'on pouvait lui reprocher est celui d'être entré en guerre – certes avec les modestes moyens du bord – pour défendre une intégrité territoriale, chèrement acquise.

Quoiqu'il en soit, à partir de 1978, une page s'est refermée et une autre s'est ouverte. Autant l'avant 1978 était l'époque de la construction frénétique du pays sur fond d'une grande intégrité morale, autant l'après 1978 fut l'époque de l'affairisme, des compromissions et du laxisme dans la gestion des affaires de l'Etat. Une pratique et des méthodes qui ont pris le pas sur la bonne gouvernance de naguère.

La Providence a voulu qu'après plus de 40 ans de régimes militaires, un homme, probablement, un sauveur, vient de prendre les rênes du pays. Il s'agit d'un homme de compromis, car il tient à la fois, par sa sagesse et son savoir du zaoui et du militaire par sa rigueur et son obsession pour le travail bien fait.

C'est dire, sans flagornerie aucune, comme le font les thuriféraires habituels à chaque changement de régime, que le Président Ghazwani – car c'est bien de lui qu'il s'agit – de par son éducation, son tempérament et ses qualités intrinsèques est à même de redresser, à nouveau, la barre et de maintenir d'une main ferme le cap de la bonne gouvernance, dans la lignée de pères fondateurs. Comment? D'abord prendre acte d'un constat: jusqu'ici, les gouvernements successifs, loin de prendre le problème à bras le corps, se sont contentés d'une politique de replâtrage sur fond d'un immobilisme coupable. Avec des mesures sociales dérisoires, ici ou là, pour refréner les velléités d'un courroux populaire latent. En clair, acheter la paix sociale. Une technique érodée qui, faute de mieux, se répète, souvent, au gré de la succession des régimes. Un peu comme si les appréhensions inhérentes à la colère des gens, vont s'évanouir, comme par enchantement, avec le temps.

Avec le nouveau régime, il faudra quelque chose de tangible, de concret. Une perspective claire, même si sa réalisation devra prendre un certain temps. Par ailleurs, il faudra intégrer une donne: le président ne peut pas tout faire, tout seul. Il donne des directives et trace un cap, mais il n'a pas à ramer. L'appareil d'Etat doit s'ébrouer et les branches pourries coupées. Les hauts responsables de l’appareil d’Etat, dès leur nomination ont, en général, une feuille de route toute tracée : S’égosiller à faire l’éloge du président à tout bout de champ, lui montrer un attachement, souvent, feint et, surtout, se servir au lieu de servir. Tant que cette mentalité mercantile prévaut dans les hautes sphères de l’Etat, il serait illusoire de croire que les derniers publics seront à l’abri de ces prédateurs voraces.

Certains présidents ferment les yeux sur de tels agissements, voire les encouragent. Il y a de cela, plusieurs années, déjà, un ancien Haut-commissaire au CSA est tombé gravement malade et devait être évacué en urgence à l’étranger pour subir une opération chirurgicale. Quelqu’un en a informé le président, en précisant que l’intéressé et sa famille n’ont aucun moyen financier pour faire face à une telle situation. Le chef de l’Etat, le plus naturellement du monde, lui répondit : ‘’Comment ça ? Il n’a pas d’argent ! Je lui ai donné le CSA…’’.

Rompre les amarres avec ces pratiques détestables d’antan est une priorité avec, en ligne de mire, un objectif: réduire les inégalités par un nivellement de la société par le bas. En un mot, instaurer une justice sociale avec une redistribution plus équitable de la richesse nationale. C'est là, à notre avis, la condition sine qua non pour consolider les fondations de l'édifice national. Car force est de reconnaître que l'unité et la cohésion nationales ont été mises, ces derniers temps, à rude épreuve, sur fond de fortes tensions interethniques. Pour se faire, il faudra trouver des pistes novatrices qui sortent des sentiers battus et rebattus pour une amélioration clairement perceptible du niveau de vie et du pouvoir d'achat de la masse des citoyens et, surtout, trouver les moyens pour les financer.

Dans cette optique, et avant d'aborder les moyens de financement, la première chose à faire serait, peut-être, de réfléchir sur l'outil, c'est-à-dire, la structure qui sera chargée de gérer cet important projet.

Il s'agira d'une priorité nationale. On pourra penser à un super département ministériel, érigé en Ministère d'Etat, chargé de l'éradication de la pauvreté. Pour marquer les esprits et pour montrer l'importance que revêt, aux yeux du président, ce ministère, son titulaire, devrait être le numéro 2 du gouvernement. Sur le plan protocolaire, il viendra juste derrière le premier ministre. Ce nouveau département regroupera, entre autres, le CSA, Taazour et les autres agences et administrations chargées de l'insertion sociale ou des aides aux démunis.

Ce ministère serait un peu à l'image de celui qui fut, spécialement, créé, au lendemain de l'indépendance pour superviser la construction de la route de l'espoir entre Nouakchott et Néma. Sa dénomination officielle était "Le ministère de la Route".

Outres les moyens financiers déjà affectés par l'Etat au CSA, à Taazour et autres agences d'insertion, ce ministère sera alimenté, en grande partie, par deux mamelles nourricières, si les projets inhérents à celles-ci venaient à se concrétiser.

 

  • L'Administration Nationale de la Zakat (ANZ)

Le budget de l'ANZ sera, probablement, aussi important que celui de l'Etat lui-même. Il se chiffra, sans doute, en centaines de milliards d'anciennes ouguiyas. Avec cet apport colossal en argent frais, l'ANZ permettra d'améliorer le niveau de vie des classes sociales démunies, contribuant ainsi à apaiser et à calmer les tensions.

Outre le fait qu'elle viendra alléger considérablement les dépenses sociales de l'Etat: construction d'universités, d'hôpitaux, de routes, revalorisation des salaires des petits fonctionnaires civils et militaires…, le produit de la zakat apportera aux nombreuses personnes éligibles, un revenu mensuel constant de 50.000 ouguiyas pour l'éradication de la pauvreté. Pour de plus amples détails, se référer à mon étude parue il y a quelques mois dans Le Calame intitulée: Comment éradiquer les fléaux de la pauvreté et de la précarité en Mauritanie et alléger considérablement les charges sociales de l'Etat? Un moyen original et inédit: L'Administration Nationale de la Zakat.

 

  • Mise en valeur agricole optimale de la vallée du fleuve Sénégal

La Mauritanie dispose d'importantes potentialités agricoles tout le long du fleuve Sénégal. Des terres irriguées ou irrigables qui ne demandent qu'à être mises en valeur. Pour une exploitation optimale de ces immenses domaines, l'Etat doit trouver un partenaire fiable.

La Chine compte près d'un milliard et demi d'habitants. Le gouvernement de l'Empire du Milieu doit veiller à nourrir toutes ces bouches. Une mission particulièrement difficile si on sait que la Chine possède seulement 7% des terres arables du monde. De surcroît, les sols chinois sont de qualité moyenne et un sixième de cet énorme territoire serait pollué. Circonstance aggravante, la population chinoise est en augmentation constante après la fin de la politique de l'enfant unique. Car Pékin a compris que le vieillissement de la population constitue un réel danger pour son développement économique.

Pour pallier cette grave pénurie de produits agricoles, Pékin a érigé en priorité nationale, l'acquisition et l'exploitation de terres agricoles à l'étranger. Les chinois possèdent déjà 10 (dix) millions d'hectares de terre cultivés hors de leurs frontières. Dans les cinq continents.

De par son potentiel agricole et ses anciennes et solides relations d'amitié avec Pékin, la Mauritanie devrait, en toute bonne logique, être au centre de cette ouverture commerciale de l'Empire du Milieu, notamment en Afrique.

S'il venait à se réaliser, ce partenariat agricole avec la Chine pourra engendrer une métamorphose en profondeur de l'économie mauritanienne. Comment? La Mauritanie dispose le long de la vallée du fleuve Sénégal d'un potentiel irrigable de 137.000 hectares dont 33.600 hectares aménagés. Sans compter les dizaines de milliers d'hectares irrigués par le nouveau chenal de l'AftoutSahli. Les chinois créeront, probablement, des méga-fermes avec quatre pôles de collecte à Sélibaby, Kaédi, Boghé et Rosso. Avec un objectif précis: créer des infrastructures pour récolter, trier, stocker et conditionner: fruits, légumes, céréales, farine, canne à sucre, viande et lait. Toutes ces marchandises seront, probablement, acheminées, par voie fluviale vers les énormes entrepôts qu'ils construiront, vraisemblablement, au port de Ndiago avant leur transport par bateau vers la Chine.

Dans la foulée, les chinois créeront ainsi des milliers d'emplois (directs ou indirects) et plusieurs centres de formation professionnelle.

Outre le développement du tourisme et des activités commerciales dans ce nouveau pôle économique, un tel projet pourra engendrer une autosuffisance alimentaire pour la Mauritanie. Dans la pratique, les chinois exportent vers la Chine l'essentiel de leur production sur les terres cultivées à l'étranger. Toutefois, ils vendent une partie de cette production dans le pays d'accueil. La Mauritanie pourra ainsi faire l'économie des précieuses devises qui servent à importer les denrées de première nécessité pour ravitailler le marché national.

Ce partenariat agricole avec la Chine, s'il venait à voir le jour, pourra, non seulement, contribuer de façon radicale à endiguer le fléau de la faim en Mauritanie, mais en plus, créer beaucoup d'emplois et engendrer une autosuffisance du pays en produits agricoles et agro-alimentaires.

La sécurité alimentaire apparaît comme une urgence absolue pour la Chine. Forts de leurs fabuleuses ressources financières et d'une main d'œuvre qualifiée, les chinois ont tout misé pour en assurer la pérennité.

S'agissant de la Mauritanie, nombre de facteurs historiques mais aussi stratégiques avec l’ouverture de la Chine vers l’Afrique, militent pour que notre pays, avec la mise en valeur agricole optimale de la vallée du fleuve Sénégal, soit l'un des pourvoyeurs de l'Empire du Milieu en produits agricoles.

Une commission d'experts pourra être créée pour préparer un dossier aussi exhaustif que possible sur la faisabilité de ce projet avec une feuille de route claire pour atteindre les objectifs visés. Un dossier bien ficelé qu'on remettra au président de la République pour un éventuel voyage en Chine pour la signature des contrats. Naturellement, le ministre des Affaires étrangères devra se rendre au préalable, sur place, pour préparer le terrain. Pour chapeauter ce projet, on devra, par ailleurs, créer une agence nationale de l'agriculture (ANA).

Pour de plus amples détails sur ce projet, se référer à mon étudeparue dans Le Calame sous le titre: De la terre mauritanienne à la table chinoise.

Le partenariat pour la mise en valeur agricole de la vallée du fleuve Sénégal, pourra aussi être envisagé, le cas échéant, avec la Turquie, l’Egypte ou un pays du Golfe…

Avec la réalisation des deux projets structurants, cités plus haut: L'Administration Nationale de la Zakat et l'Agence Nationale Agricole, on pourra réduire, voire annihiler le fléau de la famine en Mauritanie.

Sur un plan psychologique, la simple annonce de ces deux projets, mettra du baume au cœur de nombre de citoyens meurtris et provoquera, sans doute, chez eux l’espoir, désormais, bien réel, qu’au-delà des promesses sans lendemain de jadis, leurs conditions de vie vont, effectivement, s’améliorer. Ce sera, si tout va bien, une question de 6 à 12 mois. Le temps de tout mettre en place.

Ce sera aussi pour l’Etat une belle opération de marketing politique et un répit qui, vraisemblablement, va reléguer au second plan les tensions interethniques et atténuer les fortes angoisses, inhérentes à une situation économique et sociale, pour le moins difficile.

Cette expression ‘’lutte contre la pauvreté’’ ne sera plus alors une notion vague, abstraite qu’on a toujours évoquée, ici ou là, sans jamais lui donner un contenu concret. Avec ce projet, elle sera visible, car elle prendra les traits d’un ministre d’Etat qui sera assis, en conseil, toutes les semaines, à la gauche du président.