Monsieur Ahmedou Ould Moustapha décline ici une analyse percutante qui remet en question beaucoup de certitudes et de croyances fortement établies.
Des lois immuables de l’Histoire aux pertinents indicateurs comparatifs de l’économie, en passant par les inflexions de la géopolitique, il met en évidence quelques tendances lourdes pour cerner les véritables enjeux de cette vive tension qui se déroule sous nos yeux entre les Etats-Unis et l’Empire du Milieu.
Il nous explique surtout la sérieuse menace qui se profile sur le destin des Etats-Unis au niveau de l’échiquier international ainsi que les vraies raisons des déclarations à la fois erratiques et oscillatoires du président Trump à l’encontre de la Chine.
Et pourquoi ne pas l’écrire ? L’Amérique a peur
Après cette mise au point sur les inflexions de la géopolitique, venons-en maintenant à la deuxième catégorie de tendances lourdes dont il est question dans cette esquisse : Tout le monde sait que le destin des Etats-Unis sur l’échiquier international est maintenant ébranlé, leur statut de première puissance économique est rudement menacé par la montée fulgurante et décisive de l’Empire du Milieu. Et pourquoi ne pas l’écrire ? L’Amérique est inquiète, elle a même peur : de ce qui précède et surtout au vu de ce qui va suivre, il ne lui reste plus qu’un seul levier de puissance impériale, le dollar, qui demeure certes suffisant et redoutable mais qui est lui aussi menacé par le processus de dédollarisation engagé par la Chine et la Russie. D’autres pays songent pareillement à se détacher de la monnaie américaine dans leur circuit d’échanges commerciaux, notamment en Asie centrale et au sein des BRICS, pour éviter l’instrumentalisation abusive qui en est faite à coup de menaces de sanctions brandies à tout va, contre tout le monde et pour n’importe quoi, même les plus fidèles alliés de Washington ne sont pas épargnés. C’est pourquoi ils imaginent désormais un nouveau mécanisme financier, qui ne serait pas lié au dollar, pour opérer des échanges commerciaux avec des pays comme l’Iran, illégalement soumis à l’embargo américain, contournant ainsi les sanctions de Washington.
Epée de Damoclès
Oui, tous les pays soucieux de leur souveraineté politique et de leurs intérêts économiques cherchent maintenant à sortir des griffes du dollar !
Cette épée de Damoclès sur leur tête est insupportable et inadmissible, elle ressemble à une forme de terrorisme économique et doit prendre fin pour que le monde retrouve ses équilibres nécessaires ; d’autant plus qu’elle est née d’une double manipulation politique et monétaire, presque frauduleuse, qui peut se résumer comme suit :
Les Accords de Bretton Woods sont nés en 1944, les pays signataires ayant alors convenu d’arrimer leur monnaie au dollar américain et les Etats-Unis, eux, d’adosser leur monnaie à l’or : soit un dollar vaut une once d’or ; laquelle once représente sa garantie et doit se retrouver physiquement dans les coffres de la Banque Centrale américaine (FED).
Mais en 1971, les Etats-Unis décidèrent unilatéralement (c’est finalement leur trait de caractère) de sortir de ces Accords en abandonnant la convertibilité du dollar en or, ce qui eut pour conséquence sa forte dévaluation…
En 1973,suite au choc pétrolier qui provoqua une hausse vertigineuse des prix du baril libellés en dollars et au taux de change de celui-ci qui continuait encore à glisser à la baisse, les producteurs des matières premières tentèrent alors de trouver une alternative à cette détérioration des termes d’échanges ; d’où l’entrée en scène de l’ex Secrétaire d’Etat américain, Henri Kissinger, pour mettre en œuvre sa manipulation politique en demandant à l’Arabie saoudite (qui ne peut rien lui refuser) d’exercer une pression sur les membres de l’OPEP afin que le dollar puisse rester leur unique monnaie d’échanges, sachant bien que le pétrole avait un effet d’entraînement sur les autres matières premières.
C’est de là qu’est né le concept des pétrodollars qui trouvèrent ainsi tout leur poids et toute leur ampleur dans les échanges internationaux, compte tenu de l’importance du volume de l’or noir dans ce commerce mondial, ce qui a permis au billet vert d’acquérir de facto la double fonction de monnaie d’échanges et de monnaie de réserves plus tangible même que le métal jaune, sans aucune justification physique (en or) comme contrepartie…
Marché ultra-spéculatif
Depuis, les Etats- Unis dépensent comme ils veulent, empruntent et explosent leur dette publique de façon abyssale comme ils veulent, financent sans limites leurs guerres répétitives et autres choses encore. La conséquence de cette permissivité est que tout cela est engagé sur le dos des autres pays, le statut du dollar permettant au gouvernement américain de recourir à la planche à billets chaque fois qu’il ressente le besoin, et ceci sans coup férir…
Mais ce système a trop longtemps duré, il ne peut plus continuer car il a engendré un modèle économique qui a atteint ses limites, sonnant comme la fin de l’’’américanway of life’’ fondé sur le consumérisme qui consiste à acheter et consommer n’importe quoi et toujours plus. C’est le triomphe du marketing qui a changé les modes de consommation. Ce modèle a également changé la nature du capitalisme : l’économie productive ou réelle, génératrice de croissance et d’emplois par nature, s’efface de plus en plus devant sa financiarisation et se retrouve désormais soumise à un marché ultra-spéculatif qui n’investit plus dans la durée, et ce changement n’est propre qu’à produire plus de dividendes sur des activités moins génératrices d’emplois
La mondialisation a accéléré cette évolution qui a conduit les pays occidentaux à s’engluer dans une crise économique qui présente tous les signes d’une crise durable et qui a provoqué une nouvelle situation où les entreprises se délocalisent, se ferment ou changent d’activités pour se convertir dans d’autres activités (financières ou technologiques) qui absorbent moins de main-d’œuvre tout en ayant un plus fort potentiel de rentabilité, d’où les riches qui s’enrichissent de plus en plus et le chômage qui se généralise de plus en plus, conduisant ainsi à l’appauvrissement progressif des classes moyennes et à la précarisation des classes d’en bas.
Tel est le paradoxe de la mondialisation : à la fois pleine d’opportunités heureuses et de déconfitures douloureuses. Toute la question est de savoir la dompter pour l’orienter dans la bonne direction, sans aucune interférence du monde de la finance qui en est aujourd’hui le plus grand bénéficiaire, du moins en Occident, pace qu’il y est aussi le principal détenteur du pouvoir.
Quant à la Chine, elle a parfaitement pu s’en accommoder et en a largement tiré profit, avant et dès son entrée à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), en 2001, parce que le pouvoir en Chine est l’apanage de l’Etat qui n’est aucunement influencé par les lobbys et autres forces occultes ou souterraines.
En comparaison, l’Administration américaine est bien sous l’emprise des puissants lobbys économiques et financiers qui y exercent le pouvoir profond dans l’ombre de ses corridors, comme dans beaucoup d’autres pays, notamment en Europe. Sauf qu’à la différence de ces derniers, ce sont les Etats-Unis qui souffrent le plus de la convergence des tendances déclinées plus haut et de la plus lourde d’entre elles qui fait l’objet des lignes suivantes, dont la teneur à elle seule explique toute l’inquiétude du gouvernement américain se traduisant quotidiennement dans des déclarations oscillatoires qui cachent mal les gesticulations actuelles du président Trump à l’encontre de la Chine.
Le leader du monde occidental tremble en effet, parce que la Chine s’est réveillée, pour reprendre la célèbre formule d’Alain Peyrefitte[1].
Cela dit, si toutes les tendances ci-dessus évoquées étaient considérées comme des approximations factuelles, alors voici une réalité concrète, attestée en chiffres parles institutions internationales[2] les plus autorisées en la matière, qui sera sans nul doute beaucoup plus convaincante et plus à même d’aider à mieux comprendre les raisons de cette inquiétude.
[1] Ancien ministre et académicien français, auteur de : Quand la Chine se réveillera, le monde tremblera. La formule de ce titre est en réalité empruntée de Napoléon Bonaparte qui en est le véritable auteur..
[2] Il s’agit de la Banque Mondiale, du FMI, de l’OMC, de l’OCDE et autres centres d’études économiques de renommée mondiale dont des instituts universitaires américains de grande réputation : il suffit de naviguer sur Internet pour découvrir toutes les données et indicateurs mentionnés ici.