Le Calame a voulu partager avec vous, chers lecteurs, cette lettre de félicitations envoyée par Moussa Fall à Ahmed Killy Ould Cheikh Sidiya pour la sortie de son livre « Un Certain Parcours »
« Cher Ahmed,
Je te remercie pour l’exemplaire du livre « Un certain parcours» que tu as bien voulu m’envoyer.
Comme ma proximité avec toi m’a permis d’avoir la primeur de certains faits qui y sont relatés, je m’attendais à lire une autobiographie anecdotique relatant une enfance choyée, un parcours scolaire et universitaire élitiste, une carrière publique précoce, dans un premier temps, puis sporadique par la suite, un mode de vie sobre et maitrisé qui force l’estime de ceux, nombreux, dont je suis, qui n’arrivent pas à se l’imposer.
A la lecture de ce premier tome je découvre que sous des dehors affables se cache une toute autre personne. On dit souvent que « sous le mou se cache le dur ». Ici derrière les apparences volontairement modestes se cache une grande maitrise de la langue française très peu partagée de nos jours, une culture dense et variée, et une capacité de réflexion qui donne une lecture analytique approfondie de faits historiques ayant marqué la vie de notre jeune Nation.
Ecriture limpide
Ce premier tome est attachant tout d’abord par la limpidité de son écriture. Un style lisse, rare, avec un vocabulaire et des citations de penseurs anciens et modernes qui enrichissent le texte, valorisent et clarifient les idées de l’auteur. Des tournures de phrases reflétant un talent littéraire de qualité.
Le témoignage sur l’enfance permet de découvrir le quotidien des habitants d’un lieu mythique, pour nous autres natifs du village, et d’entrée dans l’intimité, jusqu’ici inaccessible, d’une famille prestigieuse. On suppose ici que la pudeur a occulté les aspects qui distinguent pour ne parler que de ceux, ordinaires, communs à tous. En dehors des dimensions de tente du Chef, le train de vie au quotidien reste marqué par la modestie et le respect toujours, la considération parfois, pour les plus humbles. Peut-être que c’est là que réside l’un des secrets de la grandeur. Une grandeur certes transmise, mais que perpétuera la hauteur de vue d’Abdallah (Ould Baba Ould Cheikh Sidiya, grand-père maternel d’Ahmed Killy, NDLR). N’est-il pas le fondateur de l’Institut de Boutilimit qui a formé une bonne partie de l’élite du pays ? N’est-il pas le promoteur de la première école primaire dédiée aux filles en Mauritanie ? N’est-il pas le premier-sinon le seul - à avoir contribué au financement de projets d’alimentation en eau de la Mecque ?
Les témoignages portés sur les présidents qui ont dirigé le pays sont un autre moment fort de ce livre. Bien sûr tout n’a pas été dit, retenue culturelle et atavique oblige, mais ce qui a été dit l’a été avec sincérité, sans parti pris et sans subjectivisme. L’austérité de Moctar est devenue légendaire de même que son détachement par rapport au matériel. Son sens de l’État, son nationalisme non ombrageux, son bon sens tout court, lui ont permis de donner au pays un rayonnement international inégalé et de le diriger d’une manière aujourd’hui appréciée de tous. Les hommages qui lui ont été rendus jusqu’ici restent certainement insuffisants au regard de l’œuvre accomplie. Nul doute que la Nation lui réservera dans le futur, d’autres manifestations de reconnaissance.
Le verbatim reprenant les interventions du Président Maaouiya en conseils des ministres nous renseigne sur la perspicacité des idées développées sur l’incitation au travail, sur la nécessité de l’industrialisation du pays, sur l’importance de l’instruction, sur l’entrée dans la modernité et la mondialisation, sur le bon fonctionnement de l’administration…etc. Si toutes ces idées avaient été appliquées avec conséquence, le pays aurait franchi des pas impressionnants. Mais l’écart peut être profond entre les intentions et l’exercice réel du pouvoir, surtout en périodes de troubles comme celles connues durant ces deux décennies : les drames intercommunautaires et l’entrée dans un système démocratique nouveau, encore non maitrisé.
Fins de règne chaotiques
Pour les autres Présidents, le silence observé ne se commente pas, surtout si, comme je le suppose, il est délibéré.
Mes dernières observations portent sur certaines réflexions et analyses que j’ai trouvées dignes d’être soulignées.
La première réflexion porte sur les développements relatifs à la fonction présidentielle, à son ingratitude, à ses contraintes mais aussi, paradoxalement, à ses attraits pour certains. La question posée de savoir pourquoi les bilans des présidents s’apprécie plus sous l’angle des réalisations physiques que sous celui des réalisations immatérielles est, à mon avis, d’une grande pertinence. J’ai toujours pensé que le plus grand bien que peut apporter un président à son peuple est la qualité de son niveau d’instruction. Hélas, en comparant celui que nous avions connu à l’époque et le système dans lequel évoluent nos enfants et petits-enfants on ne peut que déplorer la profonde dégradation constatée et, par voie de conséquence, porter un jugement défavorable sur les bilans des pouvoirs qui se sont succédé.
La seconde observation porte sur les méfaits du parti unique. Une critique pertinente et systématique d’un vecteur d’une «pensée unique très médiocre » ; ne diffusant que « ce qu’on voulait entendre » et ressemblant à « une marche forcée vers l’étacide ». Le drame est que la nouvelle génération des partis-Etats reproduit, presque à l’identique, les méfaits reprochés au parti unique.
Je terminerai ces commentaires par l’excellente analyse du syndrome des fins de règne et plus généralement des fins d’époque. Une fin de règne peut -pas toujours- coïncider avec la fin d’une époque. En période de fin de règne, et pour paraphraser le livre, « le pays devient de plus en plus vulnérable, l’inspiration se tarit et le fatalisme s’installe ». « Le chef devient un simple spectateur passif, qui écoute mais n’entend plus, régnant sur le vide et le chaos ». Les fins d’époque, quant à elles, obéissent à des mécanismes plus complexes et plus profonds : « une gouvernance qui devenait obsolète » ; « de nouvelles générations qui assiègent les anciennes pour les supplanter » ; la demande d’un nouvel ordre correspondant au besoin d’émancipation de forces nouvelles pour s’imposer, le temps qu’émergent d’autres candidats à une nouvelle relève. En 1978, ces deux phénomènes ont coïncidé et l’analyse qui est faite dans ce livre est la plus pertinente qu’il m’ait été donné de lire.
Encore une fois félicitations et vivement le Tome 2
Avec mes salutations fraternelles et affectives
Nouakchott, le Dimanche 5 juillet 2020 ».
Moussa Fall