Le Wagf […] La Mauritanie […] – 21/Par Ian Mansour de Grange

8 July, 2020 - 23:32

Deux exemples fictifsvont nous permettre maintenant de cerner les modalités de fonctionnement de tels« waqfs associatifs ». Soit, d'une part, une association nationale engagée par ses statuts dans l'AMélioration de l'Environnement Citadin : nous la nommerons AMEC ; et, d'autre part, une association de quartier, Sud MesjidaNour, de la moughataa d'Arafat par exemple, visant à améliorer l'ensemble des conditions localisées de la vie de ses habitants.

L'AMEC a chiffré ses besoins de fonctionnement basique mensuel (personnel minimal, charges locatives et administratives) à cinq mille euros dont un dixième peut être régulièrement couvert par les cotisations de ses membres. Le montant des équipements mobiliers (communications, bureautique, etc.) est évalué à quelques quinze mille euros et, après présentation de son dossier auprès de divers partenaires potentiels, l'AMEC a obtenu leur aval de principe pour la mise en service de dix boutiques (dont trois offertes par un donateur privé), deux menuiseries et une boulangerie (1), dont les revenus serviront à assurer le fonctionnement basique de l'AMEC. Forte de cet aval, la commission des attributions du COMEDOHA dote en conséquence l'AMEC (2), inscrit l'opération au cahier de charges des partenaires impliqués, met, enfin, en rapport l'AMEC avec le service du ministère compétent (3) qui nomme un de ses agents, monsieur Mohammed ould Mohammed (4), représentant l'État au sein du waqf. Désormais l'association aura un interlocuteur privilégié dans toutes ses démarches administratives : le premier rôle de ce fonctionnaire est de facilitation (5).

Une démarche analogue inscrit l'AMEC au PANAMA ; le donateur (ou l'éventuel collectif des donateurs) en biens mobiliers nommant, pour sa part, un représentant, monsieur Dupont, au sein du conseil d'administration du waqf de l'association. Cette dernière propose de son côté un nâdhir gestionnaire des biens actifs (6) et délègue un nombre suffisant de ses membres (dont impérativement son comptable) au conseil d'administration, pour y obtenir une majorité simple : application du principe de la liberté d'entreprise, plus haut suggéré. Quoiqu'il n'y ait aucune confusion ni juridique ni administrative entre le conseil d'administration du waqf et celui de l'association proprement dite, la qualification probable – en tout cas, souhaitable –  des divers représentants des donateurs dans le champ des activités de l'AMEC multiplie les possibilités de synergie entre les deux conseils.

 

 

Réalités concrètes

C'est, au-delà de ses aspects sécurisants, le niveau le plus intéressant de la démarche, mettant en situation de communication régulière trois acteurs stratégiques de développement (7)à proximité immédiate des réalités concrètes. Nous disons trois acteurs mais cela peut être quatre ou plus : telle entreprise privée, spécialisée dans l'assainissement par exemple, ayant eu l'intelligence de s'impliquer dans la constitution du waqf (les trois boutiques citées plus haut)... Nous voilà en plein dans cet effort d'interconnexions multipliées entre le global et le local, condition impérative de la démocratie et du développement durable. Le tableau d'ensemble nous semble maintenant suffisamment esquissé. L'organisation des strates plus localisées coule de source.

L'association de quartier Sud-MesjidaNour regroupe soixante familles. Son domaine d'intervention est géographiquement limité, borné, au Nord par exemple, par l'association Nord-MesjidaNour qui compte, elle, quarante maisons : l'objectif de ces associations spécifiques n'est pas d'augmenter leur territoire ni le nombre de leurs membres mais de gérer de mieux en mieux leur espace et les relations vitales qui le parcourent. Aussi les effectifs de ces « solidarités de proximité géographique » seront à l'ordinaire compris entre quarante, au minimum, et quatre-vingt familles, au grand maximum (8) : les réunions régulières de l'assemblée doivent permettre à chacun de s'exprimer, sans imposer le marathon fastidieux des grands nombres.

Accès à l'eau, assainissement, voirie, électrification, service de santé, caisses d'entraide, éducation, formation, emploi, etc. : tous les secteurs de la vie quotidienne concernent l'association Sud-MesjidaNour. Elle comporte deux sections distinctes :l'une féminine et l'autre masculine ; dotées, chacune, de biens waqfs spécifiques (9) ; entretenant des actions communes et séparées, en relation multiple avec toute une variété de partenaires : l'association sportive  MesjidaNour, par exemple, dont la jeunesse participe régulièrement au « concours communal des quartiers propres » ; la coopérative féminine halpulaar de Boghé (10) qui commercialise une partie de sa production artisanale dans la boutique waqf qu'a obtenue l'association au marché 6ème ; la petite commune de Trifouillis-Les-Oies en France, qui s'est investie justement dans cette boutique waqf, par l'intermédiaire de ce monsieur Dupont déjà cité, originaire de Trifouillis, membre du GRET et représentant, nous le disions plus haut, les intérêts des ONG internationales au sein du conseil d'administration du waqf de l'AMEC.

L'AMEC a joué un rôle décisif dans la formation de l'association Sud-MesjidaNour. Missionnée avec huit autres ONG de même acabit par le CDHLCPI, en vue de couvrir Nouakchott d'un réseau complet d'associations de quartier, l'AMEC – épaulée sur le plan administratif par deux fonctionnaires dont une femme, nommément désignés, de la commune d'Arafat, et représentant, eux, l'État mauritanien – a étudié, mis en place et surveille les investissements des bailleurs de fonds, dans les six cents awqafs (11) de quartier répartis sur le territoire de la moughataa.

Ceux-ci ont permis de mensualiser en chaque quartier l'entretien et la conduite de trois ou quatre charrettes ; assurant, d'une part, la centralisation quotidienne des ordures dans une benne installée en bordure du goudron et dégagée deux fois par semaine par l’entreprise chargée de la collecte des déchets (12) ; et, d'autre part, la distribution de l'eau à prix constant et réduit, grâce à un budgétisation communautaire des bornes-fontaines, mensualisant à son tour leur gérant et leur entretien respectifs (13). On peut imaginer également un petit poste de santé doté d'une pharmacie ; un centre d'alphabétisation couplé à un mini cyber, réservé à mi-temps aux activités administratives de l'association, bureau du nâdhir, formations gestionnaires et informatiques, etc. ; l'autre mi-temps, en activité commerciale... Les priorités variant en fonction de chaque situation locale.

On pourrait insister également sur les capacités de capitalisation d'un tel système. Ainsi, à l'échelle de la moughataa, les trois cents associations de quartier cotisant en tontine, chacune vingt mille ouguiyas par semaine (section masculine et féminine, à  parts égales, par exemple), doteraient chacune de six millions d'ouguiyas tous les six ans, somme assez considérable à l'échelle de si petites structures. Une approche analogue en milieu rural devrait permettre d’y développer des dynamiques originales, tenant compte des contraintes spécifiques de la brousse, beaucoup plus limitée, en général, dans ses capacités économiques. Il y sera donc et plus particulièrement question d'attirer et de maintenir le plus longtemps possible des flux financiers au sein d'activités localisées au mieux bouclées. Les interfaces ville-campagne sus-évoquées seront en cette stratégie fortement dynamisées par des dotations systématiques de quelque bien actif en ville au bénéfice de ces solidarités rurales. C'est en effet, à partir de ces sources financières citadines, permanentes, que se construiront les plus-values rurales susceptibles à terme de contribuer à leur tour au développement des associations de quartier urbain.

En choisissant le mode « politique-fiction » pour suggérer tout à la fois la simplicité et la complexité des modes de gestion des awqafs associatifs, nous cherchions à susciter chez le lecteur spécialisé une attitude un peu décalée peut-être de ses habitudes : une fois constatés les faits et les besoins, imaginer, rêver les rôles et les fonctions, avant de les expérimenter et de les formaliser. Nous croyons qu'une telle approche globale est de nature à révéler très précisément les grandes, jusqu'aux petites, lignes de force, de partage et d'économie d'énergie, déterminant le cahier de charges du système, et ce, d'autant plus précisément que cette phase « imaginative » fait l'objet d'une plus large concertation, d'une « tempête de cerveaux », comme disent les Anglo-saxons. Nous nous en sommes tenus ici à une démarche positive. Mais la démarche inverse, consistant à critiquer sévèrement le rêve, à en imaginer les aspects pervers éventuels, n'est pas sans intérêt : elle permet parfois de prévenir, par quelque sage disposition de sauvegarde, de prématurées dégradations. S'agissant des awqafs dont la pérennité constitue une des plus essentielles vertus, de tels égards ne sauraient être superflus. (À suivre).

 

NOTES

(1) : L’option « boutiques » pour la constitution du waqf actif est certes contestable. Nous y reviendrons au chapitre 6 de la présente partie. Elle est ici donnée à titre indicatif, pertinent dans l’univers mental mauritanien, afin de permettre une rapide estimation de la situation évoquée.

(2) : En puisant dans le DOmaineHAboussé (DOHA) : c'est donc suggérer qu'une politique initiale d'équipement du Domaine ait été, en aval, initiée dans le cadre du COMEDOHA. Nous évoquerons ce dernier étage de l'hypothétique « maison waqf mauritanienne » au chapitre suivant.

(3) : Service déterminé en amont, nous le verrons au chapitre suivant, en fonction du champ d'opérations des donateurs.

(4) : Selon le principe « un dossier, un fonctionnaire identifié » qui tend à s'imposer de nos jours dans toutes les administrations modernes.

(5) : Uneprocédure simplifiée réduisant les démarches de l'association au seul COMEDOHA est envisageable lorsque la dotation s'inscrit dans un plan suffisamment détaillé entre les partenaires donateurs. Nous y reviendrons également au chapitre suivant.

(6) : Il nous semble en effet assez judicieux de renforcer la cohérence entre les recettes et les dépenses du système, en impliquant le nâdhir dans la vie de l'association : renforcement, en outre, de la cohésion  sociale.

(7) : Service de l'État, bailleur international, association nationale, tous trois spécialisés dans le même secteur d'activités.

(8) : Utile en milieu urbain, cette restriction perd beaucoup de sa pertinence en milieu rural : l'efficacité doit bien évidemment primer toujours sur l'organisation qui prétend l'assurer...

(9) : Ce qui signifie deux différents conseils d'administration des waqfs pour un seul conseil d'administration de l'association : pratique tout à fait islamique d'une fameuse parité tant sollicitée, parfois obtusément, sous des cieux plus résolument égalitaristes...

(10) : Dans la région du fleuve et dont quelques familles ont des liens avec ce quartier de Nouakchott : exemple typique d'une interface ville-campagne qu'il convient de développer puissamment, si possible dans un sens de cohésion intercommunautaire renforcée ; la boutique en question pouvant, par exemple, également commercialiser des produits issus de villages maures, soninkés, wolofs, etc. 

(11) : Dont la moitié pour les sections féminines ; le tout concernant ce seul projet du CDHLCPI. Mais d'autres waqfs, mettant en jeu d'autres partenaires, construits sur d'autres répartitions sociales (religieuse, par exemple, ou tribale),  ne manqueront évidemment pas d'élever le niveau de vie des quartiers, en favorisant par ailleurs les plus dynamiques interférences entre ceux-ci.

(12) : En relation directe, à Arafat, avec les deux fonctionnaires communaux sus-évoqués.

(13) : Une borne-fontaine desservant environ trois cents foyers, on peut concevoir aisément la part de chaque waqf des quartiers concernés, nécessaire à ce bon fonctionnement. Notons qu'un tel procédé serait de nature à situer et maintenir rapidement le prix du m3 « charrette » au même niveau que celui « citerne »...