L’avion volait à une altitude moyenne au-dessus de Legrara. Bien calé dans son siège, le pilote, qui, pendant les reconnaissances ne mettait jamais le pilotage automatique, tenait le manche de l’avion à deux mains. De temps à autre, il jette un coup d’œil sur les instruments de bord pour s’assurer qu’ils fonctionnent normalement. Il communiquait avec son copilote et son mécanicien par l’intermédiaire de casque-écouteurs qui les isolaient du vacarme du vrombissement assourdissant de l’avion. L’avion avait décollé ce Mercredi 31 juillet 1977 pour reconnaitre le quadrilatère Awsred – Enneggir - Adrar Soutouf – Gleibat Legleye. La veille, une sonnette faisant face à Tedherdhourt, un mouvement de terrain situé à 8 km à l’est d’Awesred, avait signalé une lumière à l’est de sa position. A dix minutes de Bir Guendouz, le pilote entama sa descente pour arriver à une altitude lui permettant de mieux observer la zone. Il survola le fortin de Bir Guendouz puis vira en direction de l’est pour survoler l’Adrar Soutouf, un massif montagneux qui s’étend de Bir Guendouz jusqu’à Tichle. L’avion, un Defender, vibra sous l’effet de l’attraction de la chaine de montagne, le vrombissement devint plus fort et les mouvements ascendants et descendants de l’avion s’accentuèrent donnant l’impression d’un vieux camion roulant sur des nids de poule, puis les ailes vibrèrent à se rompre. Les trois occupants de l’avion étaient tendus, comme à chaque fois que le petit avion entrait dans une zone de turbulence. Arrivé à la verticale de Tichle, l’avion bifurqua vers le nord-est. Pendant tout son vol, l’avion n’avait rien remarqué d’anormal. Chacun des occupants scrutait le terrain de son hublot. Lorsque l’avion arrive à la verticale de Gleibat Legleye, l’avion remarque des véhicules à l’arrêt. Il fit demi-tour pour préciser l’observation. A la vue des véhicules légers équipés d’armes, il remonta en chandelle, pour reprendre une altitude lui permettant de mieux les observer sans s’exposer à un tir anti aérien. L’équipage dénombre quinze véhicules légers. Le pilote en rend aussitôt compte au commandant du secteur d’Awsred, le capitaine Sidiye Ould Yehye, un baroudeur, plusieurs fois cité et nommé au grade de capitaine à titre exceptionnel pour faits de guerre.
Sous-groupement à découvert
La 1ère Région Militaire venait juste de procéder à une réorganisation structurelle sous le commandement de Colonel Viah Ould Mayouf, une figure emblématique des forces armées mauritaniennes, mais surtout de la guerre du Sahara. C’est sous son commandement que la conquête de la Tiris El Gharbia s’est effectuée. La restructuration introduisait un nouveau concept, la monovalence au niveau des éléments de manœuvre. Le sous-groupement expérimental, de structure quaternaire comprenait une unité dotée en G3 (armes d’assaut), une unité dotée en mitrailleuses 30, une unité dotée en mitrailleuses 50, une unité dotée en mortier 81m/m et une batterie d’artillerie de compagne dotée de 105 HM2 et de 106 SR.
Il était 10h30 lorsque le capitaine Sidiye, commandant le secteur d’Awesred reçoit le compte-rendu du pilote. Après une prise de contact avec le commandant de Région, en liaison à Inal, le sous-groupement est mis en branle pour la préparation au combat.
Aux environs de 12h00, le sous-groupement démarre en direction de Gleibat Legleye, non sans avoir effectué au passage une reconnaissance de Tedherdhouret pour vérifier le renseignement de la veille. C’est vers 15h00 que les éléments de tête rendent compte au commandant de sous-groupement qu’ils étaient en contact visuel avec l’ennemi qui tenait déjà les points forts du terrain avec un dispositif étanche, face à un sous-groupement à découvert et en mouvement sur un billard.
Une trentaine de minutes auparavant, l’avion qui survolait en permanence l’ennemi annonça qu’il était en fin de potentiel et qu’il rentrait à Zouerate, une source précieuse de renseignements et un facteur prédominant dans la manœuvre qui manquera cruellement au sous-groupement. La zone d’accrochage est un terrain plat parsemé d’une dizaine de guelbs en demi-cercle dont les plus déterminants dans la manœuvré étaient Touama Legleye au sud-ouest et un guelb au sud-est qui constituaient les pointes avancées de la mâchoire. Les quinze véhicules signalés par l’avion n’étaient en fait qu’une pointe de l’avant-garde de l’ennemi dont le gros ne se manifestera qu’après le départ de l’avion. Le gros de l’ennemi était-il sur place et bien camouflé? Très peu probable, une centaine de véhicules, quelque soit l’art de camouflage ne pouvait passer inaperçue. Ou bien le gros de l’ennemi était-il en mouvement d’approche pour n’arriver qu’après le départ de l’avion? Tout porte à le croire. Des questions qui resteront cependant sans réponse.
Redoutable œuvre destructrice
L’escadron d’éclairage (G3), commandé par le lieutenant Diarra, en tête du dispositif, l’escadron de Mit 30 commandé par le sous-lieutenant Mahfoud Ould Dah en flanc-garde droite, et l’escadron de Mit 50 en flanc-garde gauche commandé par le sous-lieutenant Yezid, prennent pied et tentent de s’accrocher à des escarpements n’offrant qu’une protection dérisoire et offrant leurs flancs à l’ennemi. L’escadron des mortiers 81m/m, commandé par le sous-lieutenant Moussa Ould Mamady, dans l’élan de son mouvement arrive à son tour au niveau des unités de tête déjà en accrochage et c’est presque l’entassement. L’artillerie, commandée par le lieutenant Gueye, ne viendra que tardivement pour tenter une mise en batterie sur le billard. A cause de l’étroitesse de l’espace offrant des opportunités de protection, les hommes s’entassent presque au corps le corps, les véhicules beaucoup plus exposés cherchent désespérément mais en vain des points d’attache sur le terrain. Après une heure d’accrochage, les véhicules dans leurs mouvements désordonnés commencent à tomber en panne d’essence. Le sous-groupement n’était plus qu’un regroupement confus d’hommes et de véhicules livrés à eux-mêmes, s’offrant en cible à un ennemi impitoyable, aguerri et bien agrippé au terrain. Dans la fureur des combats, le commandant de sous-groupement perd tout contact radio avec ses commandants d’unités et partant, tout moyen de coordination des actions de ses éléments.
L’ennemi mit en œuvre toute sa puissance feu pour détruire le sous-groupement. Les B10, les douchkas, les Mit 50 et les canons de 75m/m accomplissaient impitoyablement leur redoutable œuvre destructrice. Les véhicules et les hommes volaient en éclats. Le champ de bataille n’était plus qu’un magma informe où les cadavres des hommes déchiquetés en lambeaux étaient éparpillés pêle-mêle, méconnaissables. Puis ce fut la panique, le pire ennemi des unités les plus aguerries et les mieux entrainées. Les hommes avaient perdu toute notion d’esprit d’équipe, toute notion d’appartenance à une collectivité au destin commun. Toute l’humanité a disparu pour laisser place à des bêtes traquées dont l’unique aspiration était sortir de cet enfer dont les mâchoires implacables se resserraient inexorablement sur eux. Les hommes couraient dans tous les sens comme des possédés s’accrochant au premier véhicule passant à leur portée. L’enfer avait ouvert ses portes. Le commandant de sous-groupement complètement atterré essayait de toutes ses forces de ramener ses hommes à la raison pour reprendre le combat, en vain.
Dans la confusion de l’accrochage, les commandants d’unités n’ont pas remarqué un point clé du terrain qui aurait pu changer le déroulement du combat: Touama Legleye. Ce n’est que lorsqu’un élément ennemi dans une manœuvre d’enveloppement s’était élancé vers ces mouvements de terrain, que le commandant du sous-groupement, en désespoir de cause, tente avec un groupe de mitrailleuses de l’interdire. Trop tard, le mal était fait, c’était la débandade. Réalisant l’effet de son action sur le sous-groupement, l’ennemi exploite la situation en montant l’assaut. Debout à côte son véhicule de commandement, le combiné du C77 à la main et préparant une mise en batterie de ses mortiers 81, le sous-lieutenant Moussa Ould Mamady reçoit une rafale. Il ne reprendra conscience que dans une ambulance filant à toute allure en direction d’Alger. La dernière fois où il a été vu, le lieutenant Diarra s’activait à contenir l’affolement de ses hommes. Dans une confusion monstrueuse et indescriptible, les hommes désertaient le champ de bataille, qui, en voiture, qui à pied, traversant le dispositif de la batterie d’artillerie, toujours au stade de préparation des tirs. Dans un ultime acte de bravoure, le lieutenant Gueye tirait sur l’ennemi avec un PA 50 (Pistolet Automatique)dont la portée pratique est de 50 mètres, alors qu’il commandait une batterie d’artillerie dont la portée des obusiers 105 HM2 est de 11,200 kilomètres.
L’ennemi ne cherchera nullement à lancer une poursuite, se contentant du butin qu’il avait fait sur place. Ce n’est qu’à trois ou quatre kilomètres du lieu de l’accrochage que les éléments résiduels du sous-groupement ont été regroupés. Lorsque les renforts arrivent tard dans la soirée, le spectacle était désolant.
(Suite : Attaque de Zouerate)
Mohamed Lemine Ould Taleb Jeddou
Extrait de “La Guerre Sans Histoire”