En respect de la résistance et de la lutte, en gloire à la lutte pacifique ... Souviens-toi du 29 Mai 1968. Ce jour-là, le mouvement des travailleurs de Zouérate, spontanément soulevé quelques temps plus tôt, dégénérait en drame national.
La multinationale MIFERMA opérait dans l'extraction du minerai de fer (Tazadit) à Zouérate. Par de grands investissements, installations et infrastructures géantes, comme le chemin de fer s'étendant de Zouérate à Nouadhibou, elle pourvoyait l’Occident en minerai du grand Désert, par le plus long train du Monde et le port océanique. Elle fut ainsi la première et plus importante réalisation coloniale en notre pays. Avant de former l'épine dorsale de la toute nouvelle République islamique indépendante de Mauritanie.
Mais, malgré tous ses atouts et la faiblesse du pays qui faisait ses premiers pas chancelants, MIFERMA ne formait pas un État solitaire. C'était plutôt un État plus fort que l'État national. Les lois du pays ne le concernaient en rien, notamment ce qui concerne la législation du travail. Elle avait ses propres aéroports, ports et gardes, tandis que l'administration mauritanienne et ses employés restaient entièrement sous son contrôle. Et de pratiquer sans vergogne les pires formes d'exploitation, d'oppression et de mépris à l'encontre des travailleurs. Pire : carrément l'apartheid, comme en témoigne encore ce qu’il reste du « mur » qui séparait très matériellement les Européens des Mauritaniens. Exemple criant du pillage impérialiste de la richesse des peuples par le néocolonialisme, MIFERMA accumulait des bénéfices astronomiques avec une avidité brutale et sans limites... mais elle creusait sa tombe de ses propres mains, en multipliant ses ennemis beaucoup plus vite qu'elle ne se gavait de profits.
Grèves sauvages et spontanées
La pauvre administration mauritanienne tenta en vain de contenir la MIFERMA. Des grèves sauvages et spontanées de travailleurs se répétaient, telles celles menées par les pionniers feu Mohamed Mahmoud ould Oumar ou Yenja ould Ahmed Ahmed Challa et « noyautėes » par feu Sidi Mohamed ould Soumeida. Premiers liens entre les intellectuels et les travailleurs mais infructueux, puisque MIFERMA n’écouta aucune de leurs demandes.
Ils se sont alors soudain mobilisés, se sont levés, se sont révoltés contre leur sort… et la ville s'ébranla. La révolution culmina dans le siège de la direction de l'entreprise et de ses cadres européens par les travailleurs révolutionnaires exigeant leurs droits. Tous unis, sans plus de blancs que de noirs, soudain à mille milles des considérations raciales qui déforment aujourd’hui certains visages ; simplement mauritaniens, exigeant tous ensemble leurs droits en leur commune patrie. La MIFERMA exigea l’aide et protection de l'État mauritanien. L'administration intervint, l'armée tira sur les révoltés. Neuf martyrs – huit ouvriers et un étudiant – tombèrent ainsi au champ d’honneur. Variablement blessés, d’autres s’en relevèrent. Le calme revint et la terreur quitta les européens.
Perpétré le 29 Mai 1968 et immortalisé par les forces patriotiques depuis des décennies, ce massacre des travailleurs de Zouérate est aujourd'hui sur le point d'être oublié. Cela ne doit pas être, cela ne sera pas : car ce que d’aucuns voyaient comme une fin se révéla tout au contraire début d'une nouvelle ère nationale. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre dans toute la Mauritanie, malgré l'enclavement et le manque de media. Le 3 Juin 1968, l'étincelle embrasait la plaine. Ce jour-là, la première réaction de colère au massacre se manifesta à Rosso. Huit cents élèves du Secondaire et de nombreux enseignants, jeunes, marchands et gens de la ville y organisèrent une marche de protestation, avec à sa tête le poète Ahmedou ould Abdelkader, Yahya ould Amar, que Dieu lui fasse miséricorde, Abdelkader ould Hammad, Mohamed Abdallahi Bellil, Brahim Salem ould Bouleiba. Depuis les événements traumatisants de 1966, des étudiants de différentes ethnies exigeaient la fin du néocolonialisme, l'expulsion des Européens et la nationalisation de la MIFERMA. Mais c’est à partir de ce jour que Nouakchott et le reste des centres d'intérêt nationaux changèrent de cap. Le regretté Sidi Mohamed ould Soumeida coordonna et dirigea le mouvement de protestation. La réduction de la puissance et de la tyrannie de MIFERMA, au profit de l'extension de l'autorité de l'État au Nord, et le transfert de certains dirigeants jugés indésirables furent les plus immédiats résultats du soulèvement des travailleurs de Zouérate et des manifestations nationales qui s’en suivirent. Certaines des demandes, notamment dans le domaine de l’emploi, furent timidement accordées. Puis la pression nationale conduisit à l'annulation, en moins de quatre ans, des accords coloniaux dérogatoires entre la Mauritanie et la France, avant la fondation de la monnaie nationale (ouguiya). Deux ans plus tard – le 28 Novembre 1974 très exactement – le président Mokhtar ould Daddah, que Dieu lui fasse miséricorde, annonçait au Parlement, dans une atmosphère de merveilleux enthousiasme national, la nationalisation du géant du fer MIFERMA qui devenait ainsi propriété de la nation mauritanienne alors que la part de celle-ci n'avait jamais auparavant dépassé 5 %. Renommée Société Nationale Industrielle et minière (SNIM), elle se retrouvait dirigée par un cadre mauritanien compétent : l'ingénieur Ismail ould Amar.
Le sang et les sacrifices des martyrs de Zouérate, du mouvement démocratique et de toutes les autres forces nationales ne furent donc pas vains. Grâce à eux, le pays retrouva ses droits, les travailleurs purent jouir de la liberté, de la dignité et de l'égalité, l'ère de la prosternation, de la famine et de l'apartheid prenait fin. Les Mauritaniens devenaient les maîtres de leurs terres et de leurs richesses. Certes il demeurait et demeure une contradiction nationale entre les intérêts des travailleurs et ceux de l'entreprise SNIM. Elle apparaît souvent par intermittences mais reste secondaire et non antagoniste entre intérêts et priorités nationales. Elle est donc fondamentalement différente de celle qui opposa la multinationale MIFERMA aux travailleurs mauritaniens et peut se résoudre – le doit – par la négociation, le dialogue et la prise en compte des intérêts supérieurs de la Nation, d'une manière incluant les intérêts de la main-d'œuvre productive et créative, ceux de la société SNIM, fleur de l'industrie et de l'économie mauritaniennes, ainsi que ceux des générations futures. Voilà pourquoi cette histoire restera dans nos cœurs. Elle « ne doit pas être oubliée ou vendue », elle est l'épine dorsale de l'État et de la Patrie. Gloire aux âmes des vaillants martyrs de Zouérate et souvenirs éternels de leur sacrifice !
Me Mohameden ould Ichidou
Rapidement traduit par Sidi Tfeil Meihimid