Argane, jujube, toogga, voondi, bemboo, noyaux de dattes, safou et olive ont été l’objet de vifs et très instructifs débats scientifiques les 31 octobre et 1er novembre 2014, dans les locaux du Parc National du Banc d’Arguin (PNBA) à Chami (ouest de la Mauritanie). Appuyé par les établissements mauritaniens de recherche et d’enseignement supérieur (ENS, ISET, Université de Sciences et Technniques, EMIM, Polytechnique) et sponsorisé par certaines institutions, comme le PNBA, Mauritania Airlines et le Centre de lutte anti-acridienne, c’est le projet Toogga qui fut le promoteur de ce premier colloque international sur les plantes oléagineuses du Sahel et du Maghreb.
Ouvert par le secrétaire général du Ministère de l’Environnement et du Développement durable, en présence du directeur de la Recherche et des autorités locales – hakems, maire de Chami et commandants des forces de sécurité locales – la rencontre a vu la présentation de trois conférences plénières et dix communications, couronnée, le 2 novembre, par une excursion dans les îles du PNBA, à un moment de grande affluence des volatiles. Si les communications ont beaucoup porté sur le plan biochimique, elles se sont également souvent penchées sur divers autres : botanique, environnemental, social, économique, notamment.
Ce fut ainsi le cas avec l’arganier (Argania spinosa) dont la valorisation, par nos voisins et frères marocains, constitue un modèle pour l’équipe Toogga, organisatrice de l’évènement. C’est Ber Eddine Kartha, de la Faculté des sciences de Rabat, Université Mohammed V, qui en parla le premier en présentant « 35 ans de recherche-action pour faire, de l’arganier, un levier du développement durable du milieu rural marocain ». La communication a porté sur les efforts consentis par l’Etat marocain, les scientifiques du pays et la société civile, pour faire, de l’huile d’argan et de ses sous-produits, le constituant obligé de tout produit cosmétique qui se respecte. L’huile bénéficie, aujourd’hui, d’une Indication Géographique Protégée (IGP) et l’arbre est classé patrimoine de l’Humanité. La même huile a fait l’objet de la communication de la docteur Hanae El Manfalouti, autre membre, avec monsieur Kartha, de l’équipe de la professeure Zoubida Charrouf, grande initiatrice du développement de l’huile d’argan au Maroc. La docteure El Manfalouti a présenté la composition chimique de l’huile d’argane et ses vertus, notamment dans la prévention du diabète de type 2, les problèmes cardiovasculaires et l’inflammation de la prostate.
Toogga, à l’exemple de l’Argane…
L’autre huile à l’honneur dans ce colloque était celle du toogga. Une « comparaison entre la filière marocaine de l’arganier et la filière mauritanienne du dattier du désert (Balanites aegyptiaca ou teychott) », présentée par Mohamedou ould Isselmou, membre de l’équipe Toogga, a permis de montrer les très grandes similitudes entre les compositions chimiques (environ 80 % d’oméga 6 et 9) et les vertus des deux huiles. Cette communication a aussi permis de souligner l’effort qui reste à consentir, par les autorités publiques et la société civile mauritaniennes, pour hisser le dattier du désert au niveau de l’arganier marocain. Le projet Toogga avait d’ailleurs déjà fait, lors de l’ouverture du séminaire, l’objet d’une présentation de la part du professeur Mohamed Baba. Après en avoir rappelé les aspects économiques, sociaux et environnementaux, celui-ci a annoncé l’entame de la seconde phase de développement du projet, qui se concrétisera, début 2015, par l’installation d’un atelier de production d’huile de toogga en Mauritanie et la valorisation de ses sous-produits, en se plaçant au plus près possible de la ressource.
Mais aussi, l’olive, le safou, les courges, les noyaux de datte et de jujubier...
L’olive fit l’objet d’une brillante présentation de la part de la docteure Salwa Bornaz, de l’Ecole Supérieure des Industries Alimentaires de Tunis (ESIAT), Université de Carthage. Après avoir rappelé l’importance et la variabilité des espèces d’oliviers en Tunisie, la docteure Bornaz a dévoilé le projet de fabrication d’un analogue de fromage où la matière grasse animale sera remplacée par l’huile d’olive. Une idée géniale, qui ouvre la voie à une très grande variété de valorisation des huiles végétales, tout en participant aux efforts de prévention des maladies cardiovasculaires liées à la surconsommation de matières grasses d’origine animale.
Quant au docteur Aristide Nakavoua, de l’Ecole Nationale Supérieure Polytechnique (ENSP) de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville (Congo), il présenta une communication sur le stockage et la conservation des huiles de safou et de courge. Le docteur Nakavoua montrera que les indices (iode, acidité, saponification…) gagneraient à être corrélés à des observations physicochimiques plus directes telles celles réalisées par spectroscopie Mir (infrarouge moyen) et de fluorescence. Il montrera aussi que ce ne sont pas toujours les huiles les plus fragiles (insaturées) qui sont les plus oxydables mais que cela tenait surtout au taux d’antioxydants présents au sein de l’huile.
Monsieur le maire de Maaden Elervan (Adrar), Cheikhany ould Sidina, a présenté une importante communication sur les potentialités (dix mille tonnes de noyaux par an), en termes de production d’huile, des noyaux des dattes du palmier-dattier (Phoenix dactilifera l.). Ce sous-produit, actuellement destiné à l’alimentation du bétail, pourrait, rapidement, devenir une source appréciable de revenus, pour plusieurs dizaines de coopératives féminines en Mauritanie et, notamment, dans les régions pourvoyeuses de dattes dont les noyaux contiendraient 12% d’huile.
Une dernière communication, présentée par le professeur Mohamed Baba, a porté sur l’huile des noyaux du jujube (Ziziphus). C’est une huile de type oléique – elle ressemble à l’huile d’olive – qui représente 20% des deux petites lentilles que renferme le noyau de ce fruit.
Un potentiel fabuleux à exploiter avec précaution et intelligence
Si les huiles ont fait l’objet de la plupart des communications scientifiques, les arbres qui les produisent ont, eux aussi, retenu l’attention des plusieurs conférenciers. Ce fut le cas du dattier du désert (Balanites). C’est ainsi que le directeur de la Recherche au sein du ministère de l’Enseignement supérieur, le professeur Ali ould Mohamed Salem ould Boukhary, a présenté une «approches pour la valorisation de Balanites aegyptiaca en Mauritanie : analyse de la diversité morphologique, physicochimique et moléculaire de populations naturelles ». Le même arbre fut aussi l’objet d’une revue très documentée de la part de M’rabih Rabou ould Cheikh Bounena, consultant du secteur privé et ancien haut fonctionnaire ayant eu en charge de nombreux projets de développement. Nous apprenons ainsi qu’il y aurait quarante millions de Balanites en Mauritanie dont 40% seraient en âge de produire. Chaque arbre pourrait produire jusqu’à 125 kg par an. Un rapide calcul nous amène à la conclusion que nous disposons, dans nos campagnes, d’un gisement de deux millions de tonnes de toogga renouvelable tous les ans. Avec une telle ressource, il serait possible de produire cent mille litres d’huile et cent mille tonnes de tourteau par an.
Quant au docteur Marouf ould Baba Ahmed, il choisit de présenter un autre bel arbre, méconnu par les Mauritaniens en dehors des wilayas des Hods : le demboo (Sclerocarya birea), dont il a exposé les métabolites primaire et secondaire. C’est de cet arbre qu’on tire les mortiers, les pilons mais, aussi, les tablettes sur lesquelles on apprenait à lire et à écrire et bien d’autres usages. La composition chimique de l’huile de demboo est, elle aussi, proche de celle de l’huile d’olive. Elle peut constituer une source appréciable de revenus pour les populations de ces régions.
Mais l’exploitation de ces huiles et la gestion écologiquement raisonnée des plantes oléagineuses nécessitent que les filières soient organisées et que la qualité des produits soit garantie. Ce fut l’objet de l’intervention de monsieur Ian Mansour de Grange, secrétaire général de l’association PRoduits d’Excellence d’une FIlière de plantes MEDIcinales en Mauritanie (PREFIMEDIM). L’objet de cette association est l’organisation et la gestion durable et responsable du biotope médicinal mauritanien, avec, notamment, l’élaboration d’un label d’excellence pour les plantes médicinales du pays. Les plantes oléagineuses sont partie intégrante de ce biotope et leur valorisation passe, nécessairement, par leur protection et la garantie de la qualité des huiles et des sous-produits qui les accompagnent.
En fin de colloque et avant de rejoindre le bivouac prévu au village côtier d’Iwik, puis l’excursion dans les îles du PNBA, les participants ont débattu des recommandations que leur ont proposées les modérateurs des différentes sessions. La principale recommandation est la nécessité de multiplier ce genre de manifestations, en y conviant les décideurs étatiques et internationaux. Et c’est en ce sens que le PNBA et l’ISET ont manifesté leur souhait d’accueillir la prochaine édition du Colloque Toogga sur les plantes oléagineuses.
Service de communication du Projet Toogga
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