Je l'ai rencontrée fortuitement sur une dune de sable dans les environs de Nouakchott, exactement à 28 km sur le tronçon Nouakchott-Wad Naga. Vous imaginez aisément que ma surprise fut grande.
J’ai même frotté plusieurs fois mes yeux croyant que ma vue vieillissante me trompait.
Le sable fin de couleur mauve mettait en exergue peu avant le crépuscule les points noirs et blancs qui ornaient la peau de la pauvre bête. Je tournoyai furtivement autour d'elle.
Elle était visiblement désorientée de se trouver en pareille contrée.
La vache poussa un beuglement plaintif. Elle trouva le climat insupportable en ce début de septembre nouakchottois.
Le deux Mohamed, qui formaient le trio amical du moment, furent tellement subjugués d'étonnement qu'ils gardèrent un long silence avant de prononcer quelques mots « dhechenhouyekhouty ». C’est une Holstein, murmura par la suite Mohamed l’ingénieur agronome et il enchaina : apparemment elle fait partie d'un troupeau qu'il estima entre 150 et 200 vaches.
Mohamed, l'homme d'affaires, estima, quant à lui, qu’un tel investissement était erroné voire ridicule et qu'il ne pouvait en aucun cas se faire avec un argent dûment gagné.
Constatant notre étonnement, le maitre des lieux nous invita à prendre un thé, honorant par cet acte la légendaire hospitalité de l’homme du désert qu'il était. Nous acceptâmes sans hésitation.
Après le thé, le lait de la vache hollandaise fut servi. Personnellement, je l'ai trouvé tout à fait ordinaire ne différant pas de celui de nos vaches nationales.
De retour à Nouakchott avec mes deux amis, je m'endormis profondément. L’émotion et la fatigue du jour m'avaient carrément assommé. La vache hollandaise vint me voir au cours d'un rêve calme sans aucune agitation. Elle commença sur un ton monologue à raconter sa mésaventure. Monsieur, me dit-elle, je suis bien née au Pays Bas où j'ai grandi jusqu'à l’âge de 5 ans. J’ai été élevée dans une ferme modèle où poussent à merveille des plantes fourragères telle la luzerne, le maralfalfa et le pois d’angol. La mécanisation à outrance les mettait au besoin gracieusement à ma disposition. La vie était agréable et le climat doux.
Un jour j'ai rencontré par hasard le féticheur des vaches hollandaises, un octogénaire de renommée mondiale. Au bout d'une réflexion approfondie, il me déclara que je n'étais pas particulièrement née sous une bonne étoile et que par conséquent je risquais de connaitre quelques mésaventures. Il eut raison.
Il y a quelques jours j'ai appris dans ma ferme que j'ai été achetée par un Etat de l’Afrique sub-saharienne. Voici une première mésaventure.
La transaction financière au terme de laquelle je devais voyager en Afrique avec 150 à 200 autres vaches paraissait très opaque, c’est le moins qu’on puisse dire. Officiellement, on devait enrichir le cheptel mauritanien par croisement.
Nous apprîmes, une fois arrivées à Nouakchott, qu'on était plutôt destinées à enrichir une ferme d'un homme influent du pays. Voici une autre mésaventure.
Le contraste saisissant entre la verdure hollandaise et l'immensité désertique des dunes mauritaniennes va laisser chez moi des traces indélébiles.
Notre nourriture essentiellement à base de « rakal » était d'une qualité exécrable et j'ai d'ailleurs eu quelques épisodes diarrhéiques. Une faim de loup me tiraille chaque instant. Une autre mésaventure.
Un beuglement désespéré me tira de mon sommeil, aidé par l’appel du muezzin à la prière de l’aube.
Quelques jours plus tard, le troupeau voyagea vers les environs de la ville minière d’Akjoujt.
La production laitière par vache chuta de 40 à 5 litres. Ma vache, après quelques tentatives de suicide infructueuses, connut une nouvelle mésaventure. Elle venait de passer des nuits entières sans électricité enveloppée par la noirceur des nuits du désert.
L’homme influent venait de connaitre quelques déboires avec la SoMelec. Décidément le vieux féticheur avait raison.
Mohamed Ould Sid’Ahmed