Le transport aérien est entré, depuis l’apparition du Covid-19 dans l’une des turbulences les plus fortes qu’il n'a jamais connues de toute son histoire. Il y a eu dans le passé plusieurs crises qui ont fortement affecté ce secteur : choc pétrolier de 1979, la première guerre du Golfe, le 11 septembre, la seconde guerre du Golfe, le SRAS 2003, la crise financière de 2008. Pour chacune de ces crises, il y a eu une forte diminution du trafic, un ralentissement de la croissance de cette industrie, mais le transport aérien finit par faire preuve d’assez de résilience pour continuer son envol presque toujours avec une reprise en courbe de forme V. Le Covid-19 semble différent car pour la première fois les frontières de tous les pays sont fermées. Quasiment toute la flotte mondiale est au sol, jusqu’à mettre les avions en queue leu leu sur les pistes d’atterrissage dans les aéroports.
Cette industrie qui pèse pour 2.700 milliards de dollars dans l’économie mondiale (3.6% du PIB) est touchée cette fois-ci de plein fouet. L’IATA (association internationale du transport aérien), qui regroupe 293 compagnies aériennes, a commencé par anticiper un impact de 29,3 milliards de dollars le 20 février, avant de revoir ses chiffres à 113 milliards de dollars le 5 mars, pour finir le 14 avril à 314 milliards de dollars, soit une chute de 55% par rapport au niveau de 2019.
Secteur habituellement à faibles marges et gros besoins en financement, très rares sont les compagnies aériennes qui étaient financièrement préparées pour un arrêt aussi brusque et aussi long des opérations. La cascade des faillites est brutale. D’après IATA, en l’absence de mesures et d’aides gouvernementales, la majorité des compagnies aériennes feront faillite en Juin 2020.
La chute du trafic mondial de passagers et de fret affecte un écosystème économique important s'étendant des compagnies aériennes aux constructeurs d'avions en passant par les aéroports, les organismes gouvernementaux de contrôle aérien, le système de distribution et tous les sous-traitants qui tous ensembles constituent cette industrie du transport aérien.
Les scénarii de sortie de cette crise sont aujourd’hui tous incertains : allons-nous avoir affaire à une sortie de crise dont la courbe est en forme de V, U ou même en W en cas de reprise suivie d’une deuxième vague de confinement ? Une chose est certaine : Pour chacune des crises passées, qui paraissent aujourd’hui moindres que celle du Covid-19, il a fallu au transport aérien un peu moins d’une année pour revenir au niveau pré-crise et 5 ans pour revenir au niveau de croissance globale d’avant crise.
Conséquences et séquelles à prévoir :
* Le retour de l’Etat providence : La très libérale IATA appelle les gouvernements à intervenir rapidement, que ce soit sous la forme d'aides directes, de prêts, de garanties de prêts, ou encore d'allègements d'impôts ou de charges sociales. En effet, seule une intervention des Etats peut sauver les compagnies aériennes. Les plus chanceuses seront celles dites porte-drapeaux (flag carrier), à l’existence desquelles tiennent souvent les Etats pour des raisons de souveraineté.
* Une nouvelle norme sanitaire de voyage devra voir le jour : Malgré l’appréhension évidente des passagers et des équipages à l'idée de remonter dans les avions, aucune norme n'a pour le moment émergé. Un leadership pour cette question devra être pris soit par un des organismes internationaux (OACI, IATA) ou locaux (EASA, FAA). Masque obligatoire pour les passagers ou encore passeports sanitaires. Des compagnies ont récemment travaillé sur des projets : test de la température des passagers à l'embarquement, non commercialisation des sièges du milieu, protections vitrées entre les sièges. Certaines de ces mesures alourdiraient sensiblement l'exploitation des compagnies aériennes et pourraient rendre le billet d’avion hors de prix. En tous les cas, exactement comme les attentats du 11 Septembre l’ont été dans la réorganisation de la sécurité aérienne, le Covid-19 sera une rupture avec l’organisation sanitaire du voyage d’avant crise pandémique.
* La consolidation du marché : La sortie de crise laissera beaucoup de compagnies aériennes en difficultés voire en faillite. Les concurrentes, qui seront à ce moment plus solides financièrement seront à même de saisir des opportunités à bons prix, en accélérant les partenariats voire des mouvements d'acquisition et de fusion. On se retrouvera avec un marché avec moins d’opérateurs mais des groupes plus solides avec de meilleures bases.
* La fin du tourisme de masse ? :
Les voyages de groupes et les grands rassemblements seront-ils toujours possibles ? A l’évidence, des normes sanitaires devront là aussi voir le jour. La conférence mondiale pour le Hajj et la Omra qui se tient annuellement à Londres (The World Hajj & Umrah Convention) étudie la faisabilité de mise en place de mesures telles que : mises en quarantaines des pèlerins avant et après le voyage en Arabie Saoudite, diminution drastique des quotas par pays, attestation sanitaire, port de masques et de gants, engagement à se nourrir durant le voyage uniquement dans des restaurants ayant satisfait aux normes d’hygiène et d’assainissement, processus de sélection des pèlerins par limite d’âge et de santé, accepter d’intégrer les solutions technologiques pour aider à surveiller l’état de santé, etc. Les pèlerinages de la Omra et du Hajj n’auront pas lieu cette année 2020 et il parait loin le temps ou avec insouciance des pèlerins ou autres touristes s’entassent dans des avions gros porteurs ou des paquebots et se retrouvent dans des grands rassemblements à des hauts lieux touristiques. « Le Covid-19 a un impact sur les voyages et le tourisme sans équivalent dans l’histoire, résume Zurab Pololikashvili, le secrétaire général de l’OMT (l’Organisation mondiale du tourisme). L’OMT s’attend à une baisse jusqu’à 30 % des recettes du tourisme mondial, soit 450 milliards de dollars. L’équivalent de sept ans de croissance perdus…
La situation en Afrique :
L’industrie du transport aérien en Afrique pèse 56 milliards de dollars (2.6% du PIB). Malgré les prévisions catastrophiques de certains, le continent est jusque-là relativement épargné en nombre de morts causées par la pandémie Covid-19. Le transport aérien n’en souffre pas moins. ‘‘Si les compagnies aériennes africaines ne reçoivent pas de soutien, elles vont se retrouver en situation d’insolvabilité d’ici fin juin’‘. Avertit Abderrahmane Berthé, secrétaire général de l’AFRAA (African Airlines Association, 45 compagnies aériennes africaines). L’IATA a estimé au 14 Avril dernier les besoins en Afrique à 6 milliards de dollars, soit une baisse de 51% par rapport au chiffre d’affaires dégagé en 2019.
La majorité des compagnies aériennes en Afrique étant des compagnies porte-drapeaux, elles seront probablement sauvées par leurs Etats. Cela concernera bien entendu celles pouvant encore être sauvées. Il faut rappeler qu’en Afrique, avant la crise Covid-19, moins de 10 compagnies aériennes étaient rentables. Certaines compagnies suivaient déjà des plans de restructuration et de sauvetage telles que Tunisair, Kenya Airways, Air Zimbabwe ou encore South African Airways. Pour cette dernière, le gouvernement Sud-africain vient d’annoncer son incapacité à fournir plus de fonds que ce qu’il a déjà fourni.
Mauritania Airlines, jeune compagnie de taille moyenne n’avait, avant la crise pas autant d’engagements financiers que ces consœurs africaines aujourd’hui en grandes difficultés. L’arrêt brutal du trafic n’a pourtant pas épargné cette compagnie qui souffre comme tout le secteur. Une légère activité de fret maintient cet opérateur sous perfusion pour le moment mais une aide de l’Etat va être nécessaire.
A la sortie de la crise du Covid-19, le ciel africain sera, comme dans les autres régions du monde, sujet à une consolidation inévitable. Ethiopian Airlines semble déjà faire des avances à certains opérateurs à l’agonie. Malgré un niveau de perte annoncé de plus de 500 millions de dollars, Ethiopian Airlines a été relativement aidée durant la crise par son activité de fret sur le continent et elle a toujours fait partie d’un groupe solide et expérimenté. Des pourparlers sont actuellement menés par cette compagnie avec le gouvernement de l’Ile Maurice à propos d’Air Mauritius et bien qu'aucune négociation n'ait lieu actuellement avec l'Afrique du Sud, le PDG d’Ethiopian a déclaré être ouvert à une conversation sur la compagnie aérienne nationale en faillite de ce pays.
Un secteur qui emploie 6.2 millions de personnes
Six millions deux cent mille emplois sur le continent sont aujourd’hui en danger. 2 millions sont directement menacés par les fermetures des compagnies aériennes.
* Les aéroports, vides depuis fin mars dernier et en grande difficultés, auraient déjà licencié ou allégé au mieux la charge du personnel, s’ils avaient eu le choix. Il se sont en effet vus forcés de reculer ou annuler des plans de redressement ou de mise au chômage des employés. En effet, les Etats ont du mal à se débarrasser de l’idée selon laquelle l’aéroport est un organisme de souveraineté et qu’il ne peut être géré comme toute autre entreprise. Cela, malgré le fait que ces plateformes soient de plus en plus nombreuses sur le continent à être gérées par des entreprises privées. Pourtant, si en fin Juin 2020 les choses ne se sont pas améliorés et en l’absence d’une aide, là aussi massive des Etats, au moins la moitié des emplois ne pourra plus être sauvée.
* Une organisation stratégique pour le continent pourrait elle aussi se trouver en difficulté. Il s’agit de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne (Asecna) qui gère les contrôleurs aériens mais aussi les pompiers d’aéroport, les services de communication et de la météorologie dans 17 pays. Le total de ses employés (6000) se retrouvent en activité réduite. La direction a assuré qu’il n'est pas question de mettre les employés au chômage. En fin Mars dernier, Louis Bakienon, Directeur de l’Exploitation de la navigation aérienne de cette organisation, financée par les redevances payées par les compagnies aériennes, déclarait que l’Asecna disposait encore d’une visibilité financière de trois mois.
* Le maillon faible pour les pertes d’emplois sera constitué par les compagnies aériennes privées et les agences de voyages. Les quelques compagnies aériennes privées en Afrique risquent tout bonnement de disparaitre de même que les agences de voyages. Pourtant, la part de la distribution du transport aérien par le e-commerce restant relativement faible, le rôle des agences de voyages est essentiel. Ce secteur représente dans certains pays comme la Mauritanie le passage obligé de près de 60% du chiffre d’affaires de l’industrie dans le pays. Sans l’aide des Etats, ce secteur des agences de voyage, qui assure des milliers d’emplois sur le continent (1500 emplois en Mauritanie) risque de ne pas survivre à cette crise qui s’annonce longue et dévastatrice.
Le cabinet de conseil aéronautique, Archery Strategy Consulting (ASC), estime que les répercussions de cette crise - la plus sévère depuis la deuxième guerre mondiale - sur le transport aérien, s’étendront au moins sur trois ans tant la demande passager reprendra plus lentement avec des habitudes de voyage qui auront définitivement changé dans ce « nouveau monde post-covid19 ».
(*) Economiste, Diplômé de l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile de Toulouse, France
Nouakchott, 12 mai 2020