Selon les informations qui nous parviennent de temps à autre, notamment en ce qui concerne les convocations de certains anciens hauts fonctionnaires du pays et d'autres encore au pouvoir, il apparaît que la commission d'enquête parlementaire a du mal à situer les responsabilités et la source des informations qu'elle souhaite exploiter.
Pour être précis, je voudrais parler, ici, des contrats régis par le Code des marchés publics mauritanien entré en vigueur février 2012. Il faut reconnaître que la loi n° 2010-044 du 22 juillet 2010 portant code des marchés publics mauritanien a mandaté une personne responsable de ses marchés, assistée par une entité dénommé la commission de passation de marchés qui sont chargées de conduire la procédure de passation depuis le choix de cette dernière jusqu'à la désignation du titulaire et l'approbation du marché définitif. Cette commission est contrôlée par un organe dénommé la Commission nationale de contrôle des marchés publics.
Il n'est donc pas possible de poursuivre un ministre, un secrétaire général ou un directeur pour avoir signé des contrats, mais ils sont responsables de leur mise en œuvre. C’est pourquoi, on doit distinguer deux étapes :
La première étape (avant la signature du contrat) : celle-ci reste sous l'entière responsabilité des commissions de passation et de contrôle des marchés. Dans le cas de contrats passés par entente directe (gré à gré), la responsabilité incombe à la commission de contrôle, qui est la seule habilitée à autoriser ce processus conformément à l'article 34 intitulé Autorisation préalable et qui stipule : ‘’ Les marchés par entente directe doivent être préalablement autorisés par la Commission de Contrôle des Marchés Publics compétente sur la base d’un rapport spécial établi par la Commission de Passation des Marchés de l’autorité contractante, au terme d’une séance d’analyse des motifs justifiant le recours à la procédure choisie, les modalités éventuelles de la procédure de mise en concurrence. Le rapport spécial de la Commission de Passation des Marchés établi sur la base d’une étude de prix et transmis à l’Autorité de Régulation des Marchés Publics. Tout marché conclu selon la procédure par entente directe est communiqué pour information à l’Autorité de Régulation des Marchés Publics, qui procède à sa publication.’’
Ce qui est étrange, c'est que les audits techniques et financiers de la passation et d’exécution des marchés publics en Mauritanie effectués par des cabinets internationaux sous l’égide de l’autorité de régulation des marchés publics et qui sont publiés sur son site Web, confirment à l'égard de la Commission de Contrôle Nationale des Marchés Publics ce qui suit :‘’ Autorisation, sans fondement légal, de recours aux marchés par entente directe’’ en 2015 et‘’ Le non-respect des conditions de recours aux procédures non concurrentielles (Entente
Directe et Avenant) remettent en cause le principe de transparence visé par le Code des Marchés Publics ‘’ en 2016.
Ce qui signifie, simplement, la violation pure et simple des dispositions de la loi portant code des marchés publics de la Mauritanie adoptée par ses deux chambres parlementaires (l’Assemblée Nationale et le Sénat) et promulguée par le président de la République.
Contrats mal exécutés
En ce qui concerne la deuxième étape : (Après la signature du contrat): Souvent, les spécifications stipulées dans les cahiers des charges ne sont pas remplies par les cocontractants, bien entendu, ouvrant la porte à la corruption. Ici, intervient l’implication directe de l'autorité qui est la principale responsable de la confirmation de la bonne exécution des contrats bien que les commissions de passation et de contrôle envoient des représentants qui assistent à toutes les réceptions en tant qu’observateurs.
C'est la raison pour laquelle au cours de ces dernières années, nous pouvons largement constater que les contrats touchant les infrastructures de base ont été, souvent, mal exécutés voire sabotés. D’ailleurs, ils constituent l’épicentre et la nurserie du gaspillage des fonds publics.
Conclusions :
1. En ce qui concerne les contrats par entente directe, si la procédure a été suivie, la responsabilité incombe à la commission nationale de contrôle des marchés publics, seule habilitée à autoriser un tel mode de conclusion de contrat, en vertu de la loi.
2. Tout contrat par entente directe non autorisé par la commission nationale de contrôle des marchés publics est nul et non avenu. L’autorité contractante doit en répondre devant la loi.
3. Tout contrat par entente directe justifiée mais ayant fait l’objet d’une surfacturation exorbitante, sa responsabilité incombe à la commission nationale de contrôle des marchés publics, à la commission de passation des marchés et au cocontractant.
4. La responsabilité de tous les avenants aux contrats incombe directement à la commission nationale de contrôle des marchés publics, seule habilitée à les autoriser en vertu de l’article 51 : ‘’ Avenants :…. La passation d’un avenant est soumise à l’autorisation préalable de la Commission de Contrôle des Marchés Publics compétente’’.
5. Le président de la République et les membres de son gouvernement sont responsables devant la loi si l'un d'eux ordonne explicitement de mettre en œuvre un contrat en dehors de toute procédure réglementaire ou exerce son autorité sur les organes en charge des marchés publics pour obtenir une exception ou met en péril les intérêts stratégiques du pays ou profite de son poste pour que ses proches bénéficient des contrats ou s'il détient des intérêts directs ou indirect avec les cocontractants.
6. Il est clair que toutes les irrégularités et les actes de corruptions ne peuvent avoir lieu sans la complicité des cocontractants. En réalité, ce sont eux qui se sont enrichis aux dépens de l'argent des contribuables et des fonds publics.
7. L'absence, jusqu’ici, de la comparution des anciens présidents de la commission nationale de contrôle des marchés publics dont l'un a été démis de ses fonctions il y a quelques mois et l'autre qui est l'actuel président de l'Autorité de régulation des marchés publics, donne l’impression que la Commission d'enquête parlementaire manque d'expertise dans la mission qui lui est confiée.
En fin de compte, il convient de rappeler que le président de la République dirige le pays par son gouvernement et les hauts fonctionnaires qui doivent être interrogés dans les limites de leurs pouvoirs. Toutefois, il n’échappe à personne la façon dont l'État a été géré. On reconnait que la tache de cette commission d’enquête n’est pas facile et se trouve parfois compliquée par la nature opaque de notre administration. Pour cette raison, il faut nécessairement du professionnalisme et du talent pour extraire la vérité et la faire connaitre. A défaut de ces qualités cette enquête ressemblera à un règlement de comptes.
Abdel Kader Ely Taled dit Ebi
Spécialiste en passation des marchés