Cela fait maintenant plusieurs mois qu’a été mise en place la commission d’enquête parlementaire mandatée par l’Assemblée nationale à l’examen de quelques dossiers de la « décennie MOAA » (Mohamed ould Abdel Aziz). Les enquêteurs ont commencé leurs travaux avec la convocation de plusieurs responsables dont des ministres et même Premiers ministres de la période en cause. Aux dernières nouvelles, certains « hauts » convoqués, comme tel ancien administrateur directeur général de la SNIM, tel ancien puissant ministre de l’Équipement devenu, depuis, encore plus puissant Premier ministre, en sont « venus aux langues » dans les coulisses de la commission, s’accusant mutuellement de « Toi voleur ! », « Qu’Allah brûle ton père ! » et autre gracieusetés du même genre qui n’augurent de rien de bien bon pour ces accusés de prédation et de gabegie. Réuni la semaine dernière en session ordinaire malgré le difficile contexte sanitaire, le Parlement a validé la requête de ladite commission à fouiner dans la gestion d’autres dossiers organiquement liés, selon elle, à ceux sur lesquels elle avait déjà le droit de fureter. C’est donc un rapport en principe truffé d’informations inédites qu’à la fin de son mandat de six mois, elle devrait déposer sur la table de son mandataire, l’Assemblée nationale. De quoi édifier sur les responsabilités des uns et des autres dans la gestion de gros dossiers encore entourée de beaucoup d’opacité et de suspicion. Les Mauritaniens attendent avec impatience quelle suite les autorités nationales donneront à ce travail qui aura coûté un substantiel pactole au Trésor public. En attendant et plus de huit mois après l’arrivée au pouvoir du nouveau régime, certains semblent n’avoir encore compris ni son mode opératoire ni les justifications non encore élucidées de certaines de ses pratiques. Le maintien aux hautes affaires, notamment au gouvernement, de certains symboles de l’ancien pouvoir a déjà engendré beaucoup de doute sur la capacité du nouveau système à se défaire des orientations et de l’emprise de son prédécesseur qui a joué, quoiqu’on dise, un grand rôle dans son élection. Puis la nomination, encore à de très hautes responsabilités, d’hommes et de femmes qui devraient être normalement en pleine ligne de mire de la commission d’enquête parlementaire, au seul vu de leur incontestable implication dans la gestion, souvent directe, des grands dossiers sur lesquels la commission investigue. Et de surcroît, l’entêtement aussi incompréhensif qu’incompréhensible des nouvelles autorités à nommer à des postes importants des personnes connues pour leur mauvaise moralité et leur passé peu glorieux de « gabegistes » de renom. Comment, en pareilles circonstances, persuader l’opinion nationale d’une quelconque volonté de combattre la malversation et le détournement ? Quand, mine de rien, des gens qui ne « laissent pas ce qui est dans l’œil » sont reconduits par ce système qui prétend promouvoir la bonne gouvernance, alors qu’ils furent déjà éconduits par celui dont on tente aujourd’hui de faire le procès, furetant en plusieurs de ses dossiers ? Le président Mohamed ould Ghazwani, avancent certains de son entourage, veut aller « en douceur », en véritable marabout éduqué dans la flexibilité et la patience. Cela fait au moins quinze ans, qu’il est, comme son prédécesseur et ami de plus de quarante ans, au centre de tout ce qui se passe dans ce pays. Il connaît parfaitement les ancrages de tout ordre et les connexions de toute nature des uns et des autres… et donc leur capacité de nuisance, à travers leurs appartenances tribale, régionale et même ethnique si facilement mobilisables dans un contexte encore marqué par une organisation sociale aisément manipulable. « Si Sidi ould Cheikh Abdallahi n’avait pas révoqué dans un même temps les trois généraux contestataires, », me dit un jour un ex-chef d’état-major, « le coup d’État – ou la rébellion comme aimait à le nommer feu le président Ely ould Mohamed Vall – de Mohamed ould Abdel Aziz allait échouer, par défaut de la frustration assez générale qui lui permit de réussir ». Même devenus démocrates, les militaires apprécient mieux que quiconque l’art de se battre sur plusieurs fronts… et son extrême danger, lorsqu’on laisse à ceux-ci l’opportunité de s’allier.
El Kory Sneiba