Enlèvement des ordures de Nouakchott : Un nouveau coup d’épée dans l’eau ?

6 November, 2014 - 04:15

Depuis quelques jours, on assiste à une vaste campagne d’assainissement de la ville de Nouakchott. Les structures de l’Etat et même de l’UPR sont mises fortement à contribution, à grands renforts de publicité dans les media, comme toujours en pareille occasion où se faire voir peut signifier promotion. On assiste donc à une sorte de compétition, dans les divers quartiers de la capitale. Comme la croisade contre la gabegie, l’opération est, évidemment, très salutaire mais sa spontanéité, son manque de préparation, de sensibilisation et, surtout, l’incapacité des pouvoirs publics à pérenniser cette opération de volontariat ne font que dire, tout haut, ce que l’opinion nationale pense, tout bas : la Communauté Urbaine de Nouakchott (CUN) est incapable de gérer l’enlèvement des ordures de la capitale.

 

Volontaires au n’importe quoi ?

Depuis la rupture du contrat avec Pizzorno, la filiale de Dragui qui gérait les ordures de la capitale, la CUN a pris la relève. On a vite vu le résultat. En dépit des efforts, l’institution intercommunale s’est heurtée à plus dur que ses velléités. Elle n’a ni les moyens ni l’expérience, pour mener à bien cette redoutable entreprise. Pizzorno qui dispose, elle, de moyens et d’expertise conséquents, peinait à accomplir sa mission. Si l’entreprise française butait sur deux obstacles : l’accumulation des créances de l’Etat et la totale absence de conscience civique des citoyens, la CUN doit se coltiner, en plus de notre monumental déficit de civisme, ses propres dettes et la banalité de « l’inorganisation » (pour rester poli), des services en Mauritanie. Elle s’est donc vite essoufflée et c’est peut-être ce que le pouvoir a compris, en volant à son secours et en impliquant ses démembrements et les citoyens de toutes les moughataas de la ville. La campagne ressemble fort à une opération de charme des populations, mais – et c’est le hic – elle ne pourrait pas perdurer pour débarrasser la ville de ses centaines de tonnes quotidiennes d’ordures. Autre problème : il est facile d’enlever des ordures, les populations sont prêtes à s’en débarrasser mais… où les mettre ? Quid du site de transit vers le dépôt d’enfouissement ou d’incinération ? Où se pose, là aussi, un nouveau problème. Depuis quelques temps, les gens de Tivirit manifestent contre le dépôt final des ordures dans leur commune. Les assurances données, par le président de la République, sur l’innocuité du site n’ont pas réussi à les convaincre. Soulager la ville de ses tonnes d’ordures n’a donc de sens qu’en se donnant les moyens de pérenniser l’action. On espère que l’appel d’offres qui vient d’être lancé, par la CUN, pour recruter de nouveaux opérateurs permettra de confier la gestion des ordures de la capitale, non pas à un « tieb-tiebman » mais à une structure expérimentée. Malheureusement, ça risque fort de ne pas se bousculer aux portillons de la CUN – les difficultés de Pizzorno sont sur toutes les lèvres – et d’ouvrir, plutôt, la porte à des rapaces du tâcheronnat. Sombres perspectives…

En attendant, nous allons devoir continuer avec notre système D, avec des volontaires, pour soulager une ville qui produit entre 0,19 et 0,21 Kg/ht/j, selon une étude datée de 2003, soit plus de deux cents tonnes par jour. Les difficultés sont énormes. En plus de la production, croissante, des ordures, leur origine est très diverse. On y trouve du plastique (emballage) que l’interdiction officielle n’a pas réussi à endiguer ; des gravats ; de la ferraille, très prisée par les « fouineurs de déchets » – un marché florissant de ferraille s’est développé en Asie et même au Mali, pays voisin – des matières organiques, comme les carcasses d’animaux ; des produits toxiques : si certains déchets pourraient être récupérables et valorisables, d’autres sont non biodégradables, dangereux donc, voire extrêmement dangereux, pour l’environnement et notre propre santé, comme les piles de nos téléphones portables. Le mélange de tout cela donne une idée de la dimension du problème. A l’évidence, le combat contre les ordures doit commencer par une étude prospective, pour ne pas dire une planification séparant, dès la source, les déchets… Un ordre qui manque cruellement, autant à notre capitale qu’aux volontaires qui s’agitent à l’appel de leur guide réputé éclairé.

 

Et les eaux usées ?

S’il semble difficile de collecter durablement et méthodiquement les ordures et de les transporter hors de la ville, la question des eaux usées et des fosses septiques paraît, quant à elle, une équation vraiment insoluble. Nouakchott est une des capitales de l’Afrique qui ne dispose d’aucun égout ni du moindre canal d’évacuation des eaux usées. Seuls quelques rares quartiers, comme la BMD où logeaient des expatriés européens, ont disposé, un temps, de canaux d’évacuations des fosses septiques et des eaux usées des ménages. Une eau qui était transformée et utilisée pour arroser les jardins maraîchers de la capitale. On connaît la suite. Aujourd’hui, chaque famille dispose d’une fosse septique, généralement creusée sur la voie publique. Une fois pleine, elle se déverse sur cette même voie, avec toutes les conséquences d’insalubrité publique que cela implique. Autre équation, les eaux de pluie qui tombent sur la capitale. Elles stagnent, parce que le sol ne peut plus les absorber ; principal obstacle, les remontées marines, à fleur de  sol, Nouakchott étant bâtie sur des marécages. Et si l’on n’y prend garde, le vorace océan Atlantique pourrait l’envahir. On salue, par ailleurs, les efforts des pouvoirs publics en matière de voirie. On ne doit cependant pas oublier les dégâts que ces ouvrages causent également aux citoyens, à la moindre pluie. « Omettant » de creuser des ouvrages de collectes et d’évacuation d’eau, les concepteurs de ces ouvrages ont injecté des tonnes de ciment pour la stabilisation des bordures des chaussées. Les cas des carrefours BMD, Polyclinique ou de l’angle de l’état-major de l’armée sont, à cet égard, très édifiants. Il est urgent, pour les pouvoirs publics, de se pencher vers une gestion plus respectueuse et pérenne des rapports entre intérêts collectifs et privés.

 

Un coup de pouce à l’UPR ?

Le si spectaculaire soutien de la campagne d’assainissement de la ville, par les pouvoirs publics, président de la République, PM, ministres et directeurs en tête, ont fait croire, à certains, qu’elle poursuivrait un objectif inavoué : donner un coup de pouce à l’Union Pour la République (UPR) qui va engager, sous peu, une campagne de réimplantation. Une occasion en or où certains responsables ne manqueront de s’exhiber. L’UPR, qui s’est engagée, elle aussi fortement et tout aussi spectaculairement, dans ladite campagne, chercherait-elle à en faire une opération de com ? Comme on le sait, la capitale politique, Nouakchott, et son vis-à-vis économique, Nouadhibou, ont toujours été des bêtes noires pour le parti au pouvoir. De l’avis de certains proches de l’opposition, le gouvernement pratiquerait une politique de « deux poids, deux mesures », dans la distribution des moyens techniques indispensables au bon déroulement de la campagne d’assainissement. On laisse entendre que la commune de Tevragh Zeïna, détenue par l’UPR, serait bien mieux outillée que celles d’Arafat, Sebkha et El Mina, gérées par l’opposition (respectivement Tawassoul, APP et AJD/MR). Invité, le dimanche 2 Novembre, sur Saharamedia, le maire de Sebkha a déploré cet état de fait. Les moyens (râteaux, brouettes, pelles, etc.) sont mis à la disposition des autorités administratives derrières lesquelles les maires doivent courir et la patte blanche de l’UPR semblerait infiniment plus apte à se retrouver pourvue que ses consœurs opposantes…

Dalay Lam