Mauritanie Logistique (ex-Schenker): Licenciements en série

30 October, 2014 - 01:55

Un différend oppose, depuis plusieurs mois, la société Schenker, devenue, entretemps, Mauritanie Logistique, à ses employés, licenciés pour motif « économique ».Tout est parti de la correspondance adressée, le 30 mars, par la direction de la société, à ses employés concernant son projet de licenciement collectif du personnel. S’en suit une autre, le 2 juin, aux délégués du personnel, leur faisant part d’une modification de l’information communiquée le 30 mars : « Depuis, notre principal client, Repsol, ainsi que Tullow et tous leurs sous-traitants, nous ont signifié la fin de leur activité en Mauritanie. Ces événements majeurs nous contraignent à modifier le plan de licenciement économique initial du 30 mars 2014 ». C’est donc dans l’optique d’obtenir leurs « suggestions » que la direction communique, aux délégués du personnel, les nouveaux licenciements envisagés et les catégories de travailleurs susceptibles d’être licenciés.

Le 15 juin, les délégués du personnel font part de leurs observations à la direction. Dans cette correspondance, les délégués rappellent, d’abord, « que la procédure de licenciement pour motif économique engagée par vos soins n’a pas respecté les dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles pertinentes en vigueur en Mauritanie et, notamment, les dispositions de l’article 55 et suivants du Code du travail et celles de l’article 30 de la convention collective générale du travail ». En effet, le Code du travail stipule, dans son article 55, que tout « licenciement individuel ou collectif pour motif économique doit être soumis aux règles clairement définies dans les articles 56, 57 et 58 du Code du travail. Ces dispositions étant des règles d’ordre public, les parties ne pourront, en aucun cas, y déroger ». Le plan de licenciement tel que décrit dans les deux lettres précitées, n’a pas respecté les dispositions de l’article 57 du Code de travail qui stipulent que « l’employeur doit informer, par écrit, les délégués du personnel en leur communiquant le motif du ou des licenciements envisagés, des catégories des travailleurs susceptibles d’être licenciés et l’ordre de licenciement de ceux-ci ». Selon les délégués, « ces vices de forme peuvent entraîner la nullité pure et simple des licenciements ».

 

Affaire non élucidée

En outre, les délégués estiment que « Schenker Mauritanie, devenue Mauritanie Logistique, suite à une affaire non encore élucidée, n’a pas fourni des raisons valables pour procéder à des licenciements pour motif économique. Car le fait que Repsol ou Tullow signifie la fin de leurs activités en Mauritanie ne pourra pas justifier le recours au licenciement pour motif économique du personnel de Schenker Mauritanie (Mauritanie Logistique) tel que défini par les dispositions légales en vigueur ». Les délégués rappellent que le « licenciement pour motif économique peut être effectué par l’employeur pour des raisons économiques et non inhérentes à la personne des salariés ». Par conséquent, la compression doit se fonder sur des difficultés économiques, suffisamment sérieuses. Mais, en aucun cas, le motif économique ne doit pas cacher un motif personnel. Forts de cet argumentaire, les délégués suggèrent, entre autres, la révision du plan social de sauvegarde d’emplois, afin de maintenir le maximum possible de postes et éviter des licenciements massifs. Les délégués proposent le « recours à des ruptures négociées des contrats de travail des travailleurs susceptibles d’être licenciés. Les délégués demandent « le paiement par anticipation des charges sociales pour les travailleurs qui sont sur le point d’être admis à la retraite ». Enfin, ils exigent la « rupture immédiate des contrats de travail des expatriés, pour alléger l’énorme fardeau financier que constitue la masse salariale de ces derniers ».

La situation se dégrade, lorsque le directeur général de Mauritanie Logistique notifie, par correspondance en date du 25 Juin 2014, la mise à pied provisoire de Simakha Doudou, le délégué du personnel, en attendant l’autorisation de l’inspecteur du travail. Prudent, ledit inspecteur, Mohamed Vadel ould Cheikh Bouya, décide de recourir à une enquête, conformément aux dispositions de l’article 127 du Code du travail. A cet effet, il sollicite la « mise à disposition de tous les documents et renseignements de nature comptable, financière, statistique et administrative susceptibles d’être utiles à l’examen et à la solution du différend collectif opposant l’entreprise à ses travailleurs ». Puis il rappelle « l’obligation de maintenir les délégués du personnel dans leurs postes, sans entrave de leur mission, d’une part, et sans changement de leurs traitements, d’autre part, car le rejet de l’autorisation de leur licenciement vous a été notifié… ». Dans sa correspondance suivante au directeur général de ML, l’inspecteur précise : « Les cent cinq travailleurs dits employés de la SPC-RTB ne peuvent en aucun cas être soustraits ou distraits de ceux de la société Schenker-Mauritanie ou Mauritanie Logistique, comme le veut la nouvelle dénomination, car s’il s’agit : soit d’un « contrat de sous-entreprise, vous liant à la SPC-RTB, où les dispositions de l’article 141 du Code du Travail n’étaient nullement respectées (aucune déclaration n’a été faite au niveau de l’inspection, avant l’exécution dudit contrat) ; soit d’un contrat de tâcheronnat où les dispositions de l’article 146 du Code du Travail n’étaient tout aussi nullement respectées (aucun visa d’enregistrement à l’inspection du ressort n’a été fait avant sa mise en exécution). Ce qui suppose que la société principale endosse toute responsabilité […] ».

 

Innombrables vices de procédure

 

Mohamed Vadel rappelle, en outre, que « Schenker n’a jamais confié, à la SPC-RTB, l’exécution de tout ou partie d’un ouvrage, car c’est plutôt Schenker qui recrute elle-même les travailleurs, les affecte, les achemine en mission, les fait travailler pour le compte de tierce société, et les met en congé, sans coordination aucune avec la SPC-RTB qui joue, tout simplement, le rôle de payeur, conformément aux actes et email de Schenker, en contrepartie d’un émergement déjà défini. En conséquence, Schenker ne peut, en aucun cas, se dérober de ses responsabilités, vis-à-vis de ces cent cinq travailleurs, tout comme de ses obligations envers les autres travailleurs ». En dépit des différentes recommandations, la direction générale ne répondra pas à aucune des sollicitations de l’inspection. Pire, elle décide, le 21 juillet, de licencier Simakha Doudou, passant outre les mises en garde de l’inspecteur. L’inspection rétorque, le 24 juillet, en se prononçant sur la « nullité du licenciement des délégués du personnel » et met en demeure la direction générale de ML de « payer, aux délégués du personnel de Schenker-Mauritanie et de SPC/RTB à laquelle vous faîtes substitution, de plein droit, leur salaire du mois de juillet 2014 ».

Quant aux délégués du personnel, ils relèvent, dans une correspondance en date du 22 septembre, les « innombrables vices de procédure commis par la société, rendant la compression des effectifs de l’entreprise nulle et de nul effet ». Ils indiquent que le « principe du maintien des contrats de travail en cours s’applique, dès lors que l’activité est poursuivie ou maintenue et, qu’en tant que disposition d’ordre public, l’article 26 du Code du travail mauritanien s’impose à l’employeur, de sorte qu’aucune dérogation ou stipulation particulière ne peut en limiter ou en restreindre l’application ». Ils réclament, entre autres, le paiement de trente-six mois de salaire, pour chaque travailleur ; le maintien de la couverture de l’assurance médicale pendant douze mois ; la régularisation de la situation de certains employés auprès de la CNSS ; et les dommages, intérêts et autres indemnités de licenciement, aux travailleurs. En vain, bien évidemment. Un grand classique des opérations patronales de liquidation d’entreprise. L’inspection dresse le procès-verbal de non-conciliation du différend (n°032/2014 où il est fait mention que suite à « notre enquête menée conformément aux dispositions de l’article 337 du Code du travail, il s’est avéré qu’aucune faute légère, à plus forte raison, grave, n’a été commise par le délégué du personnel ». En conséquence, la société doit être verbalisée pour « obstructions à l’exercice légal des missions syndicales ».

L’affaire est donc désormais pendante devant la juridiction mauritanienne ad hoc. Le Calame la suit d’autant plus près que la revente de Schenker-Mauritanie à Mauritanie Logistique, dans des conditions on ne peut plus douteuses, compte-tenu du conflit social concomitant, implique nommément des proches d’un pouvoir mauritanien guère enclin à encourager le plein et libre exercice de la justice… Les rencontres secrètes de monsieur Robert Plent, directeur logistique de DB Schenker région Ouest, l’aideraient-elles à modifier cette attitude ? Certes, « piloter un groupe de près six mille personnes est une aventure passionnante où l’humain et le management doivent rester le cœur des priorités », n’a pas manqué de rappeler, en hauts lieux, lors de son séjour à Nouakchott, le très écouté Philippe de Crécy, président, depuis mai 2009, du directoire de Schenker Logistics International « marqué par une tradition de respect des hommes et des femmes et d’éthique très forte […] ». Mais c’est plutôt vers la satisfaction du… client – et non pas de ses employés indigènes – que ce « leader des solutions à forte valeur ajoutée » semble orienter son aristocratique humanisme. Noblesse et rentabilité, un cocktail savouré par nos juges tout aussi indigènes que les employés mauritaniens de Schenker ? Il n’y a pas à dire, on va suivre, de près, les suites de cette affaire...

Nos multiples tentatives d’entrer en contact avec les nouveaux responsables de la société sont restées vaines. Nous n’avons donc pas pu avoir leur version des faits.

Thiam Mamadou