Mohamed Mahmoud Ould Bakkar, homme politique, journaliste : ‘’Sidi Mohamed ould Boubacar représente une solution aux nombreux dilemmes auxquels est confrontée l’opposition’’

7 March, 2019 - 00:50

Le Calame : On vous considère comme un des plus ardents et enthousiastes soutiens de l'ancien Premier ministre, Sidi Mohamed ould Boubacar, pour la prochaine élection présidentielle. Pensez-vous qu'il a une chance d'être choisi par l'opposition, pour en défendre le projet ?

Mohamed Mahmoud ould Bakkar : Effectivement, je suis très enthousiaste envers la candidature de Sidi Mohamed ould Boubacar. Non seulement parce que je suis convaincu qu’il convient à cette mission mais, également, pour mon attachement aux avantages d'un candidat unique, extérieur à l'opposition et disposant de qualités idéales pour transférer le pouvoir aux civils et traiter les déchets du passé. L'opposition est devenue plus réaliste. Ne plus continuer à lutter derrière des objectifs sclérosés ou à s'accrocher à l'isolement politique, c’est sur cette base que la stratégie de partenariat a été mise en avant. Cela ne signifie point la négation du passé mais, plutôt la participation à la construction de l’avenir. L’étape que traverse le pays nécessite des réformes fondamentales, en phase avec les aspirations de l'opposition, mais la force du discours, pilier de la renommée de l'opposition, confisquée et flouée par Ould Abdel Aziz en 2009, ne suffit plus à susciter l'espérance. Cela dit, le binôme souffrance-espoir reste le principal catalyseur des sentiments, positifs et négatifs. Ni l'opposition ni le régime n'ont une perception convaincante du sujet car le régime a détruit ces slogans et les a diffusés dans la souffrance, tandis que l'opposition a continué à promouvoir le discours de la souffrance sans espoir. Par conséquent, il faut trouver un candidat indépendant des deux parties, redonnant vie à ce discours, de manière à réduire la souffrance au profit de l’espoir. La large base de ce programme comprend les électeurs qui ont perdu confiance dans l’opposition – principalement les victimes de ce régime –, d’autres qui aspirent au changement, les citoyens soucieux de l’avenir du pays, et d’autres groupes encore, ayant, pour dénominateur commun de ne constituer ni des électeurs de l’opposition ni des soutiens du régime, mais qui optent pour le changement, pour se débarrasser d'un ennemi ou d'un concurrent, sans être extrêmes ni conflictuels. Cela requiert une personne hors des caractéristiques de l’opposition, principalement à cause de la forte polarisation à l’encontre de l'autre partie. De là sont partis les déterminants de la stratégie et de l’opinion lucide, au sein de l’opposition, en vue de dénicher ce rarissime sauveur. Mais  le problème est que l’opposition n’est pas égalisée, en termes de fidélité aux objectifs nationaux : certains ont pris l’habitude de mesurer les positions selon leurs propres intérêts, avant de considérer les dimensions nationales, et il est regrettable qu’ils soient influents. En résumé, Sidi Mohamed ould Boubacar représente une solution aux nombreux dilemmes auxquels est confrontée l’opposition. Il offre une occasion d’atteindre des objectifs intermédiaires, en saisissant l'opportunité du changement, via une personnalité par qui l’on peut accéder à la carte des voix de l'autre camp. Il donne aussi une chance d’alternative, à la discorde de l’opposition, pour en préserver l’unité et lui épargner le cauchemar de la fragmentation devant cette échéance historique, tout en lui réalisant certains acquis, en la libérant des opinions et des énergies de contraintes négatives, ne voulant entrer dans aucun des deux camps. Voilà de quoi lui offrir une nouvelle popularité et un discours réformiste convaincant, ainsi que la sécurisation de ressources matérielles. Et consolider, ainsi, la force de mobilisation, la capacité de commercialisation et des engagements prometteurs, en matière de capacité de réformes, grâce à sa grande expérience.  Sidi Mohamed ould Boubacar apporte, à l’opposition, des mains pleines d’atouts utilisables qui l’aident à devenir acceptable et un partenaire essentiel, dans un processus de sauvetage historique du pays, conforme aux rêves derrière lesquels elle n’a cessé de courir, les vingt-sept dernières années.

 

- A en croire certaines informations, au moins deux partis de l'opposition se refuseraient à seulement évoquer la possibilité de choisir Ould Boubacar. Prévoit-il de se présenter à la bataille électorale, si l'opposition n’est pas unanime sur son choix ?

- Je ne partage pas votre opinion selon laquelle d’aucuns se refuseraient à seulement évoquer son nom, alors  que celui-ci serait devenu le seul sur la liste de l'opposition et que l'opposition ait décidé de présenter un candidat en dehors de ses propres rangs. En ce qui concerne le maintien de sa candidature s’il n’est pas soutenu par l’opposition, je ne pense pas que la réponse relève d’un simple oui ou non mais, plutôt, des atouts dont Sidi Mohamed dispose, dans le pays et à l’étranger, l’opposition n’en constituant qu’un. Sans nier l’importance de celle-ci, Sidi Mohamed est connu pour sa pondération, connaît parfaitement la taille de l’enjeu et mille lieues le séparent de l’opportunisme et de l’insouciance. Sur cette base, nous devons évaluer sa candidature ou, au moins, essayer de comprendre que la candidature d’une personnalité présentant de telles caractéristiques ne constitue pas un simple acte individuel. Il convient de noter, en outre, que toutes les cartes de Sidi Mohamed n’ont pas été encore abattues, ce qui donne confiance en sa capacité de combattre le système. Son aptitude à organiser ses cartes, à ce jour avec tant de sagesse, nous pousse à lui reconnaître force. Nous ne pourrons, en tout cas, jamais le taxer de faiblesse, ce  qui constitue une arme de premier choix, devant l’élection à venir.

- Avoir occupé des postes de responsabilité, sous Ould Taya, et être, à ce titre, associé de manière organique au régime de celui-ci,  n’est-ce pas un handicap majeur, faisant, de Sidi Mohamed, un sorte de croque-mitaine effrayant, aux yeux des militants de l'opposition ?

- L’occupation, par Sidi Mohamed, de postes au service de sa patrie, sous d’autres régimes, n’empêchera pas l’électorat de l’opposition de voter pour lui car l’opposition constitue, actuellement, un mélange des fils des opposants et des serviteurs de ces régimes. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’opposition accueille un membre des régimes qui l’ont réprimée. Ainsi, en 1992, Ahmed ould Daddah, le frère du président Mokhtar, fut accueilli par les Kadihines qui avaient été (ou dont une partie le fut, jusqu'en 1974) victimes de la répression de Mokhtar ; une alliance dictée par les mêmes raisons qu’aujourd’hui : manque de possibilités, multiplicité des sensibilités et des ambitions au sein de l'opposition. Le score de 32%, obtenu malgré la machine de la fraude, fut hélas gaspillé. Mais la question importante est celle-ci : pourquoi Ahmed ne fut-il pas handicapé par la question de son appartenance au régime de son frère, alors qu'il venait, seul et sans fonds, avec, pour seule qualité, son intégrité ? La situation exigeait de sacrifier les ambitions, les intérêts personnels et les égoïsmes, pour débarrasser le pays d’un régime qui l'avait épuisé. Pourquoi poser  cette même question, aujourd'hui, en problématique devant la candidature d’Ould Boubacar, si nous ne cherchons pas à servir le régime ? Nous nous trouvons, maintenant, devant un scénario analogue et il serait insensé de ne pas y faire face avec la même méthode, d’autant plus qu’elle s'est avérée efficace. Je ne trouve, donc, dans la réalité politique, aucune raison d'empêcher l'opposition de soutenir Sidi Mohamed, surtout s’il lui permet d’établir une véritable concurrence avec le régime.

 

- Si l'opposition ne parvient pas à s’entendre sur un candidat unique, cela servira-t-il l'intérêt du candidat du régime ?

- Bien sûr que oui et mille fois oui. L’aide maximale que le régime aspire à obtenir, de l’opposition, alors qu’il subit, lui, les affres de ses contradictions internes, est de ne pas présenter un candidat crédible, unique et sans concurrent, avec la complicité de certains des membres de celle-ci, de manière à l’affaiblir, neutraliser certaines de ses composantes dans le jeu et étouffer l’enthousiasme suscité par l’importance, pour elle, de la compétition. Pourquoi rater une telle occasion pour la patrie et pour l’opposition elle-même d'arracher l’alternance? Que signifie, pour elle, de présenter un candidat unique ? Le problème est que le cœur de l’opposition n’en est pas le décideur. Une grande partie de la décision se cherche auprès du régime et dans la vente aux enchères. Mais l’Histoire attend, au tournant, ceux qui trahissent les objectifs nationaux de l’opposition, en l’occurrence, la construction de l’alternance. Toute décision erronée stigmatisera ses auteurs, comme traîtres à la démocratie.

 

- Mohamed ould Ghazwani a adressé des invitations, en son nom personnel, à assister à la cérémonie de l’annonce de sa candidature. N'est-ce pas un désaveu de "l’Union Pour la République" dont le président avait présenté Ghazwani en candidat du régime ?

- Le parti au pouvoir, dans ce type de démocratie : « pluralisme du parti unique » ; que nous vivons depuis 1992 n'a d'importance que sur la forme. Il est vrai qu’il constitue, d’habitude, le réservoir du régime, car il est lié au fauteuil, souffre d’indigestion avec chaque Président et meurt à chaque passation du pouvoir : c’est une chose, parmi d’autres, du gouvernant en place. L’appel en son nom ou en d’autres n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est de savoir comment Ould  Ghazwani accepte d’être la continuation d’une légitimité basée sur la contrainte et le chantage, confrontée à des dizaines de dossiers de corruption qui noieront n’importe quel président ayant l’ambition de contrôler le climat et l’horizon des affaires. Quelle sera la situation réelle de Ghazwani, dans ces décombres où il n'y eut aucun élément de planification ni de réflexion, où rien ne fut et n'est clair, et où tout finissait par des ordres « d'en haut », alors que, sur le terrain, se bousculent les défis et les engagements sécuritaires, une dette extérieure de cinq milliards de dollars, le chômage, la pauvreté, des sociétés en faillite – SONIMEX, ENER, APAUS… – et d’autres en telle route – SNIM, Compagnie Aérienne... – et des projets fictifs.

Ould Abdel Aziz n’accordera pas, à son compagnon – si celui- ci gagne – une liberté de manœuvres, surtout en matière de régulation de l'Etat. Les deux questions urgentes à poser sont les suivantes : quelle est le montant du prix à payer pour la cession du pouvoir à Ould Ghazwani ? Quelle est la nature de l'engagement, vis-à-vis des partenaires extérieurs, en particulier en ce qui concerne l'approche sécuritaire, prix à payer, pour fermer les yeux sur tant de choses passées et actuellement en cours dans le pays ? La vérité choquante est que Ghazwani et ses partenaires vont se retrouver dans l’embarras. Ghazwani, à l’instar de Sidi ould Cheikh Abdallahi, se trouvera dans l’impossibilité d’être indépendant de son compagnon, les choses se révèleront plus difficiles qu’il  ne l’imaginait et le pays paiera le prix, fort, d’une lutte, occulte et acharnée, au sein même du pouvoir, sans que nous puissions en déterminer ni le plafond ni la durée. Sidi ould Cheikh Abdellahi, qui partage, avec Ghazwani, une même haute moralité, se retrouva, un an et quelque plus tard, contraint de se débarrasser de son partenaire, avec les conséquences qu’on connaît. Combien de temps faudra-t-il, à Ghazwani, pour affronter une situation analogue, avec son compagnon ?

 

Propos recueillis par AOC