Mohamed Ould Ghazouani serait-il le premier sémaphore constitutionnel ? /par Ahmedou Ould Moustapha 

21 February, 2019 - 00:39

Aux anciens temps, avant que le mot ne devienne synonyme de phare, un sémaphore était celui que l’on désignait pour aller de colline en colline transmettre des messages sous forme de signes simples que tout le monde pouvait comprendre et répercuter au sein de sa propre famille. Certaines qualités, notamment un comportement rassurant, étaient requises pour l’exercice de cette fonction dont l’apanage revenait de fait ou par tradition à une seule famille qui se succédait ainsi de génération en génération.

Gageons que la désignation du général Mohamed Ould Ghazouani, comme candidat devant succéder au président en exercice, n’était point un acte inaugural de transmission du pouvoir qui serait réservée, à tour de rôle, aux seuls officiers de notre armée nationale, créant ainsi une sorte de statut du sémaphore de l’alternance constitutionnelle. Ce serait une perspective affligeante si non, et même handicapante pour notre démocratie…

Quoi qu’il en soit, au-delà de ce procédé qui suscite les supputations  et interrogations du moment, l'actuel ministre de la Défense est sans doute le plus éligible des candidats putatifs ou confirmés aux prochaines élections présidentielles. La raison est toute simple : Il n’est certes pas besoin d’être un homme d’Etat pour se présenter candidat à l’élection présidentielle, mais devenir vraiment présidentiable requiert de tout autres facultés (…). Si on peut bien s’improviser candidat, on ne peut pas s’improviser éligible. C’est encore plus vrai dans ce pays où plusieurs conditions préalables à la tenue d’élections incontestables restent à parfaire, elles sont d’ordre institutionnel ou technique et certaines sont liées aux revendications de l’opposition.

Est-ce par manque de maturité politique des principales paries prenantes ou par mauvaise volonté de l’Etat?

C’est dire  que la démocratie n’a de sens que si elle s’impose à tout le monde, pouvoir et opposition, comme une nécessité évidente.

Autrement l’alternance démocratique est une vision de l’esprit et l’homme providentiel n’existe pas dans l’élection présidentielle.

Aussi, dans la phase actuelle de l’évolution du pays, même si tout le préalable était mis en œuvre et que l’opposition ne voyait plus aucun obstacle se dresser devant ses chances, il n’en restera pas moins que le mythe du personnage historique adulé par les militants et du brillant homme d’affaires étranger à la scène politique, surgissant comme des outsiders irrésistibles au milieu du combat électoral, relèverait toujours de l’imaginaire.

Ici, les militants et autres activistes – ‘’ceux qui crient’’ et se font panégyristes de tous les régimes – adorent les discours virulents et le vacarme, les hommes d’affaires n’ont pas toujours le talent nécessaire en politique, nos grands électeurs ainsi que la majorité des citoyens ordinaires n’aiment pas le tohu-bohu et se défient de ceux qui cherchent les fractures, les ruptures. La conscience politique et l’engagement déterminant ne sont pas des facteurs les plus partagés chez nous. Il eût mieux valu qu'il en soit autrement, mais c’est ainsi, on n'en peut rien.

Pour s’inscrire dans le sillon de l’histoire

Vola pourquoi le candidat désigné par le pouvoir est quasiment assuré de remporter le combat, il n’est dès lors pas obligé de porter à tout prix les couleurs d’un parti politique ou d’une coalition de partis. Au contraire : le contexte politique et la fragilité de notre économie recommandent d’éviter de passer pour un homme de parti et encore moins un cacique d’appareil, il faut plutôt se faire rassembleur. Il lui faut surtout, après son élection, avoir des convictions politiques à la fois claires et modérées et s’entourer des meilleurs cadres du pays, peu importe qu’ils appartiennent à l’opposition ou à la majorité, s’il veut vraiment s’inscrire dans le sillon de l’histoire par la réalisation d’œuvres économiques importantes et de réformes politiques nécessaires qui resteront gravées dans la mémoire collective.

Cette ambition politique implique l’utilisation des compétences de tout bord : c’est à la fois chercher l’efficacité et incarner en pratique l’unité du peuple dans toute sa diversité ; c’est éviter le manichéisme destructeur des ‘’applaudisseurs’’ et leur unique fonds de commerce se traduisant dans les rumeurs suspicieuses et les propos  stigmatisant ou clivant, c’est surtout ne montrer aucun intérêt à leurs proclamations de soutien lourdement répétitives, comme pour renouveler inlassablement leur allégeance, tout en sachant parfaitement que cette bien curieuse manière de faire de la politique ne dupe personne...

Faire de la politique, c’est une attitude qui consiste à s'élever à un autre niveau, en hauteur et en grandeur, c'est une question d'envergure, parce qu’il s’agit de destin national pour beaucoup d’hommes et de femmes ; encore que pour la plupart de nos acteurs politiques, depuis au moins une génération, il ne s’agit plus que d’intérêts personnels à visage découvert.

Les espérances créatrices

Gageons également que ce général serait, s’il était élu, l’interprète bien inspiré de cette alternance pour le moins inédite mais non moins historique en ce qu’elle constitue une nouvelle étape à la fois symbolique et déterminante au regard du respect de la constitution, même si les sceptiques invétérés n’y ont vu qu’une marque d’involution. C’est en tout cas notre vœu qui se veut optimiste et qui pourrait se transformer en miracle si ce futur président venait avec la volonté de chevaucher le noir destrier du malheur national que vit le pays depuis que nos militaires ont pris goût à la chose publique, depuis surtout que leurs thuriféraires ont su comment les manipuler, mettant ainsi tout le pays et ses institutions en coupe réglée et réussissant à en faire, malgré ses immenses richesses, cet Etat que toutes les statistiques du monde classent parmi les derniers dans tous les domaines de la gouvernance. Si ce candidat était élu, puisqu’il disposerait de moyens adéquats, il pourrait ainsi ramener sur un pays au plus bas de tous les tableaux comparatifs des tombereaux d’espérances créatrices qui ouvriraient de meilleures perspectives et qui, finalement, rendraient la vie supportable pour tout le monde. Il s’agit là de sentiments d’espoir qui font tenir des populations ensemble et qui leur assurent une certaine sérénité quant à leur devenir commun, lorsque celui-ci est profondément menacé et qu’elles ne le devinent même pas.

Encore faut-il, c’est même le plus important, se fixer des objectifs et les faire partager avec conviction et méthode. Les collaborateurs qui seront chargés de leur exécution ou de leur réalisation ne doivent ressentir aucun doute sur la motivation de ces objectifs ni sur le comportement économique du chef. La sincérité des convictions de celui-ci, sa vision claire du but qu’il s’est fixé et une réflexion à la mesure des décisions envisagées sont les seules à même de faire naître l’espoir créateur de changement.

Autre chose que l'éternelle répétition du présent

On peut s’occuper à annoncer des projets qui ne verront jamais jour ou, au moins, pas dans les termes prévus, à galvaniser les foules, afin de prendre le pouvoir et l’asseoir par des subterfuges pour y rester longtemps. L’expérience est encore vivace en nous, et c’est la nature même des dictatures que de subjuguer et de parler de changement en faisant miroiter un avenir meilleur. L’espoir n’est pour ce type de pouvoir qu’un enfumage, une duperie destinée à endormir le peuple et notamment ses forces vives. Rien n’est plus simple en effet que l’exercice du pouvoir en dictature, car cela n’exige aucune qualité exceptionnelle…

En revanche, ce qui justifie le changement de pouvoir, c’est la conviction que la société n’est pas condamnée à l’éternelle répétition du présent et qu’autre chose est possible. Car si on ne peut rien changer en politique, si la société n’est susceptible d’aucune amélioration, à quoi bon déployer d’importants moyens pour donner au peuple le choix de porter au pouvoir celui-là plutôt que l’autre ? Le suffrage universel se réduirait alors à un rituel cyclique stérile et franchement ridicule.

Les qualités du candidat

Pour ma part, me fondant sur la raison évoquée plus haut et sur l’idée que je me fais de lui, je présume fortement que le général Ould Ghazouani sera élu président de la République et qu’il serait différent aussi bien de son compère que de ceux qui ont précédé celui-ci à cette fonction. Et selon certaines personnes dignes de foi, qui le connaissent ou qui ont eu à le rencontrer, l’homme a une grande capacité d’écoute, il n’est pas impulsif et ne s’emporte pas de manière inattendue ou spontanée, il est donc calme, ce qui est signe d’un tempérament réfléchi ; il a, dit-on, une éducation de grande tente, c’est-à-dire une attitude respectueuse et un commerce humain qui met son interlocuteur à l’aise, sa réputation ne souffre ni d’un comportement économique répréhensible ni d’une influence ou propension qui obéit à des fins mercantiles ; on dit aussi  qu'il parle peu mais bien et qu'il serait même un des esprits supérieurs en comparaison aux officiers de sa génération…

Que l'on me comprenne bien : il n'est nullement question d'inventer ces traits de caractère, et moins encore de publicité ou de  propagande, ce n’est pas non plus contribuer à dessiner une image ; l’image existe déjà ! Il s'agit simplement de cerner les qualités d’un homme qui s’apprête à porter les plus hautes charges de l’Etat et à disposer du pouvoir d’orienter le destin du pays vers le meilleur ou le pire. D’essayer aussi de souligner en filigrane les caractéristiques qui pourraient le différencier des autres officiers qui ont eu la même trajectoire et qui vont tous disparaître, si ce n’est déjà le cas, dans les limbes de notre mémoire collective, bien qu’ils aient fait ce qu’ils pouvaient faire, mais ce qu’ils avaient fait en bien était insuffisant ou très limité, d’où peu de personnes les regrettent aujourd’hui. Leur tort aura été de croire que la seule capacité de diriger ou de commander suffisait comme prédisposition pour accéder au statut d’homme d’Etat ou pour gouverner.

Or gouverner un pays, c’est aussi et surtout comprendre l'importance des enjeux politiques qui impactent son avenir socio-économique, y faire face avec clairvoyance, et prévoir les contingences qu'ils supposent, cela exige deux autres qualités primordiales : l’honnêteté intellectuelle et la rigueur morale, qui conduisent à la vertu et postulent la tâche essentielle de conception et de projection, c'est-à-dire l’anticipation ou la réflexion prospective qui guide l’action, une tâche que le chef partage généralement avec un entourage de qualité.

Voila pourquoi la crédibilité et la réussite en ce domaine se mesurent toujours à ces deux qualités supérieures et à l’efficience de cet entourage. Et ce futur président sera donc   jugé à l’aune des premiers actes qu’il aura posés par rapport à ses orientations politiques et la composition de son équipe.

 

                         Dakar, le 17 février 2019