Le Parlement du Rire

7 February, 2019 - 01:16

Après quelques mois de vie, la nouvelle Assemblée nationale vient de boucler sa première session. Sans surprise, tous les projets de loi présentés par le gouvernement sont passés comme lettres à la poste. Les représentants du peuple ont fait avaler, à celui qu’ils sont censés représenter, de très grosses couleuvres dont la plus dangereuse est, certainement, la facturation, sur son dos,  d’une bagatelle de cent quatre-vingt-sept milliards d’ouguiyas subtilisés des caisses de la Banque centrale. La session fut aussi marquée par quelques accrochages, virulents, ponctués d’écarts langagiers, entre divers députés et quelques membres du gouvernement. Les injonctions, parfois très intempestives, de deux présidents peu habitués à se voir contredits. Violations flagrantes du règlement intérieur que trop de députés, anciens et nouveaux, semblent ne pas avoir encore intégré. Heu… mais, entend-on remarquer, au sein du peuple censé être représenté par lesdits députés, dans tous les parlements du monde, les contradictions sont tout-à-fait normales et naturelles.  N’être plus qu’une chambre d’enregistrement où une majorité, mécanique, approuve tout ce qu’on lui propose, sans jamais prendre, une seule fois, la peine de le discuter objectivement, c’en est peut-être un peu trop, non ? Loin de moi, ou, du moins, pas trop près, l’idée de m’en prendre à l’honorabilité de l’Assemblée nationale dont la mission de législation, de contrôle et de régulation, dans une véritable démocratie, est indispensable, mais notre Parlement national est un véritable parlement du rire. Des députés aux ordres, que le gouvernement réunit autour d’un banquet, pour leur donner instructions et consignes. Des députés qui violent et appellent au viol de la Constitution, comme cela fut tenté, tout dernièrement, avec cent deux parlementaires officiellement prêts à faire passer des amendements constitutionnels pour permettre, au président Mohamed ould Abdel Aziz, de briguer un troisième mandat auquel il n’avait pas droit, en vertu des dispositions des articles que justement ces députés voulaient déverrouiller. Revirement présidentiel, pour des raisons non encore élucidées ; revirement ridicule des députés... Les démocrates mauritaniens n’oublieront jamais la manipulation des « élus du peuple », en 2008, par les généraux, pour déstabiliser le Président démocratiquement élu et permettre un coup d’Etat. Lors des plénières, certains députés ont continuellement le téléphone collé à l’oreille. D’autres discutent en aparté. D’autres encore dorment paisiblement, en attendant de lever mécaniquement la main, pour « agréer » un texte. Parfois, c’est à peine si l’on compte trente députés présents, sur les cent cinquante-sept inscrits. Quorum ? Quo quoi ? Un véritable parlement du rire. De temps à autre, la poignée des députés de l’opposition sort de la salle, en réaction à cette farce. Odeur de pierre pour leurs collègues. Ou, pour ainsi dire, l’oiseau du baobab qui s’y pose et s’en envole, sans rien. Je n’ai jamais compris l’utilité d’un tel parlement. Généralement mal élu. Souvent complètement déconnecté des préoccupations des populations qui l’ont, théoriquement, mandaté. Finalement, beaucoup d’argent mobilisé, mais quelle utilité ? Budget de l’Assemblée, gros salaires et avantages, en termes de frais de mission et de session, facilités administratives, comme pour les passeports et autres exonérations douanières… En contrepartie de quoi ? Cent quarante députés qui font tout passer, à un gouvernement loin d’être sans reproches. En cela, les députés de tous les parlements qui se sont succédé, depuis l’enclenchement du « processus démocratique », sont quasiment les mêmes. Une succession de parlements du rire dont les membres ne semblent pas comprendre qu’ils sont redevables du peuple qu’ils prétendent représenter. Quand les députés se « militarisent » et marquent le pas ; quand ils dorment en pleine session ; quand ils s’absentent ; quand ils appellent à violer les lois ; quand ils « peschmerguisent » ; quand ils se « caméléonisent » : bonjour Mamane, bonjour Digbeu Cravate, Bonjour Gohou !  Véritable Parlement du Rire. Faudrait l’envoyer à Abidjan, il y sera certainement distingué…

Sneiba El Kory