Troisième mandat : La fin de la récréation ?

23 January, 2019 - 21:39

C’est depuis l’étranger que le président de la République a décidé de mettre fin à la prolifération des initiatives visant à  lui offrir un troisième mandat, en dépit de la limitation à deux, du serment sur le Coran et ses nombreuses déclarations rappelant son engagement à se conformer à notre loi fondamentale. Un coup de sifflet consécutif à l’entrée, dans l’arène, de députés  s’agitant, eux aussi, pour le même objectif. Le trouble paraissait gagner le sommet de l’Etat. Nombre de  mauritaniens de l’opposition mais, aussi, du pouvoir allaient-ils se résigner, face aux appels à violer la Constitution ?  De fait, l’initiative des députés « déverrouilleurs » n’a pas reçu l’accueil escompté. Au contraire, elle a provoqué une espèce de répulsion, pour ne pas dire révolte, au sein de l’opinion nationale, y compris, semble-t-il, de la Grande Muette. Deux jours de tension palpable, au sein de la majorité et, bien évidemment, entre celle et l’opposition. Les porteurs du projet  « Troisième mandat » se réunissaient en privé, collectaient les signatures, tandis que l’opposition organisait un sit-in devant le Parlement. Biram Dah Abeid déclarait que la  modification de la Constitution ne  passerait que sur leurs  cadavres. Et à en croire certaines rumeurs, des leaders historiques de l’opposition allaient diriger une marche sur le Parlement. Toute cette agitation suivie, depuis l’étranger,  par le principal intéressé, Mohamed ould Abdel Aziz. La tension, quarante-huit heures durant, est allée crescendo,  avec un risque croissant de conséquences imprévisibles. Il fallait donc agir et vite.  Le pouvoir a fait marche arrière. Plusieurs  raisons sont avancées par les analystes et observateurs.

En un, le Président aurait décidé de siffler la fin de la récréation, au constat de l’apparition d’une fissure au sein de la majorité présidentielle. Plusieurs députés, comme Ould Ennahwi, ont  tenu à émettre des réserves, quant à l’opportunité de l’initiative de leurs collègues. Gare au « syndrome  du Sénat » ! Même démoli, il continue à hanter le palais présidentiel… Pédale douce, donc : même si 102 députés (sur les 157) ont donné leur signature, rien ne garantit  qu’ils voteraient  le texte, lors de sa présentation au Parlement.

Autre argument, certaines régions du pays, notamment celles de l’Est, n’ont pas fait montre d’enthousiasme, pour organiser des marches appelant audit troisième mandat. L’actuel PM, Ould Béchir, a eu du mal à se faire entendre des élus de ces régions, rencontrés grâce à l’intervention du président de l’UPR qui aurait, lui-même, peiné à  les convaincre à suivre la caravane déverrouilleuse. Déception ? Un troisième mandat, pour l’actuel président de la République, signifierait la mise à l’écart  d’un des leurs, à savoir le général Ghawzani dont la majorité des Mauritaniens s’accordent  à dire qu’il est le mieux indiqué, pour succéder à Ould Abdel Aziz. D’aucuns suspectent, d’ailleurs, les députés de l’Est de n’avoir pas donné leurs signatures, suite à une entrevue avec le potentiel successeur de l’actuel Président, pendant l’agitation du « bataillon » parlementaire. Les régions de l’Est comptent les plus hauts cadres du pays (trois PM, des généraux  et ministres…). Mais l’on assiste, depuis quelque temps, comme à une espèce de « mal être » des ressortissants de cette partie du pays, grosse pourvoyeuse d’électorat.

Répondant à ces allégations, un des députés de l’Est a nié avoir tenu rencontre, ces derniers temps, avec le général Ghazwani. Il n’empêche que c’est au sein de la majorité  présidentielle, dont certains seraient embarqués dans une guerre de succession, qu’ont proliféré ces insinuations. Ceux-là ne cacheraient pas leur hostilité  envers l’actuel  ministre de la Défense qui  bénéficierait, laisse-t-on entendre, d’une aura auprès de l’armée, de l’opinion nationale et de quelques chancelleries occidentales. L’énigmatique général n’accepterait pas de jouer à la Medvedev, redoutent ses détracteurs qui se recruteraient, croient savoir les rumeurs des salons nouakchottois, dans l’entourage proche du locataire du Palais gris : conseillers à la Présidence, ex-PM et quelques ministres du gouvernement Béchir…

Face à cette situation qui  devenait de plus en plus incertaine, le président de la République a donc ordonné la publication d’un communiqué pour y mettre fin. Un avis publié, dans la foulée, par les organes officiels de l’Etat. Une première dans les annales de l’épisode Ould Abdel Aziz qui jamais, à ce jour, ne rendit pas compte par ce canal. Preuve de l’urgence ou, du moins, d’un réel cafouillage ? Il fallait rapidement rassurer l’opinion nationale, la Grande Muette et les chancelleries occidentales. Ainsi que les députés proches du pouvoir, curieusement félicités, au passage, par le Président.

Aujourd’hui, la situation semble redevenue « normale ». Mais, selon un analyste, un « ressort s’est cassé », quelque part, dans les arcanes du pouvoir. Croyant bien faire, les députés ont rendu un mauvais service à leur patron. Il a certes repris la main, mais jusqu'à  quand ? Le coup est sérieux. Quelles  seront les conséquences de ce précédent ? Le Président devra-t-il accélérer la désignation de son dauphin ? Une chose est sûre : des séances d’explications sont attendues, à son retour at home.

DL