2008-2018 : une décennie perdue (troisième partie)/Par MOUSSA FALL, président du mouvement pour le changement démocratique (M.C.D.)

30 August, 2018 - 04:22

UNE DESASTREUSE POLITIQUE D’AFFECTATION DES RESSOURCES

 

La qualité de la gouvernance s’apprécie au regard de la gestion et de la pertinence des utilisations des ressources d’un pays. En ce qui concerne la Mauritanie, en additionnant les recettes budgétaires et les apports extérieurs du 1 janvier 2009 au 31 décembre 2017 on obtient : 3514 milliards de MRO en recettes budgétaires et 28,535 milliards de dollars en recettes extérieures.

 

Au vu de ces chiffres, la première question qui vient à l’esprits est : qui pouvait s’imaginer que le pays a bénéficié de ressources aussi considérables ? La seconde question est de savoir où sont passées toutes ces ressources tant sont maigres leurs contreparties visibles. En dehors des résultats enregistrés au plan de la sécurisation de nos frontières et de la réalisation de certaines infrastructures secondaires on ne voit pas les effets positifs qu’un tel volume de ressources aurait pu apporter aux conditions de vie de population et au développement du pays en général.

 

Les analyses des affectations budgétaires édifieront sur l’inadéquation des politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics durant cette période.

 

Les trois principaux postes de dépenses de l’État

 

Les politiques budgétaires reflètent les stratégies mises en œuvre par chaque pays. En Mauritanie, les pouvoirs publics ont, à partir de 2009, suivi des politiques budgétaires favorisant : (i) l’investissement ; le premier poste d’affectation des recettes va aux investissements (16% du PIB), des investissements non rentables et non prioritaires, pour la plupart, comme nous le verrons plus loin.  (ii) le service de la dette ; le deuxième poste d’affectation est le service de la dette (6% du PIB), un niveau élevé qui résulte du surendettement du pays qui amenuise gravement la marge de manœuvre en matière de financement du développement ; (iii) les transferts et subventions ; le troisième poste revient  aux  transferts et subventions (3% du PIB), poste gonflé par la politique d’étatisation à outrance suivie ces dernières années. L’importance des fonds alloués à ces trois emplois laisse peu de ressources pour les autres secteurs de l’activité du pays, et en particulier, pour les secteurs sociaux. En général, la hiérarchie des priorités des États place les services sociaux à son sommet. Ces services que sont en particulier l’éducation, la santé, l’unité et la cohésion sociale, ont été, comme nous le verrons plus loin, relégués au rang des préoccupations subalternes. C’est cette inversion des priorités qui constitue la marque de fabrique des autorités en Mauritanie durant cette dernière décennie et c’est à ce niveau que se situe la dérive majeure de leur gouvernance.

 

 

 

 

 

 

 

 

1- Les dépenses d’investissement

 

Tableaux sur les dépenses d’investissement de la période (en milliards de MRO)

 

 

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Dépenses d'invest.

58,5

55,6

56,2

65,2

91,8

136,9

169,6

191,5

255

261,2

265

267

 

 

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Dépenses d'inves. % pib

8%

7%

7%

6%

8%

9%

10%

12%

16%

16%

14%

14%

 

Le premier poste des dépenses publiques revient aux investissements : 2082 milliards de MRO leur ont été affectés pour les exercices 2008 - 2018. On constate une hausse vertigineuse des dépenses d’investissement à partir de 2009 passant de 7% du PIB à plus de 16% du PIB en 2017. 

 

Un rapport de la Banque Mondiale, en date de février 2018, confirme, tardivement et alors que le mal est fait, ce que nous n’avons cessé de répéter tout au long de ces dernières années, « que l’investissement public a un coût budgétaire élevé et n’a abouti qu’à une croissance moyenne. Ce résultat non souhaité émane des problèmes structurels tout au long du cycle de gestion de l’investissement public. Ces contraintes affectent l’efficacité et le rendement économique du portefeuille des projets publics en Mauritanie »

 

La stratégie mise en œuvre dans le domaine de la politique d’investissement est marquée par l’amateurisme et l’improvisation :

 

  1. Les choix des projets ne se réfèrent nullement aux cadres stratégiques de développement tels que les Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP), élaboré en 2000 pour la période 2000-2015, en particulier et, plus récemment, la Stratégie Nationale de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP) élaboré en 2016 pour la période 2016-2030. La sélection des projets répondait à l’instinct, aux lubies plus qu’aux besoins économiques dûment établis.

 

  1. Les critères de définition des priorités sont inexplicables. On voit, par exemple, la priorité donnée à des infrastructures secondaires, de confort telles que les deux dessertes de Bennichab. etc. alors que faute d’entretien, la route de l’espoir devient quasiment impraticable et son état provoque chaque jour des accidents mortels. La route Nouadhibou-Nouakchott est quasiment dans le même état et la route de Rosso, se réduit à des déviations dangereuses, pour les personnes, et les biens. La construction du pont de Rosso qui doit figurer parmi les toutes premières priorités du pays est sans cesse différée pour des raisons inexplicables.

 

  1. Les nécessaires études de faisabilité sont négligées et de grands projets ont été réalisés avec des surdimensionnements qui sont autant de gaspillages de ressources. Le surdimensionnement augmente les coûts de réalisation en amont, gonfle les amortissements et les charges d’exploitation en aval. Pourquoi a-t-on construit un aéroport d’une capacité de 2 millions de passagers pour un trafic qui plafonne à 200000 voyageurs par an, alors qu’il pouvait être agrandi au fur et à mesure de l’augmentation du trafic. Pourquoi a-t-on installé une puissance de production électrique qui double l’offre alors que la demande est quasi stagnante à Nouakchott ?

 

  1. Les travaux financés sur ressources du budget de l’État, qui en absorbent 30 à 40%, et ceux sur financements extérieurs liés, sont généralement attribués dans le cadre de marchés de gré à gré à des entreprises choisies d’autorité. Cette pratique permet la corruption la plus massive, ôtant toute crédibilité au slogan prôné par le chef de l’État Mohamed Ould Abdel Aziz sur l’éradication de la gabegie.  Cette pratique permet aussi le transfert d’un volume considérable des ressources vers un cercle fermé et sans effet de ruissellement. Les travaux de préparation des Sommets de la Ligue Arabe et de l’Union Africaine, le nouveau palais des Congrès, les tronçons de Nouakchott-Wad-Naga et Nouakchott -25 kms sur la route, les ports de Tanit et de N’Diago, etc. sont des exemples, parmi tant d’autres, d’attributions de marchés de gré à gré. Outre son iniquité, la pratique du gré à gré tue la concurrence, décourage les entrepreneurs, asphyxie de dynamisme et l’esprit d’entreprise et pollue le climat des affaires. C’est une pratique anti économique.

 

  1. Parce que les marchés de gré à gré ne font pas appel à la concurrence, les qualifications et les références ne sont pas exigées. Il en résulte que l’exécution des travaux ne répond pas, dans la plupart des cas, aux normes. La qualité des travaux est souvent médiocre, les retards coûteux sont fréquents, et la durée de vie des ouvrages est diminuée. Comme exemples citons le retard accusé par la SNIM dans la réalisation de son projet d’extension des guelbs (un projet d’un milliard de dollars qui n’atteint pas le quart de sa production nominale 4 ans après son démarrage), avec de très grands préjudices financiers, la qualité des routes récemment construites qui se dégradent une fois achevées, les aménagements hydro agricoles dont la durée utile d’exploitation est réduite.

 

  1. Le service de la dette

Les charges de la dette extérieure publique, en principal et intérêts, payés en 2017, se sont élevées à 293 millions de dollars enregistrant ainsi une augmentation de 17% par rapport à 2016.

Tableaux des dépenses au titre du service de la dette en millions de $

 

 

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Service dette

89,9

75,8

60,6

109,6

100,7

137

156,6

243

236

250

293

 

 

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Service dette en % Pib

3%

2%

2%

3%

2%

3%

3%

5%

5%

5%

6%

 

 

La dette extérieure atteint 96% du PIB au 31 decembre 2017. Un taux si excessif que le FMI qui n’a cessé d’encourager les autorités par ses satisfecits sur leur politique économique tout au long de ces années, vient tout juste de se rendre compte, par les déclarations de son directeur général adjoint, lors de son dernier séjour à Noukchott, que « la dette publique expose la Mauritanie à un risque élevé de surendettement lorsqu'on applique les normes internationales de viabilité de la dette ». Le niveau atteint par cette dette alourdi, année après année, le poids de son service sur le budget de l’État. Les charges annuelles au titre du remboursement de la dette publique (hors dette passive, SNIM et autres) constituent le deuxième poste de dépenses publiques. Elles absorbent désormais 6% du PIB.

 

On constate donc que la seconde destination des ressources va vers le remboursement de la dette. La forte hausse du service de la dette, commence à partir de 2014 (voir graphique) au moment du retournement de la conjoncture des prix des matières premières. Les autorités économiques qui se sont trouvées confrontées à la baisse brutale des prix dans le secteur minier, ont recouru massivement au surendettement, pour compenser cette baisse significative des revenus du commerce extérieur et conforter leur position de change, sans en mesurer les conséquences ultérieures.

 

Le remboursement de la dette de 2008 à 2017 a coûté au budget de l’État 1,955 milliard de dollars.

 

 

 

 

 

 

 

  1. Les transferts et subventions

 

Tableau des transferts et subventions (en millions de MRO)

 

 

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Transferts subventions

15000

42800

20300

27000

65400

105700

70200

72500

67790

61700

56000

 

 

Tableau des transferts et subventions (en % du PIB)

 

 

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Transferts subventions en % du Pib

2%

5%

3%

3%

6%

7%

4%

4%

4%

4%

3%

 

Le troisième volume des dépenses publiques va vers les transferts et subventions. Ces fonds sont pour l’essentiel destinés d’une part, à des organismes, des institutions, des subventions d'exploitation à des entreprises, et aussi, d’autre part, à des interventions d’urgence comme le programme Emel ; un projet d’assistance aux populations en période de crises dues aux aléas climatiques ou à la hausse des prix des produits alimentaires de base.

 

Les ressources affectées aux transferts et subventions ont considérablement augmenté depuis 2009 atteignant des sommets en 2011 et 2012 de, respectivement, 6 et 7% du PIB. Outre les prises en charge de la marge corrective des hydrocarbures qui ne se justifiait plus du fait de la baisse des cours du pétrole non répercutée sur les prix à la pompe, cette évolution est consécutive à une politique de ré-étatisation de l’économie d’une part, et aux plans d’urgence mis en œuvre d’autre part.

 

Faisant le bilan du dirigisme suivi, à l’époque, par de nombreux pays dont le nôtre depuis son indépendance, la Mauritanie s’était engagée en 1994-95 dans la voie de la libéralisation de son économie en accord avec le FMI et la Banque Mondiale. Plusieurs réformes touchant à la politique des prix, à la fiscalité, et au secteur financier, pour améliorer le cadre de l’activité́ économique avaient été mises en œuvre. Très critiquées à l’époque, surtout sur le volet des procédures de cessions des actifs de l’État à des particuliers, ces réformes ont toutefois permis de libérer les initiatives privées et de contribuer à l’émergence d’une nouvelle classe d’hommes d’affaires et d’un secteur privé dynamique et entreprenant dans le pays. Diverses activités économiques ont connu un essor remarquable en particulier dans les domaines bancaires, ceux du commerce général, ceux du transport et des services et plus récemment des télécommunications.

 

Toutefois, au lendemain du coup d’État de 2008, l’État est revenu en force dans la sphère de l’économie marchande. On assista alors à un interventionnisme dans tous les domaines avec une frénésie de création de nouveaux établissements et organismes publics. Plusieurs dizaines de nouvelles créations ont vu le jour dans tous les secteurs de l’activité économique : transports, agro industries, tuyauterie, pylônes. etc. avec leur cortège de dépenses en capital, de subventions de fonctionnement et de prises en charge des inévitables déficits. Cette politique est économiquement contre-productive dans son essence et coûteuse dans ses conséquences. Elle réduit l’espace laissé à l’épanouissement d’un secteur privé pouvant dynamiser le développement économique et contribuer efficacement aux créations d’emploi. Les mêmes causes produisant les mêmes effets tout ce secteur public commence à tomber en lambeaux. De nombreuses entreprises sont en quasi faillite et d’autres viennent d’être mises en liquidation comme par exemple la Sonimex, l’Ener, l'Agence de promotion de l'accès universel aux services (APAUS), etc.

 

La seconde destination des subventions est le programme EMEL. Selon rapport de la Banque Mondial, cité plus haut, l’efficacité de ce programme est très relative, on y lit que « les boutiques Emel sont mieux distribuées mais continuent à profiter aux riches plus qu’aux pauvres en valeur absolue. De plus en plus l’efficience du programme Emel est limitée car les subventions ne représentent que 40% du budget alors que les coûts opérationnels en représentent la majorité ».

De 2008 à 2018, 648 milliards de MRO ont été affectés au poste transferts et subventions.

(A suivre)