Biram Dah Abeïd écroué : Du déjà vu

16 August, 2018 - 01:16

Biram Dah Abeïd retourne en prison, pour la énième fois. Le leader abolitionniste a été mis sous mandat de dépôt, au soir du lundi 13 Août, vers 18 h45,à la maison d’arrêt de Dar Naïm, sous forte escorte policière. Les forces anti-émeutes ont fait usage de grenades lacrymogènes, pour disperser la foule venue, en masse, manifester sa solidarité à l’égard du président d’IRA et réclamer sa libération immédiate. Biram a pu s’adresser, quelques minutes, à ses militants.

 Après une longue audition, le juge d’instruction avait suivi la demande du procureur de la République du tribunal de Nouakchott-Sud. Deux chefs d’inculpation sont retenus par le ministère public à son encontre, à savoir : « incitation à la violence et menace portée sur la vie des personnes », en vertu des articles 32, 33 de la loi 017-16 portant sur la liberté de la presse, article 24 de la loi sur la cybercriminalité. Le leader abolitionniste avait été arrêté mardi dernier et détenu, depuis, au commissariat de police de Riyadh 1, suite à une plainte du journaliste Deddah ould Abdellahi, pour « diffamation ». Le plaignant a été entendu en premier, avant de quitter le tribunal sous forte escorte policière. Depuis l’aube, les militants abolitionnistes avaient rallié, dans un premier temps, ledit commissariat de police, avant d’affluer au parquet de Nouakchott-Sud.

Biram est tête de liste de la coalition RAG/Sawab à la députation. La CENI avait délivré, jeudi, le récépissé définitif à cette liste. Le leader abolitionniste  a refusé de répondre aux questions des enquêteurs, en se murant dans un silence de cimetière. C’est de son lieu de détention qu’il a envoyé la missive suivante aux militants et militantes d’IRA.

‘’Chers compatriotes, chers frères et sœurs de la coalition de Sawab et parti RAG/IRA, la couardise de Mohamed ould Abdel Aziz et de son pouvoir ne lui permettent pas de me laisser me présenter librement, aux futures élections municipales, législatives et régionales. Aussi a-t-il procédé à mon arrestation, après avoir échafaudé d’un plan fondé sur la malveillance, le mensonge et la mauvaise foi, supervisé par la police politique, depuis la salle où a été organisé le partenariat entre les ailes politiques de Sawab et d’IRA.

Sûr de ne pouvoir être présent avec vous, lors de cette importante bataille électorale, dans l’histoire de nos combats et des êtres libres de Mauritanie, je n’ai aucun doute que vous allez gérer, comme d’habitude, ce nouveau choc et que vous allez administrer, à ce régime qui torture, divise et appauvrit le peuple, une défaite électorale sans précédent. À cette fin, je vous exhorte à vous concentrer sur la bataille électorale et ses exigences, sans vous détourner vers quoi que ce soit d’autre, comme  manifester en vue de ma libération : ce n’est pas une priorité, pour le moment.

L’intégration de Sawab et du RAG issu d’IRA, dans une coalition soutenant Biram Dah Abeid à la présidentielle, marque un rapprochement et une concrétisation d’unité, entre plusieurs communautés et ethnies nationales. C’est un danger pour la stratégie de Mohamed ould Abdel Aziz et de son pouvoir, fondée sur la division et l’exacerbation des tensions communautaires. Le chef du régime Mohamed ould Abdel Aziz redoute l’élection de Biram ould Dah Abeid au Parlement qui lui accorderait l’immunité parlementaire. Mais je lui rappelle que mon immunité est d’Allah le Tout Puissant et Miséricordieux ».

 

Rappel des faits

C’est l’ancien candidat à la présidentielle de 2014 en personne qui a donné, sur Whatsapp, l’info de son arrestation mardi, à son domicile, avant que ses proches collaborateurs ne partagent cette alerte sur les réseaux sociaux. Des policiers s’étaient présentés, chez lui, lui notifiant  avoir reçu « l’ordre d’en haut » de l’arrêter et qu’en conséquence, «  je devais les suivre au commissariat », a indiqué Biram. Le leader abolitionniste n’y va par quatre chemins, pour expliquer les raisons de son arrestation : «la cause immédiate […] pourrait être liée aux activités populaires que j’ai entamées, il y a quelques nuits». Autre raison  avancée par la tête de liste RAG/SAWAB : « c’est lié, je le sais, au fait que la CENI doit nous remettre, aujourd’hui, un reçu définitif pour la liste nationale des députés, candidate aux élections ». Serein, Biram terminait son message par la phrase suivante : « Je ferme et rends mon téléphone,  pour suivre la police qui attendait que je m’habille ».

On apprenait, plus tard dans la journée, que c’est suite à une plainte du journaliste Deddah ould Abdellahi, pour « injures », que le leader abolitionniste avait été appréhendé. Soupçonnant l’ex-correspondant d’Al Jazira à Sao Paulo d’être un « espion au service d’Ould Meguett », le directeur général de la Sûreté nationale, Biram avait décoché quelques flèches empoisonnées à son égard. Jugées violentes, ces charges aient  fait le tour de la Toile. Deddah avait interviewé  Biram, en Juin dernier, juste après la signature de l’alliance électorale RAG/Sawab. Le journaliste s’était appliqué à « manipuler l’interview, non seulement en dénaturant les propos de Biram mais, aussi, en en extrayant quelques éléments, hors contexte, pour appuyer telle ou telle de ses propres informations », indique un proche du leader abolitionniste.

De fait, l’intégrale de l’interview n’a jamais été diffusée, corroborant ainsi les dires des abolitionnistes. Recevant une délégation de l’Association des journalistes mauritaniens, Biram avait renouvelé ses accusations. À la demande d’excuses formulée par les syndicalistes, Biram avait opposé un niet catégorique. La commission de communication de l’organisation réfute cependant toute allégation de différend avec un journaliste. « Il n’existe aucun problème, avec un quelconque journaliste. Le président Biram Dah Abeid est arrêté suite aux instructions des plus hautes autorités de l’État et les raisons sont d’ordres politique ».

En réponse à Deddah qui insinue l’idée d’une tentative de corruption, pour obtenir le retrait de sa plainte, les abolitionnistes démentent tout aussi catégoriquement : « IRA-Mauritanie est connue pour sa pauvreté et ne peut, en aucun cas, corrompre, ni acheter les consciences des individus et se réserve le droit de poursuivre en justice les auteurs de ces calomnies. […] Les autorités auront beau susciter des plaintes contre nous, manœuvrer pour ralentir notre marche, la coalition aile politique

IRA-Sawab continuera sur sa lancée et rien ne peut l’empêcher de briguer le suffrage des électeurs ».

 

Tentative d’intimidation

En fin de journée de mardi, Oumar ould Yali et Abdessalam ould Horma, respectivement tête de liste au Conseil régional et tête de liste à Nouakchott ont  qualifié l’arrestation de Biram Dah Abeïd , tête de liste nationale à la députation, de « politique » et se disent « surpris du timing » et des conditions obscures entourant cette interpellation.

« Les policiers se sont présentés à 5 heures du matin pour embarquer Biram Dah Abeïd mais il leur a fait attendre le lever du jour, on ne sait jamais ce qui se passe la nuit, en ce pays », relate Oumar Ould Yali, s’appuyant sur les rapports de témoins oculaires,  lors d’un point de presse tenu, mardi 7 Août, au siège de Sawab. Pour l’ancien ministre de l’Hydraulique et de l’énergie, « l’arrestation de Biram intervient dans un moment très particulier […] et ne peut être qu’une tentative d’entraver le processus démocratique, en général, et, plus particulièrement, la jonction entre Sawab et RAG qui fait tant trembler les autorités. Opposé à toute démocratie et tout développement du pays, le pouvoir n’est pas encore prêt à ôter sa main du processus démocratique. » Pour le président Abdessalam Horma, « l’arrestation de Biram est condamnable » et se veut « tentative d’intimidation de cette coalition, avant l’élection du 1er Septembre prochain ». Le président de Sawab ajoute : « Mais ces pratiques de l’ère d’exception et des polices politiques n’ont plus d’effet sur les Mauritaniens qui ont franchi la barrière de la peur ».

 « La situation est grave », résume Ould Yali. « Mais l’alliance électorale Sawab/RAG usera de toutes

les voies possibles et légales, pour qu’il y ait des élections transparentes, avec un résultat transparent ». Et de lancer, avec Abdessalam Horma, un appel à toutes les formations politiques, à la

Société civile et aux forces éprises de paix,  pour la libération, sans condition et rapide, de Biram Dah Abeïd.

 

Compte rendu THIAM

Encadré

Ould Messaoud écroué à la prison de Dar Naïm

Abdallahi Houssein Ould Messaoud, membre de  la section de Toujounine de IRA Mauritanie, a été lui aussi mis sous mandat de dépôt, par le juge d’instruction du tribunal de Nouakchott Sud. Il est accusé d’avoir participé à la campagne de dénigrement de l’ex journaliste de la TVM, Deddah Ould Abdellahi, auteur de la plainte. C’est ainsi que Abdallahi a été inculpé pour « incitation à la violence et menace portée sur la vie d’autrui ».

Le leader abolitionniste et le militant de IRA étaient défendus par un pool d’avocats dirigé par Me Cheikh Ould Hindi, en compagnie de Me Bah Ould M’Bareck et Me Teyib.