Khalilou O/ Dedde, 3evice-président de l’UFP, et tête pour la députation à Nouakchott: ‘’Le bilan du pouvoir en place au lieu d’être un atout pour gagner les suffrages des populations, est au contraire une tare qui le stigmatise de façon disqualifiante’’

16 August, 2018 - 01:15

Tête de liste  régionale de Nouakchott, Khalilou Ould Dedde, 3e vice-président de l’Union des Forces du Progrès (UFP),  est l’un des brillants cadres de ce parti de gauche.

Parcours classique, ce professeur de géographie à l’université de Nouakchott, après avoir gravi tous les échelons de l’enseignement secondaire,  est un pur produit de l’école des Kadihines dont il a appartenu à la direction clandestine.

 Natif de Kiffa, Ould Dedde  est connu  pour son activisme au sein de son parti. Contrairement à ses figures de proue, l’homme demeure très discret, jusqu’aux dernières investitures de son parti qui l’a propulsé à la tête de sa liste régionale de Nouakchott. 

Désormais, les joutes politiques  vont remplacer ses ouvrages de recherches et de réflexion, notamment durant la campagne électorale,  et qui sait, après son élection à l’Assemblée nationale.

Ce brillant cadre de l’UFP a eu à représenter son parti, à plusieurs rencontres internationales dont celle consacrée à la théorie et à la pratique du socialisme dans le monde arabe actuel et les idéologies et politiques des partis de gauche des pays arabes, organisée du 22 février au 3 mars 2016. Comme il a participé également  à rencontre des partis de gauche dans le monde arabe, organisée en Chine,  en février  2017.

Titulaire d’un doctorat  de Géographie humaine à l’Université du Havre, après une thèse sous le thème ‘Infrastructures de transport terrestre et mutations des systèmes territoriaux : le cas de la Route de l’Espoir en Mauritanie’’, Ould Dedde  est consultant dans la gestion des territoires et du cadre de vie. Il a, à son actif, la publication de plusieurs études dans ce domaine. Une bonne tête donc pour apporter des solutions idoines à Nouakchott qui en a tant besoin. 

 

Le Calame : Vous venez d’être porté à la tête de la liste régionale de Nouakchott. Un honneur mais aussi un gros challenge dans une capitale convoitée par de nombreux prétendants. Comment vous préparez-vous  à cette bataille surtout face à un UPR  requinqué par  des adhésions massives qu’il  entend bien  "convertir" en véritables  électeurs?

Khalilou Dedde : Vous avez absolument raison. Etre à la tête d’une liste régionale à Nouakchott, ville symbole de la macrocéphalie urbaine mauritanienne, métropole nationale voire internationale, est  incontestablement  un honneur pour moi, et j’en remercie mon parti. C’est un acte digne d’exaltation !  En revanche, cette investiture de haut niveau présente un versant glissant, faisant d’elle un défi pas facile à relever du fait surtout des conditions surdéterminantes dans lesquelles les scrutins de septembre prochain vont se dérouler. Contrairement à 2006, ces élections sont  organisées de façon unilatérale, donc non équitable, ne garantissant nullement le respect de l’expression libre et sereine des choix des citoyens.  Il s’agit là d’un recul de la pratique démocratique dans le pays.  En dépit de tous ces écueils, je compte sur la mobilisation de mon parti et de celle de toute l’opposition démocratique pour vaincre l’UPR, ce  géant aux pieds d’argile dont les adhésions rappellent celles du défunt PRDS, elles sont de pure forme, puisqu’elles sont sans conviction, et finiront par s’effondrer  tel  un  château de sable,  pourvu qu’on sache comment s’y prendre.

 

-Au cours de la campagne en vue, l’UPR vendra aux  populations des
nombreuses  « réalisations » du président de la République. Quelle chance l’UFP a  face à ce bilan que l’UPR qualifie de « très positif ? »

-Oui, on peut dire que le bilan du pouvoir de l’UPR est très positif pour une infime minorité de citoyens qui s’est enrichie de façon exponentielle et ostentatoire. L’impact positif des réalisations dont se gausse l’UPR (infrastructures routières, sécurité, énergie…) n’est pas visible sur le vécu de l’écrasante majorité de nos populations surtout celles issues des masses populaires (paysans, travailleurs, jeunes etc.) dans toutes nos nationalités qui croupissent inexorablement sous le poids de la misère. A quoi servent des réalisations économiques ou infrastructurelles si elles ne se traduisent pas sur le terrain par une amélioration réelle des conditions de vie des populations ? Je suis désolé, je pense que le bilan du pouvoir de l’UPR est catastrophique pour le pays. Il suffit pour étayer cette affirmation d’observer et d’analyser froidement l’état calamiteux des services sociaux (santé, éducation, transport, eau, alimentation etc.), de constater la dégringolade de notre monnaie nationale et toutes les implications néfastes de cette chute vertigineuse en plus de la démission face au sinistre qui s’abat sur le monde rural. Le bilan du pouvoir en place au lieu d’être un atout  pour gagner les suffrages des populations, est au contraire une tare qui le stigmatise de façon disqualifiante.

-Nous sommes à quelques jours du démarrage de la campagne électorale et selon l’opposition par la voix du président du FNDU, Mohamed Maouloud, il est techniquement et matériellement impossible d’organiser des élections  crédibles  et régulières, le 1er septembre.
N’êtes-vous là en train de préparer le peuple à votre défaite ?

-Le président Mohamed Ould Maouloud, tête de liste nationale de notre parti, est très lucide quand il évoque l’impossibilité technique et matérielle d’organiser des élections  crédibles et régulières le 1er septembre prochain, car la gestion qu’en fait le pouvoir est caractérisée par l’improvisation, le tâtonnement et le pilotage à vue. Mais la demande de changement est très forte au niveau du peuple qui manifeste clairement son raz-le-bol du statu quo. Les dernières grèves des médecins notamment en sont la manifestation éloquente. Dans un tel contexte marqué par une crise socio-économique indéniable et un désenchantement politique, l’échec du pouvoir est inéluctable. S’il ne sera pas électoral et politique à la fois, il le sera au moins politiquement.

-Votre parti, l’UFP a enregistré quelques secousses. Des divergences entre un groupe  de jeunes mais aussi  quelques caciques du parti avec son président. Il y a  eu  ensuite des
mécontentements  et des protestations lors des investitures. Ces couacs ne risquent-ils pas d’impacter sur la campagne du parti et partant sur ses résultats ?

 

-L’UFP est un  parti, fort de son expérience politique et de l’engagement  de ses militants pour la cause du pays ; ses décisions sont  souvent l’aboutissement de débats contradictoires, parfois vifs, c’est ce qui fait sa force, mais au final son unité est toujours préservée à travers le consensus ou le vote démocratique pour clore les débats. En parlant de couacs, vous faites allusion à des débats francs et sérieux qui ont occupé notre parti récemment à propos des préoccupations de certains de nos jeunes et à propos des investitures sur les différentes listes candidates aux prochains scrutins. Une telle situation est normale dans un parti qui s’ouvre, s’élargit, se met en perspective et écoute ses militants. C’est un signe plutôt de bonne santé. Rassurez-vous ces débats internes sont clos dans l’unité et le parti se met en ordre de bataille pour affronter les futures élections. Le déroulement de la campagne et les résultats attendus prouveront la cohésion de nos militants autour de leurs projets politiques.

-Il y a quelques semaines, le ministre porte-parole du gouvernement a déclaré que le pouvoir actuel ne va pas changer en 2019. Quelle lecture vous faites de cette sortie ? Pensez-vous que l’actuel président quitterait le pouvoir en 2019 quitte à faire comme le président  Kabila, contraint et forcé  à ne pas tenter  un 3e mandat et  donc à désigner  un dauphin ?

-La sortie du ministre porte-parole du gouvernement relève de la tactique politicienne, mais elle ne change rien au fait que le président actuel n’a droit qu’à deux mandats, c’est une disposition constitutionnelle qui l’impose, c’est imparable. Le président Ould Abdel Aziz lui-même l’a proclamé haut et fort, l’opinion nationale et internationale peut témoigner. Un nouveau coup d’Etat anticonstitutionnel qui mettrait le pays sur la voie de l’inconnu n’est plus possible. Peu importe le scenario prévisible, à la congolaise ou à l’angolaise, l’actuel président doit partir en 2019. Va –t-il choisir un dauphin pour lui succéder et préserver son régime ? C’est son droit, mais l’alternance pacifique est la seule parade possible pour redonner de l’espoir aux mauritaniens, les rassembler et les mettre sur le chemin de la stabilité et de la reconquête de la démocratie, à l’instar de plusieurs pays en Afrique de l’ouest.

-En 2019, les mauritaniens seront appelés à élire leur nouveau président. L’actuel  achève son 2e et dernier mandat. Pensez-vous l’opposition a des chances de gagner  ou de réussir l’alternance ? A quelles conditions ?

-Oui, 2019 est une date fatidique, un rendez-vous avec l’histoire car la direction du pays doit changer de main. Le statu quo sera chaotique. L’opposition démocratique est l’unique recours ; elle est en mesure de gagner et de réussir l’alternance à condition qu’elle élabore une vision alternative commune, qu’elle s’unisse dans la durée, qu’elle s’occupe sur le terrain et quotidiennement des préoccupations des populations, et qu’elle lutte avec détermination contre la fraude.

-Quelle évaluation vous faites de la situation économique et sociale du pays ?

-Comme je l’ai dit plus haut, la situation économique et sociale du pays est désastreuse. Il faut l’évaluer à l’aune des indicateurs sociaux. Le chômage bat son plein, la santé et l’éducation sont dans un état de délabrement très poussé, la pauvreté gagne même les classes moyennes, la vie est chère, l’exode rural s’intensifie, la délinquance et l’insécurité se propagent…

Au niveau économique, nous assistons à la régression des secteurs productifs comme l’agriculture, l’élevage et la pêche qui emploient  les populations les plus pauvres. Le secteur minier extractif qui porte la croissance profite surtout à des intérêts extérieurs ou à un groupe restreint proche du pouvoir. Cette croissance est donc mal partagée. La gestion des richesses économiques n’est pas en accord avec les besoins sociaux.

 -Que pensez-vous de l’arrestation du président de IRA, Biram Dah Abeid, du rejet par la CENI du dossier de candidature de l’ex sénateur Mohamed Ghadda sur les listes de l’UNAD ?

-Moi, je fais partie d’une mouvance politique qui a posé la question de l’esclavage et de l’exploitation de l’homme par l’homme depuis les années 70, en considérant que cette question est au cœur des enjeux de l’évolution et de la transformation de la société mauritanienne. Plus tard, Biram Dah Abeïd, dans le cadre de l’IRA, a pris à bras le corps cette question avec courage et détermination, ce que je lui reconnais même si je ne partage pas toujours les méthodes et le style qu’il adopte pour son règlement. Je pense que son arrestation se passe dans des conditions obscures, dans un contexte politique controversé, elle ressemble plus à un règlement de compte qu’à autre chose. Comment se fait-il qu’on arrête Biram facilement alors que dans ce pays des gens ont commis des crimes et restent impunis ? N’y-a-t’il pas là un système de deux poids et deux mesures ? Je dénonce cette arrestation.

Le rejet par la CENI du dossier de candidature de l’ex-sénateur Mohamed Ghadda sur  la liste de l’UNAD est la suite logique d’un règlement de compte qui a commencé par l’arrestation de cet opposant. C’est une spoliation des droits civiques et politiques de ce citoyen.

Propos recueillis par Dalay Lam