Ladji Traoré, secrétaire général du parti Alliance Populaire Progressiste (APP): ‘’Plusieurs conditions essentielles à la régularité des prochains scrutins ne sont pas remplies’’

12 July, 2018 - 02:15

Le Calame : Les Mauritaniens sont appelés aux urnes, le 1er Septembre prochain, sans consensus, hélas, entre la  majorité dite présidentielle et l’opposition dite « radicale » qui a, pourtant, accepté  de participer aux joutes. Comment l’APP appréhende-t-elle ces échéances ?  Que pense-t-elle de la position du FNDU et du RFD ?

Ladji Traoré : Je vous remercie et je remercie la  direction du Calame, journal fondé  par feu mon cher ami  Habib ould Mahfoudh, Paix  à son âme. Un ami et frère que j’ai  beaucoup aimé, continue à admirer  et dont je recommande  la lecture des mémoires, publiées par les éditions Karthala. Le contexte de ces élections est  très sensible, j’allais dire volatile, en raison des nombreuses divergences  au sein de la classe politique, y compris au sein des partis et des groupes de partis. Je  suis tenté de parler d’une situation  très volatile, au vu  la gravité de la crise multidimensionnelle que traverse notre pays, la sous-région et, même, la scène internationale.  Crise économique, avec, notamment, l’effondrement des prix des matières premières et des produits halieutiques ; crise alimentaire, touchant  les êtres humains et leur cheptel, conséquences de la  mauvaise pluviométrie  de l’an dernier, ainsi que notre parti en avait d’ailleurs immédiatement signalé les dangers, dans une déclaration  rendue publique au mois d’Octobre 2017 ; enfin, crise politique, en cours depuis  les événements dits du «  Printemps arabe », devenu réelle catastrophe, pour tous les peuples arabes et musulmans du Monde.

La date et l’organisation des  futures élections, programmées pour le mois de Septembre, posent  d’énormes problèmes pour les acteurs politiques, car plusieurs de ses conditions essentielles à leur régularité  ne sont pas remplies. Il est en effet inconcevable d’engager  une campagne électorale en pleine saison d’hivernage,  quand les populations   sont engagées  dans les travaux agricoles, base même de la vie de l’écrasante majorité de nos masses laborieuses, tant rurales qu’urbaines. Comme dit le philosophe romain, « primo vivere, deinde philosophari », autrement dit, vivre d’abord, avant se livrer  à quelque spéculation, politique ou philosophique, que ce soit. Il convient donc de se préoccuper, d’abord, des priorités des électeurs.

Plusieurs questions fondamentales font, en outre, l’unanimité, aujourd’hui, au sein de la classe politique. Il s’agit de l’inadéquation du calendrier électoral, très mal choisi,  et, surtout, de celle du fichier électoral, base pourtant de toute élection  démocratique,  qui ne correspond pas à la réalité du corps électoral, en majorité non enrôlé, compte-tenu du système de recensement  exclusif en vigueur.

Au lieu de lancer une campagne du RAVEL dont la population n’est  même pas suffisamment informée, il conviendrait de revoir, de fond en comble, le calendrier électoral, procéder à un recensement démographique général de la population, pour disposer de données aptes à établir un fichier électoral  actualisé et crédible des Mauritaniens, tant  de l’intérieur que de l’extérieur, avant d’entamer la série des élections municipales, régionales, législatives et présidentielle, dans un intervalle d’une année.

Quant à la participation du RFD, du FNDU  et de tous les acteurs politiques, l’Alliance Populaire Progressiste (APP)  a  toujours sincèrement appelé, de ses vœux, un vote inclusif, condition d’une participation de tout notre peuple  à  la gestion de son destin.

 

- Avec cette participation élargie, la compétition sera  âpre entre les  prétendants. Comment l’APP s’y prépare-t-elle ? Cela fait bien longtemps qu’on n’a pas entendu le président Messaoud. Dirigera-t-il la liste nationale du parti ?

- La campagne prochaine sera certainement une des plus animées, depuis l’avènement du processus démocratique dans notre pays. APP souhaite vivement  l’instauration d’une démocratie véritable, apaisée, fondée sur l’expression de la volonté et les intérêts de notre peuple multinational et pluriculturel : notre parti prendra donc sa part à ces échéances, avec réalisme et ouverture, en espérant  que les institutions et la gouvernance qui  en résulteront décideront  de mesures enfin adéquates, procédant aux réformes  radicales, économiques, culturelles  et sociales attendues par l’écrasante majorité de notre peuple, dont la liquidation de l’esclavage et de ses séquelles, la mise en valeur des nombreuses ressources naturelles nationales, la réforme sérieuse  du système éducatif, avec la réintroduction des langues nationales pulaar, sooninké et wolof, une véritable formation professionnelle  et la mise en œuvre d’une politique sanitaire qui  réponde aux besoins de l’ensemble  des mauritaniens.

À cette occasion encore, l’Alliance Populaire Progressiste diffusera, comme d’habitude, son programme hautement patriotique, avec toute la sérénité  et la fermeté requises. Quant à la place personnelle du président Messaoud ould Boulkheïr, dans les futures échéances électorales, les instances  nationales du parti en  conviendront très prochainement, comme les places réservées  aux jeunes  et  aux femmes.

 

- APP serait-elle disposée à nouer des alliances électorales avec, par exemple,  les partis du FNDU,  le RFD  ou El Wiam ?

- APP est et restera un parti  de dialogue politique et d’ouverture. Dans le contexte actuel, il est en négociation avec  des partis qui ont pris part au dernier  dialogue  national et reste  également  ouvert, comme toujours, à des coalitions  avec des  groupes  et des personnalités  politiques de sensibilités différentes qui acceptent un minimum de consensus, sur les questions politiques essentielles et vitales pour le peuple mauritanien.

 

- Nombre de partis engagés se plaignent  du délai qui leur  paraît très  court. Des rumeurs ont même fait entendre que les partis dialoguistes ont  demandé le report. Qu’en est-il ? Y êtes-vous favorable ?

- Compte tenu  de  l’importance des futures échéances électorales, l’APP a demandé, comme tant d’autres partis, de revoir le calendrier électoral, pour une meilleure organisation de la série d’élections vitales à venir.

 

- Pour gérer ces élections, une CENI a été mise en place. Elle comprend les partis de la majorité présidentielle et ceux de l’opposition dialoguiste. Le FNDU qui avait réclamé, en vain, des places  en son sein et l’institution de l’opposition démocratique, la trouve  « népotique » et  « illégale », doutant de son  « indépendance ». Votre réaction ?

- La CENI actuelle est politique. APP, comme  les autres  partis ayant participé au dialogue de 2016,  œuvrant, en son temps, pour qu’il soit le plus inclusif possible, souhaitait  que le FNDU y participe, en tant que groupe de partis d’opposition censés prendre part aux futures élections. Nous  lui avons demandé, expressément et sans aucun risque d’être démenti, de venir prendre des postes de responsabilité, au sein de l’actuelle CENI, mais en vain.

Les appréciations et les qualifications,  dans le contexte actuel, sont parfois  très extrêmes, de mon  point de vue. Je reste néanmoins optimiste, quant aux résultats que l’actuelle équipe de la CENI réalisera, pour l’enracinement de  la  démocratie  dans notre pays, au profit de tous les acteurs politiques.

- Êtes-vous satisfait du déroulement du RAVEL, lancé le 29 Juin  dernier ? Pensez-vous qu’il disposera de temps suffisant, pour  le recensement intégral  que la CENI se propose de réaliser ?

- La campagne du RAVEL qui vient de démarrer  appelle quelques remarques personnelles. J’estime que la CENI doit obtenir tous les moyens et le temps de mener une vaste et active campagne de sensibilisation médiatique, et, surtout, tout entreprendre pour  faire précéder  cette campagne d’un recensement  général et disposer ainsi, comme je l’ai dit tantôt, de données  actualisées permettant,  à tous les citoyens mauritaniens, de l’intérieur et  de l’étranger, de  prendre part effective à la série d’élections  très importantes  pour l’avenir  même de la démocratie  dans notre pays.

 

Qu’avez-vous retenu du sommet de l’UA qui vient de se dérouler à Nouakchott ?

- Le peuple mauritanien et ses dirigeants ont organisé un digne accueil à leurs hôtes. J’ai personnellement été  sensible aux recommandations relatives  à une question  politique essentielle : la recherche d’une solution pacifique et urgente, au sérieux problème du Sahara occidental. Il faut sortir nos frères d’une grave et douloureuse crise qui n’a que trop duré, une sortie, pacifique et consensuelle, reste toujours possible et notre pays peut y jouer un rôle essentiel. Autre question symbolique, l’inauguration  d’une  grande avenue  dédiée à Nelson  Rohilala Mandela. Cela  m’a paru très opportun, comme  pour  d’autres  compatriotes avec lesquels nous avions fondé, dans les années 80, en République Islamique de Mauritanie, un comité  pour  sa libération.

 

- La Mauritanie profonde vit une sécheresse terrible qui aura entraîné morts d’hommes et de beaucoup d’animaux. Que pensez-vous de l’action du gouvernement à juguler  ces conséquences dramatiques ?

Cette famine très grave, parfois très meurtrière, affecte  beaucoup de régions de notre pays. Elle était prévisible et notre parti avait tiré la sonnette d’alarme en  son temps, à la fin de l’hivernage dernier. Je ne cesse d’intervenir, au nom de la direction de notre parti, en demandant aux responsables  régionaux et locaux d’APP d’interpeller les  autorités, signaler des cas graves de famine, comme ce fut le cas dans le département de Barkéol, en Assaba. Nous regrettons qu’en matière de secours alimentaires d’urgence, notre pays a enregistré un grave recul, avec la liquidation de diverses institutions de secours, comme la SONIMEX, et la marginalisation du CSA, fondées, respectivement,  en 1964  et  1974, pour faire face, entre autres, à des urgences comme celle  que nous vivons actuellement.

Nous avons surtout  insisté pour que  la  distribution  des aliments destinés aux populations et au  bétail  soit effectuée dans l’équité et la transparence, partout dans  le pays, sans aucune manœuvre  clientéliste ou mercantile, a contrario de ce à quoi nous  avons  toujours assisté.

 

- Quelle lecture vous faites de l’affaire dite « Bouamatou et consorts » et de la détention de l’ex- sénateur Ould Ghadda ?

- L’affaire  « Bouamatou, sénateur Ould Ghadda  et autres » est avant tout politique. Je souhaiterai, pour une bonne image de notre pays, que l’aspect politique soit traité comme tel et que la justice  puisse, elle, accomplir son travail en toute indépendance, suivant le  rôle que lui réserve  notre Constitution.

Propos recueillis par Dalay Lam