Dr KANE Hamidou Baba, Président du Mouvement pour la Refondation (MPR), membre du FNDU

1 February, 2018 - 01:27

‘’La création récente d’une commission chargée de redynamiser le Parti-Etat est symptomatique d’une perte de terrain et de l’absence d’adhésion des populations à la formation politique, la plus artificielle du pays ‘’

Le Calame : Le G8 a organisé une grande marche le 16 décembre dernier. On peut dire qu’il a réussi le pari de la mobilisation et donc de sa rentrée politique. Qu’allez-vous faire de cette mobilisation, à quelques mois des prochaines échéances électorales ?

Hamidou Baba Kane : La réussite de la marche organisée par le G8 est incontestable. Avant lui, le FNDU avait organisé des marches qui s’apparentaient à des déferlantes. Force est de reconnaitre que depuis la création du FNDU, l’opposition mobilise, tant et si bien que les tentatives de réplique du parti au pouvoir ont tourné court, des marches et/ou meeting programmés à Nouakchott ont fini par être abandonnés, par peur d’un cuisant échec. A quelques encablures d’échéances électorales prévues en 2018, il est peu probable que cette mobilisation des forces de l’opposition démocratique puisse faiblir. La dynamique ira plutôt en s’amplifiant. Le FNDU étant le socle du G8, nous n’avons pas d’inquiétude à tenir bon.

C’est plutôt dans le camp du pouvoir que le doute s’est installé. La création récente d’une commission chargée de redynamiser le Parti-Etat et que symbolise parfaitement sa composition, est symptomatique d’une perte de terrain et de l’absence d’adhésion des populations à la formation politique, la plus artificielle du pays !

 

-          Même si l’option du dialogue reste maintenue, le G8 semble peu enthousiaste à discuter avec le pouvoir en place qu’il accuse de chercher à l’écarter de la gestion des affaires du pays, et donc de la phase électorale qui doit marquer une alternance politique en 2019. Ne pensez-vous pas que c’est l’opposition qui, en boycottant les dialogues et les élections précédentes s’est mise en marge des institutions représentatives ?

-          On peut bien comprendre que le G8 ne soit pas « enthousiaste à discuter avec le pouvoir », tant les rendez-vous manqués furent nombreux ! On se rappelle également que le discours du Chef de l’Etat à Néma (mai 2015) sonnait à la fois comme un testament politique et une volonté clairement exprimée d’écarter l’opposition de la gestion des affaires du pays. Nous avions entendu le discours d’un Chef de guerre et je crois que les choses n’ont pas beaucoup changé. Les accusations de l’opposition sont basées sur des faits concrets et vérifiés.

Maintenant, dire que l’opposition s’est mise en marge des institutions représentatives, en boycottant les dialogues politiques et les élections précédentes, ce n’est pas inexact, mais c’est un peu court. La responsabilité incombe essentiellement au pouvoir.

 

-          Ne redoutez-vous pas une implosion du Forum ?

-          Les oiseaux de mauvais augure ont prédit l’implosion du Forum dès sa création. Le Forum tient toujours, cinq ans après sa naissance dans un contexte, il est vrai, fait de courses d’obstacles. Le Forum a avant tout le mérite d’exister. Pour la première fois dans l’histoire politique de notre pays nous avons une structure qui regroupe une diversité d’acteurs (partis politiques, syndicats, Société civile et personnalités indépendantes) qui ont appris à se côtoyer, à s’accepter et à partager une certaine idée de la Mauritanie. Le Forum a également un bilan fait d’actes concrets posés à travers le pays. Il dispose d’une stratégie et se concentre à présent sur l’élaboration de son offre politique destinée à l’ensemble du peuple mauritanien. Si implosion il y a, il faut la voir, ailleurs, du côté de ceux qui tentent laborieusement de colmater les brèches d’un Parti-Etat en voie de décomposition avancée!

 

-          Où en est le FNDU avec la préparation de son programme commun d’alternance en 2019 ? Une candidature unique reste-t-elle comme certains d’entre vous le pensent une illusion, voire un danger pour l’opposition ?

-          La commission chargée du programme d’alternance est à pied d’œuvre. Nous venons de renouveler les structures dirigeantes du Forum. Je suis sûr que le nouveau Président du Forum, le camarade Mohamed Ould Maouloud, aux qualités émérites, et à qui nous souhaitons tout le bien dans l’accomplissement de son mandat, en fera un sacerdoce.

Quant à la candidature unique, cette question n’est pas à l’ordre du jour. Le moment venu, l’effort portera, sans doute, sur la rationalisation des candidatures. Je crois, pour ma part, que l’essentiel réside dans le partage d’un programme consensuel et attractif pour le peuple mauritanien. A chaque jour suffit sa peine !

 

-          Que pensez-vous en tant que spécialiste de la communication, donc des médias, des difficultés que les journaux ont éprouvées durant plusieurs semaines à paraître, faute de papier. L’imprimerie manquerait de sous, laisse-t-on entendre aux patrons des journaux privés. Où s’agit-il juste d’une nouvelle forme de censure ?

-          En tout cas, je sais qu’il n’y avait pas de crise du papier sur le marché international. Les raisons sont donc internes. L’imprimerie nationale, comme la Radio et la Télévision ont l’obligation d’accomplir une mission de service public. C’est à ce titre que ces institutions sont largement subventionnées par l’Etat.  Il y a donc eu rupture de services ! Il appartient aux pouvoirs publics, à travers les autorités de tutelle, de diligenter une enquête ou inspection. J’ignore si cela a été fait et encore moins quels sont les conclusions des rapports ? En tout état de cause, le fait est suffisamment grave et inhabituel pour que, au-delà de l’exécutif, le Parlement s’en saisisse, à travers une commission d’enquête ou à tout le moins d’information. Il est vrai que le Parlement n’est pas encore sorti de son traumatisme !

           Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les causes de cette rupture abusive qui impactera négativement sur les engagements, notamment vis-à-vis de leurs lectorats et de leurs annonceurs publicitaires, mais les patrons de presse vont certainement réclamer des dommages et intérêts pour préjudices volontaires infligées par l’imprimerie nationale. Comme il vaut mieux prévenir que guérir, l’Etat serait bien inspiré d’introduire les patrons de presse et représentants des journalistes dans le conseil d’administration de l’Imprimerie Nationale.

 

-          Notre pays vient d’abriter la journée internationale de la Vache de Tabital Pulagou. On vous a vu à la cérémonie d’ouverture. Quel sens donnez-vous à cette manifestation et que pensez-vous de la mobilisation de la communauté Peule et l’absence de couverture de Radio Mauritanie ?

-          Notre pays a, en effet, abrité cette journée dite internationale de la Vache. Il faut en féliciter les organisateurs. Nous appartenons à un espace sahélien où la vache constitue un phénomène de civilisation caractéristique des Peulh et il est heureux qu’un pays prenne en charge tous ses héritages. Au-delà de la « Vache », que nous avons d’ailleurs très peu vue, cette manifestation culturelle a rassemblé diverses composantes de la communauté Peulh et permis de redécouvrir les facettes d’une riche culture et d’une histoire commune à un peuple que l’on retrouve dans au moins 25 pays du Continent ! L’existence d’aires culturelles transnationales, du Maghreb à l’Afrique australe, constitue une chance pour faire avancer l’intégration africaine.

Quant à l’absence de couverture de Radio Mauritanie, elle est sans doute due à une pénurie de bandes, après la crise du papier…

 

-          Le dossier « Bouamatou et consorts » semble se dégonfler depuis quelques temps, alors que le Sénateur Ghadda croupit en prison, depuis Août dernier, sans jugement. Quelle appréciation faites-vous de ce dossier ?

-          Un acharnement incompréhensible et une grande injustice, voilà ce que ce dossier m’inspire ! Je suis, comme la grande majorité des mauritaniens, sidéré par la brutalité du pouvoir qui s’attaque avec beaucoup de légèreté à différents segments de notre société (Hommes d’Affaires, Sénateurs, journalistes, syndicalistes, militants des droits de l’Homme, etc.) ! Malgré les péripéties actuelles, dont la Mauritanie n’a guère besoin, ce dossier finira par se dégonfler, car il est vide !

Malheureusement, il nous détourne de l’essentiel : face aux nombreux défis à relever et à nos fragilités de toutes sortes, nous avons besoin de mesures d’apaisement. Tout le reste ne nous mènera que vers la fuite en avant et l’impasse ! Il appartient au pouvoir de se ressaisir. Le voudra-t-il ?

 

-          A en croire les propos prêtés au ministre de la Défense, le pouvoir, après avoir clos unilatéralement le dossier du passif humanitaire pourrait y revenir pour l’éponger définitivement, ceci après l’arrestation des veuves et orphelins, le 28 novembre, jour de l’anniversaire de l’indépendance à Kaédi. Que pensez-vous de cette éventualité ?

-          Tout ce qui contribue à renforcer l’unité nationale est une bonne chose. Par conséquent, il ne doit pas y avoir de gêne à ré-ouvrir un dossier que l’on a prématurément clôturé. D’autant plus que des 4 devoirs réclamés, à cor et à cri, par les victimes et leurs ayants-droit (mémoire-réparation-vérité-justice), le pouvoir ne s’est engagé que sur le devoir de réparation. Même ce volet a subi une gestion clandestine face à un problème pourtant national.

J’ose simplement espérer que la déclaration du ministre de la Défense n’était pas qu’un simple effet d’annonce destiné à couvrir d’un voile pudique le passage à tabac des veuves et orphelins qui manifestaient le 28 novembre à Kaédi !

 

-          Quelle place occupe le MPR sur l’échiquier politique national, un Parti que d’aucuns avaient annoncé au Palais des Congrès, lors du dialogue de Septembre 2016 et que des détracteurs qualifient de « parti d’obédience négro-africaine », voire même de « nationaliste négro-africain » ?

-          Je ne vais éluder votre question sur aucun des points soulevés. Depuis sa création, le MPR a clairement énoncé que pour lui : «le dialogue n’est pas seulement une nécessité, mais il doit être vécu comme une nouvelle forme de civilisation». Nous avions joint le geste à la parole en insistant, dès la création de notre Parti, à l’ouverture d’un dialogue avec l’opposition, à l’époque représentée par la COD alors que nous étions dans une Majorité présidentielle globalement réfractaire à cette idée. Bien que nous ayons participé au dialogue de septembre 2011, non sans quelques résultats évidents (Elargissement de la proportionnelle, fin des candidatures indépendantes, représentation des femmes, création de la CENI, etc.), nous avions fortement insisté sur la nécessité d’élargir le dialogue aux partis d’Opposition restés en rade afin de le rendre inclusif et consensuel, mais sans succès. Et c’était là, l’une des raisons majeures de notre sortie de la Majorité présidentielle.

Nous ne pouvions pas, non plus, être insensibles à toute chance d’un dialogue que le pouvoir pouvait feindre d’ouvrir en 2015 et qui, finalement, ne s’est tenu qu’en septembre 2016. Nous voulions bien être présents au Palais des Congrès, mais soyons clairs sur au moins deux points : Premièrement, il était exclu pour le MPR de servir de faire-valoir, en trompant l’opinion. Deuxièmement, le MPR est membre fondateur du FNDU. Fallait-il sacrifier l’unité du Forum, aux exigences pourtant réduites et raisonnables pour le succès du dialogue, au profit d’un agenda caché du pouvoir ? Hier comme aujourd’hui, nous restons ouverts au dialogue. Celui-ci est d’ailleurs incontournable, mais mieux vaut le faire maintenant. Le MPR est prêt à y prendre sa part de responsabilité et de propositions. Nous avons besoin d’une démocratie apaisée !

Quant «aux qualificatifs de certains de nos détracteurs, nous traitant d’être un parti d’obédience négro-africaine ou nationaliste», je m’élève en faux contre ces simplifications abusives et malsaines, parce que faites à dessein. Un Parti, c’est d’abord un programme. Or, nous faisons de l’intégration nationale une ardente obligation. Le MPR ne se situe pas dans une dynamique communautaire, mais dans une dynamique de principes ! Il arrive, comme c’est le cas en Mauritanie, que les injustices frappent des groupes sociaux en tant que communauté, les conduisant même à des exclusions structurelles. Ne pas dénoncer ces faits récurrents est une forme de complicité et de démission face à ses responsabilités. Le MPR ne se dérobera jamais !

Je crois également que le fait, qu’un Parti soit dirigé par un négro-africain ne devrait pas le faire assimiler à une formation d’obédience négro-africaine. Dans cette hypothèse, nous n’aurions donc que des partis d’obédience négro-africaine, arabe, Haratine et qu’en sais-je encore ?  Il est vrai cependant, que dans les conditions historiques d’évolution de notre pays, faites de crises de confiances et de mal gouvernance, les facteurs de regroupement empruntent beaucoup aux groupes primaires que sont l’ethnie, la région, la tribu, voire le clan et la caste. Et je puis vous assurer, qu’aucun de la centaine de partis que nous comptons n’échappe à une telle analyse.

Pour notre part, nous avons l’ambition de dépasser ces clivages et nos efforts seront toujours tendus vers ce but. Nous sommes un Parti à double référentiel : l’unité nationale et la démocratie. C’est donc cela notre positionnement sur l’échiquier national.

 

-          Voulez-vous réagir à la proposition des Députés de la Majorité de voir le Président Aziz solliciter un 3ème mandat ?

-          Non ! C’est un non-évènement !

Propos recueillis par Dalay Lam