Que penser du projet de régionalisation du Gouvernement ?/ Par Samba Thiam, président des FPC

1 February, 2018 - 01:04

Le projet gouvernemental de régionalisation est, manifestement, un plagiat grossier du projet d’Autonomie des   FPC,  au moins dans sa forme. Les deux retiennent, en effet : quatre grandes zones à vocation économique spécifique ; un statut particulier, pour Nouakchott et Nouadhibou ; deux organes – législatif et exécutif – dotés de compétences variablement importantes, et la dissolution du Sénat (une mesure proposée, dès 2006, par nos instances). Un quasi copié-collé donc. Du moins à première vue.

Car il existe de notables différences. A commencer dans le redécoupage des zones. Pour les FPC, l’Assaba  à vocation pastorale est rattachée aux deux Hodhs ; la vallée du Fleuve à vocation agricole regroupe le Guidimakha, le Fuuta et le Waalo Barack ; Trarza, Brakna et Tagant réunis en une troisième zone ; tandis qu’au Nord, Adrar et Tiris en forment la quatrième. En optant, lui, pour l’émiettement de la vallée du Fleuve, c’est-à-dire, en ne prenant pas en compte les aires culturelles homogènes existantes, le Gouvernement se prive d’un bénéfice majeur, entre autres attendus : l’apaisement, voire la réduction complète de la tension ethnique récurrente. Rappelons, à cet égard, que le projet des FPC vise, essentiellement, à éliminer une double tension, sans aucune équivoque, lui, ni tergiversation : la tension tribale, suite à la « compétition » entre tribus, dans la course au pouvoir (« chacune » pour soi, cherchant à entrer au gouvernement), et la tension ethnique, traduite dans le ressenti des populations négro-africaines de leur exclusion en tous les domaines.

Une seconde différence existe entre les deux projets, en leur contenu même, qui touche les compétences octroyées et le type de relation entre le centre et la périphérie. Alors que les FPC préconisent de réelles et importantes compétences, une relation plus souple et flexible avec le pouvoir central, le  Gouvernement choisit, lui, de reconduire la chape d’une tutelle forte sur la région, en ne cédant que sur des attributions résiduelles, des compétences superficielles, comme la construction de quelques routes, infrastructures scolaires et sanitaires, le creusement   de pare-feu, etc. D’une vision autonome d’un développement choisi, de l’usage et de la gestion libre de la ressource spécifique du terroir, motus ! Du recrutement et de l’emploi prioritaire de la jeunesse locale,   de la police et de la justice locales, de l’usage des langues et cultures du terroir surtout, rien !

En plus de ces défaillances majeures, impossible ne pas noter, çà et là, diverses aberrations, comme le recours, ici encore, à des secrétaires généraux parachutés, la possibilité accordée, aux présidents de Conseil régional, de déléguer leurs pouvoirs ou le quota automatique de « 20% de femmes »(1) appliqué dans la composition de ces conseils ; toutes pratiques stupides, prouvées par l’expérience, désastreuse ; enfin, dernière absurdité, le statut hybride, sans tête ni queue, de Nouadhibou, pas plus considérée en région pleine et entière qu’en segment de région ! Bref : avec ces tares grossières, nous nous acheminons bien plus, on peut le dire, vers une pâle décentralisation, voire décentration,  que vers une véritable régionalisation, hélas !

 

Quelle lecture globale ?

A parcourir ces projets de loi, on en ressort, globalement, avec  l’impression que c’est hésitant que le Gouvernement cherche à mettre en œuvre une bonne idée, comme freiné par une sorte de frilosité, de vague crainte ou de défiance, à l’endroit de certaines populations. Le double standard imposé à la vallée du Fleuve explique, peut-être, en partie cela. Nos gouvernants admettent, pour l’Est, l’évidence de sa vocation « pastorale » ; pour le Nord, son orientation « minière » ; mais dénient, à la Vallée, sa spécificité, pourtant évidente, de région « agricole » ! Ils reconnaissent et reconduisent les identités historiques  Adrar, Trarza, Brakna, Tagant, en ce qui concerne le « Trabel-bidhaan », mais se refusent à faire de même pour les appellations historiques de Fuuta et Waalo Barack. Faut-il rappeler, ici, qu’un critère déclaré décisif (ici, la vocation économique) doit le rester, c’est-à-dire applicable partout et pour tous, à l’identique ? Ajoutons, à tout ceci, une tendance à ne jamais perdre de vue : il n’y a pas de majorité en matière d’identité, pas plusqu’« il n’y a de majorité, en matière de vérité ».

Au regard de la manière dont ce projet est ficelé, la discrimination, à l’égard des populations de la Vallée, émiettées et diluées, à dessein, dans des ensembles artificiels, est visible, patente… au moment même où se votent, à l’Assemblée nationale, des lois anti-discrimination ! Ce qui,du reste, ne surprend guère plus, au vu de l’idéologie suprémaciste régnante –hier enfouie et qui, maintenant, ne se cache même plus, pour ne pas dire s’affiche, ouvertement déclarée, et dont les FPC demeurent   la victime, dans leur juste lutte pour une reconnaissance légale, officielle, légitime – Discriminations qui continuent de s’étendre à l’Université , dans l’Administration, à l’Ecole, dans les forces armées, l’emploi, les examens et concours, les media, l’enrôlement, partout ! Partout l’injustice !

Cherchons, malgré tout, du positif dans ce projet. Il doit y en avoir et c’est, probablement, dans la réduction draconienne du nombre pléthorique de régions et dans l’amorce même de la réforme qu’on peut le trouver, avec l’espoir, nourri, que les errements, les défaillances et les couacs constatés seront rapidement corrigés, la mouture remise à l’endroit… si les idéologies funestes dont il faut se déprendre nous en laissent le loisir. Les militants des FPC se seraient si bien réjouis de ce projet, n’eussent été ses défauts et déviances majeures !

Dernière impression qui laisse sourire : « ON » s’inspire de nos idées mais « ON » nous accuse, malgré tout, de « sorcellerie et antipatriotisme »…Paradoxe, quand tu nous tiens ! L’entêtement à nier une réalité qui crève les yeux, à les fermer  sur la question, intensément aigüe, de l’unité nationale, nous amène à nous interroger sur la volonté du régime du président ould Abdel Aziz, de la classe politique et de l’élite arabo-berbères – silencieuse pour l’essentiel – à construire, réellement, un Etat juste, égalitaire et démocratique qui accepte sa diversité, cultive l’équité et la solidarité. Cette élite ne semble, en tous cas, apparemment pas encore prête à déconstruire le Système pernicieux qui nous gouverne. Un volcan est sous nos pieds. Si rien n’est fait, il explosera, inévitablement. Quand ? C’est la question. Prenons-y garde !

                                                                                                                Nouakchott, 24 Janvier 2018

 

Note

 (1) : C’est une absurdité que de vouloir appliquer, automatiquement, ce quota de 20% de femmes, avec la moitié de la population qui sait à peine lire ! En plus de ce que nous rapportait Ould Oumer- qui, pour une fois, met le doigt dans la plaie- sur nos secrétaires-Gent féminine.