Risque de dévaluation de l’Ouguya : Ce que Moussa Fall redoutait est-il en trait de se produire ?

5 December, 2017 - 17:39

Dans deux interviews  qu’il a accordées au Calame, il y a quelque temps,  l’économiste Moussa Fall, président du MCD, parti membre du FNDU qualifiait la situation économique du pays de « volatile »,  évoquait  une « dévaluation rampante » de l’Ouguiyas, sa baisse chronique face aux autres monnaies de référence,  Dollar et Euro…

Aujourd’hui, nous voilà aujourd’hui dans une opération de « démonétisation » de l’Ouguiya. En attendant de revenir, la semaine prochaine,  sur cette décision des pouvoirs publics (les raisons et les implications), nous vous proposons  quelques extraits de ces 2 interviews pour vous rafraichir les mémoires.

 

-Chaque fois qu’il parle à la nation, le président laisse entendre que les caisses de l’Etat sont pleines alors que la croissance de presque 6% ne tire pas le chômage vers le bas et les prix ne cessent augmenter, panier de la ménagère, de se creuser. Qu’en pensez-vous ? 

M.Fall : -Au cours des 4 dernières années, la Mauritanie a connu une conjoncture économique exceptionnelle. Cette conjoncture découle, pour l’essentiel, de l’irruption des pays émergents et, en particulier de la Chine et de l’Inde, sur le marché des matières premières. Ainsi, et pour ce qui nous concerne, le prix du fer est passé durant cette période de 80 à 148 $/T ; celui de l’or de 973 à 1600 $/once ; 

celui du cuivre de 5165 à 7800 $/T. Pour la même période, les espèces nobles de poisson on vu leur prix monter de 6200$/T à 12.000$/T. A ces résultats exceptionnels obtenus grâce à une conjoncture internationale particulièrement favorable sont venus s’ajouter des recettes exceptionnelles d’origine inavouée et un effort appréciable fourni par l’administration fiscale.

Pour ces raisons, tous les indicateurs macroéconomiques du pays ont enregistré une progression phénoménale. Le budget de l’Etat est passé de 242 en 2009 à 460 milliards d’ouguiyas en 2013, les réserves en devises se sont accrues, sur la même période, de 238 à 876 millions de dollars US et le PIB a augmenté de 800 à 1300 milliards d’ouguiyas.

Cela dit la gestion de l’Etat ne doit pas être appréciée par ces performances, pour l’essentiel venues d’ailleurs, mais à travers la question fondamentale de l’emploi des ressources générées par cette conjoncture. Et c’est à ce stade qu’il faut poser les questions suivantes :

Le doublement du budget de l’Etat a-t-il divisé par 2 le taux de prévalence de la pauvreté dans le pays ? Les enquêtes sur les conditions de vie des ménages et sur l’évolution de l’indice de pauvreté n’ont pas été réalisées depuis 2008. Mais de l’avis de tous, y compris des populations elles-mêmes, aucune amélioration sensible n’a été enregistrée.

Le FMI, qui délivre pourtant des satisfécits à tour de bras sur la gestion du pouvoir, reconnaît que « les taux de pauvreté et de chômage restent élevés et la mise en œuvre du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) avance de façon inégale. » (rapport du FMI juillet 2013).

Le doublement du budget de l’Etat a-t-il multiplié par 2 les performances du système éducatif dans nos écoles ? Sur le plan quantitatif, le taux net de scolarisation dans le primaire a reculé pour passer de 76% des inscrits en première année en 2008 à 72,7% (source FMI) et, sur la même période, le taux de promotion des élèves commençant la première année et qui terminent l’école primaire est tombé de 81,8% à 65,2% (source FMI).

Quant à la qualité de l’enseignement public, il suffit de constater, pour l’apprécier, comment il est déserté par tous ceux qui peuvent avoir les moyens de financer les études de leurs enfants. Personne n’ignore l’importance primordiale de l’éducation dans une stratégie de développement d’un pays. C’est un secteur qui doit bénéficier de toutes les ressources que requiert sa réhabilitation.

Le doublement du budget de l’Etat a-t-il permis de traiter les problèmes structurels que connaît notre société ? Aucune action d’envergure n’a été mise en œuvre pour engager les reformes sociales vigoureuses qu’exigent la préservation et la consolidation de notre unité en tant que pays multiethnique et notre cohésion sociale en tant que société jusqu’ici stratifiée et inégalitaire. La modernisation de notre société mérite des investissements massifs que la conjoncture actuelle peut permettre de réaliser.

Le doublement du budget de l’Etat a-t-il permis de créer les bases pour la diversification du tissu économique et l’amélioration du climat des affaires dans notre pays ? L’économie nationale reste tributaire du secteur minier en particulier. Ce secteur présente deux inconvénients majeurs : Sa dépendance vis à vis de l’extérieur et l’épuisement des gisements au fur et à mesure de leur exploitation. 

Ouvrons ici une parenthèse pour souligner que les ressources tirées du fer, auraient pu être beaucoup plus importantes. Mais la SNIM est plus sensible aux instructions tendant à augmenter le volume des dividendes distribués et à investir dans des activités totalement étrangères à son domaine plutôt que de consacrer l’essentiel de ses ressources à son propre développement. 

Au moment où, sur la période allant de 2002 à 2011, la Chine a augmenté sa production de 246% ; l’Australie de 161% ; l’Inde de 128% ; l’Iran de 100% ; le Brésil de 82% ; la production de la Mauritanie est restée stagnante à 11 millions de tonnes/an. Imaginez ce que le pays aurait engrangé avec l’explosion des prix du fer dans cet intervalle de temps si la SNIM avait investi à bon escient pour accroître ses capacités de production. 

Revenons à notre sujet pour dire que l’une des priorités d’une bonne gouvernance est d’asseoir l’économie nationale sur des bases diversifiées et saines afin d’assurer une croissance plus pérenne et moins vulnérable aux chocs extérieurs et aux aléas climatiques. L’une des conditions de cette diversification est l’amélioration du climat des affaires. Or depuis 2009, le harcèlement et la persécution de certains hommes d’affaires se sont traduits par une fuite de capitaux et par des délocalisations dans les pays voisins.

Le triplement des réserves en devises de la BCM a-t-il redressé la dépréciation en continu de l’ouguiya sur le marché de change ? « L’ouguiya a continué de se déprécier progressivement. Le taux de change effectif réel s’est déprécié de 3,3 % en 2012 » (Rapport du FMI juillet 2013). Sur le marché non officiel, la dépréciation est beaucoup plus sensible et c’est sur ce marché que s’effectuent l’essentiel des transactions. La détérioration du cours de la monnaie nationale entraine inévitablement la baisse du pouvoir d’achat des populations.

Quelle est la politique suivie par les autorités actuelles et quels sont les choix vers lesquels ont été orientées les ressources obtenues ?

Il y a les grands investissements en matière d’énergie qui coûteront 1,4 Milliards de $ et qui produiront une puissance disponible de 900 MW pour des besoins estimés à 300 Mw seulement à l’horizon 2024 avec une ligne de transport pour Nouadhibou que les experts jugent totalement injustifiée.

Il y a l’aéroport de Nouakchott dont les travaux risquent de ne jamais s’achever, dont le coût est tenu secret et dont la capacité d’accueil est prévue pour 2 millions de passagers/an au moment où le trafic aérien à Nouakchott ne dépasse pas les 120 mille passagers/an

Il y a les villes en zones inhabitées qui ne correspondent à aucun besoin urbanistique mais qui engloutissent des financements colossaux que l’on aurait pu utiliser pour construire, par exemple, un réseau d’assainissement dans les grandes villes traditionnelles du pays.

Il y a un projet sucre qui requiert un financement approchant les 500 millions de $ dont la rentabilité est plus qu’aléatoire. Et c’est une aberration, de nos jours, de voir l’Etat s’investir en première ligne dans ce type d’activités. 

Il y a un réseau routier et de voieries qui est réalisé, le plus souvent, avec improvisation et amateurisme. En témoignent les cratères qui jalonnent les grands axes de Nouakchott et les affaissements et lézardes que l’on constate dès l’achèvement des travaux alors que la norme établie pour l’enrobé est de 15 ans de durée de vie.

Il y a les transferts et subventions qui sont passés de 20 milliards en 2009 à 105 milliards (2 fois le budget de l’éducation nationale) en 2012 reflétant une étatisation galopante de l’économie.

En période de réalisation, tous ces projets ont un impact trompeur sur l’évolution du PIB. Les 6.3 % de croissance sont obtenus grâce principalement au secteur du bâtiment et des travaux publics. Je ne dis pas qu’il n’y a que du négatif dans tout ce qui est réalisé.

Mais il est fort à craindre que, à l’heure des bilans, on ne retiendra, pour le pouvoir actuel, que le coup d’Etat contre la démocratie en 2008 et les éléphants blancs que seront devenus des centrales sous employées et coûteuses, un projet d’aéroport inachevé, des villes fantômes inhabitées, des routes et voieries en perpétuelle réfection, des établissements publics structurellement déficitaires….etc. Tout cela dans une démarche générale marquée par l’improvisation, l’irresponsabilité et l’absence de vision stratégique.

A l’heure des bilans, le pays se rendra compte que de précieuses opportunités ont été perdues et que de nombreuses ressources ont été gaspillées mais, à ce moment là, il sera déjà trop tard.

 

Le président a qualifié de rose la situation économique du pays. N’aurait-il pas raison dans la mesure où le gouvernement a organisé le référendum sans l’apport des partenaires de l’extérieur, donc avec ses propres moyens?

 

La situation économique est loin d’être florissante. Selon les chiffres officiels, le taux de croissance estimé pour 2016 n’est que de 1,7% et il sera probablement revu à la baisse après correction comme à l’accoutumée. En 2015, il n’était que de 0.9% alors qu’il était estimé au départ, à 2%. Notons qu’au Sénégal, il est de 6,6% et au Mali, pays pauvre et en guerre, il est de 5,3%. L’ouguiya se porte au plus mal avec un cours officiel qui est tombé à 426 MRO pour 1 euro.

Les citoyens et les entreprises sont pressurés par une politique fiscale implacable. Rappelons à ce propos que les aménagements fiscaux introduits dans la loi de finances de 2016 ont porté sur, et je cite textuellement « i) l’application en année pleine de la réforme de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et celle de la taxation des produits pétroliers ; ii) le relèvement du droit fiscal à l’importation (DFI) et des taxes de droit d’accises (sur la quantité et non la valeur, NDLR) sur certains produits de grande consommation (riz, tabac et dérives, clinker, fer à béton, ciment, etc.) ; iii) la création d’une taxe de consommation sur les poulets ainsi que sur certains produits laitiers ; iv) la hausse de la taxe de consommation sur certains produits ; v) la mise en place et/ou le relèvement du droit de pèche à l’exportation pour certains produits de la pèche ».

Vous comprendrez donc qu’il peut soutirer suffisamment de recettes fiscales pour financer à fonds perdus des activités dont la pertinence est douteuse. La question est de savoir jusqu'à quand les populations pourront elles continuer à supporter ces efforts? Aucune économie et aucune population ne peuvent accepter durablement une telle politique fiscale.

 Comment voyez-vous les perspectives politiques du pays ?

 Si le régime s’entête dans sa gestion unilatérale caractérisée par la gabegie et la paupérisation, l’exclusion et l’oppression des populations, il faut s’attendre à une montée en puissance de la résistance multiforme des forces diverses mais  de plus en plus unies par une volonté commune de libérer le pays de la dictature et d’instaurer une démocratie véritable seule voie vers l’unité, la paix, la justice et la prospérité.

Propos recueillis par DL