Trois questions à…. Me Yezid Ould Yezid, membre du collectif des avocats du sénateur Mohamed Ould Ghadda : ''Le dossier Ould Ghadda est politique et s'il y a procès, ce sera celui du pouvoir''

19 October, 2017 - 02:42

Le Calame : Le mercredi dernier, votre client Mohamed Ould Ghadda a refusé d'être entendu par le juge parce qu'on l'a extrait de prison alors qu'il était menotté. Trouvez-vous normal qu'on procède ainsi pour un prévenu qui ne présente aucun danger? Ou est-ce une façon de l'humilier et lui faire payer son audace?

 

Me Yezid Ould Yezid : Vous avez en quelque sorte répondu vous-même à la question.

Le sénateur Mohamed Ould Ghadda subit de la part de ses geôliers toutes sortes de traitements vexatoires et humiliants. Il est enfermé dans une petite cellule avec huit codétenus, les repas que sa famille lui amène et qu'il partageait d'habitude avec ses compagnons de cellule sont désormais réduits par les gardiens à la portion congrue (il paraît qu'un ordre a été donné pour qu'il ne reçoive plus qu'un repas individuel).

Pour finir, alors qu'il attend avec impatience sa comparution devant le juge depuis plus de quarante jours, les policiers, venus l'extraire de la prison le mercredi 11 octobre, l'ont menotté de force, l'ont traîné dans la cour de la prison, l'ont molesté et l'ont immobilisé dans le commissariat du palais de justice de 11h à 17h sans boire ni manger.

Ce comportement de la police est foncièrement illégal.

Aucun des prisonniers comparaissant devant le juge d'instruction n'a subi pareil traitement. Personnellement, je n'ai connaissance d'aucun traitement similaire dans les annales du palais. Il est clair qu'il y a une volonté manifeste d'humilier le sénateur Mohamed Ould Ghadda  De lui faire mal, et de l'humilier.

Le plus extraordinaire est que lui-même était impatient de comparaître enfin devant le juge. Alors, pourquoi tant de brutalité gratuite ? Allez demander aux policiers, peut-être vous répondront-ils comme ils le font dans de pareils excès : " cela vient d'en haut, très haut ".

 

 

 Ould Ghadda a été finalement entendu jeudi par le pool de juges. Vers quoi s'achemine-t-on à présent?  Avez-vous une idée de la suite de la procédure c'est à dire quand viendra le tour des autres prévenus?

 

Le sénateur Mohamed Ould Ghadda a été finalement entendu par les juges le jeudi 12 octobre au lendemain des faits décrits plus haut, soit quarante-deux jours après son incarcération sur ordre du juge d'instruction, et soixante-quatre jours après son enlèvement par la police politique et sa disparition forcée.

L'allongement extrême de ces délais dans le cadre d'une procédure qui devrait être menée avec diligence empêche toute estimation raisonnable. Autrement dit, personne ne peut dire vers quoi l'on s'achemine. La procédure peut s'accélérer à tout moment comme elle peut accuser une lenteur extrême. Cela est regrettable, cela est préjudiciable à une bonne administration de la justice. Mais il en est ainsi sous nos cieux, hélas.

N'oublions pas comme la défense a eu à le rappeler maintes fois qu'il s'agit d'un dossier politique et non pas criminel, que le dossier d'accusation est vide et qu'un procès en bonne et due forme peut se retourner contre le pouvoir politique puisqu'il s'agira aussi, qu'il le veuille ou non, de son propre procès.

N'oublions pas non plus que la personne principalement visée à travers cette cabale est Monsieur Mohamed Ould Bouamatou, que le pouvoir veut neutraliser à tout prix, jusque dans son exil à l'étranger.

Ajoutons à cela tous les sénateurs et sénatrices poursuivis, vous les journalistes, les syndicalistes, enfin tous ces dignes fils et filles de ce pays, dont le seul tort est d'avoir osé se lever contre la volonté du Président Mohamed Ould Abdel Aziz.

 

 

Votre client observe depuis quelques jours une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention. Pensez-vous que c'est le meilleur moyen de faire pression sur les autorités ?

 

 

 Vous savez, la décision de ne plus s'alimenter est une décision très personnelle. Elle exige une force de caractère hors du commun et, en même temps, une conviction absolue que la cause qu'on défend est juste.

Pour ce que je connais du sénateur Mohamed Ould Ghadda, c'est que c'est un homme politique qui s'est opposé de toutes ses forces au régime du général Ould Abdel Aziz, je dis bien du " général " puisque cette opposition a commencé avant même que ce dernier ne soit élu président de la République grâce aux dons et à l'appui de Monsieur Mohamed Ould Bouamatou.

Cette opposition politique s'est poursuivie et s'est intensifiée avec le temps, jusqu'à en faire un homme à abattre.

Aujourd'hui, du fond de sa cellule, le sénateur Mohamed Ould Ghadda continue la même opposition. Mais une autre lutte s'est encore ajoutée, à savoir le combat judiciaire pour la vérité.

Il s'agit là d'un combat titanesque. David contre Goliath. Mais avec quelles armes ?

Pour sa santé, je ne l'encouragerais vraisemblablement pas à poursuivre sa grève de la faim, mais je la comprends parfaitement. 

 

Propos recueillis par AOC