Sénégal-Mauritanie : Enième avis de tempête

12 October, 2017 - 02:37

Entre la Mauritanie et le Sénégal, re- et rebelote, rien ne va plus. Comme dirait l’autre, c’est un énième coup de froid, entre les deux pays que tout lie, pourtant. Depuis l’arrivée au pouvoir de Mohamed ould Abdel Aziz, les tensions sont  quasiment permanentes, pour ne pas dire croissantes. Mais jusqu’où peut  conduire l’escalade ?

 

Du berger à la bergère

Tout est parti d’un communiqué  des organisations sénégalaises de défense des droits humains, Amnesty International, la RADDHO et la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme, publié par l’Agence de Presse Sénégalaise (APS). Ces organisations devraient tenir une conférence de presse sur la situation politique  en Mauritanie depuis le referendum du 5 Août dernier. Une consultation sur les amendements constitutionnels préconisés, on se le rappelle, par le « dialogue national inclusif » boycotté par l’opposition démocratique (G8) qui rassemble nombre de partis politiques, syndicats et personnalités indépendantes.

Au lendemain du scrutin contesté, le sénateur Ould Ghadda, farouche opposant du régime, est  arrêté et jeté en prison,  en Août dernier.  Douze de ses pairs, des journalistes et des syndicalistes  sont interpelés, auditionnés, avant d’être, eux, placés sous contrôle judiciaire. Des mandats d’arrêt internationaux  lancés, contre le richissime homme  d’affaires, Mohamed ould Bouamatou, suspecté d’avoir  acheté les sénateurs  opposés aux amendements constitutionnels et contre son adjoint Mohamed Ould Debagh.

Dans leur communiqué, les organisations  déclarent notamment ceci : « Traversée, depuis plusieurs années, par une grave crise politique et sociale, la Mauritanie, en proie à des maux tels qu’esclavage, racisme, pauvreté ou illettrisme, est gangrénée par une corruption systématique, empêchant tout développement social ». Face au  tôlé suscité par ces propos, les organisations sénégalaises et mauritaniennes décident, à la demande des autorités sénégalaises, de surseoir à leur conférence de presse. Seydi Gassama, directeur d’Amnesty International au Sénégal, explique : « Je dois avouer que l’Etat du Sénégal nous a exprimé ses préoccupations. Surtout que les bruits, entre les deux pays, ont des répercussions sur les populations. Il y a eu des actes de représailles, soit contre des pêcheurs, soit contre des Sénégalais qui seraient en situation plus ou moins irrégulière en Mauritanie. »

Et Biram Dah Abeid, président d’IRA Mauritanie, d’ajouter : « Tout cela souligne la faiblesse de notre adversaire, le président-général Mohamed Abdel Aziz. Je regrette fort que le chef de l’Etat mauritanien use des populations paisibles comme moyen de pression. Ce n’est pas digne d’une diplomatie qui se respecte. » L’activiste  des droits de l’homme justifie son appel à annuler la conférence de presse par son souci de ne pas donner l’occasion, au président mauritanien, de  troubler les relations fraternelles entre les pays,  jouer  sur les fibres  des relations mauritano- sénégalaises, instrumentaliser sa présence  personnelle à cette rencontre. Ould Dah indique, alors, qu’il n’organisera plus d’activités dans la capitale sénégalaise, pour ne pas en déranger les autorités.

Le moins qu’on puisse dire, en effet, est que le bilan dressé, par le communiqué des ONG de défense des droits de l’homme du Sénégal  et IRA Mauritanie, a suscité  l’ire de Nouakchott. Et, réponse du berger à la bergère, l’Agence Mauritanienne d’Information (AMI), voix officielle du pouvoir, se fend d’un commentaire, très critique, sur son homologue sénégalaise (APS),  accusée d’avoir publié un  « communiqué haineux, mensonger, diffamatoire et hostile à la Mauritanie ». Après avoir rappelé les progrès du pays, en matière de libertés, de  démocratie, lutte contre la gabegie et l’esclavage, ainsi que dans la propagation de l’islam, dans l’Ouest africain, l’AMI se demande si cette publication est une « erreur ou une dérive délibérée »,  de la part  de sa  consœur sénégalaise. Et d’inviter, dans la foulée, les ONG  à  « s’intéresser prioritairement, pour une crédibilité minimale, aux cas de corruption soulevés par la presse sénégalaise locale ».

Il aura donc suffi de bien peu pour que les pyromanes, surtout côté  mauritanien,  montent,  comme toujours,  sur leurs  grand chevaux,  se livrant à une critique acerbe des autorités, au risque de mettre en péril les relations entre les deux pays-frères. A tout le moins, le communiqué de l’AMI  témoigne de la glaciation de celles-ci.

 

Des relations en dents de scie

Retour sur des relations, mouvementées, entre la Mauritanie et son voisin sénégalais. Depuis  quelques années, elles n’ont cessé de se heurter. Le premier accroc, entre les deux pays, remonte à 2016, avec le renvoi, par le Sénégal de tout le cheptel mauritanien parti pâturer au pays de Senghor. Un geste mal apprécié par les autorités mauritaniennes  dont le pays approvisionne le marché sénégalais en moutons, chaque année, pour la fête de Tabaski, ce qui permet  de le réguler (1                ). En réponse à la mesure touchant son cheptel, la Mauritanie renvoie des  Sénégalais, particulièrement les pêcheurs qui assurent, pourtant, l’essentiel du  marché mauritanien en poisson. Pis, les garde- côtes mauritaniens tirent sur les pêcheurs de Saint-Louis qui se sont aventurés dans les eaux mauritaniennes. Il  y eut plusieurs blessés. Autre accroc, la gestion du départ de Yaya Jammeh, président gambien battu électoralement par son opposant, Adama Barrow. Le président  mauritanien prit fort mal l’attitude de son homologue sénégalais qui  s’était investi en faveur de l’intervention des troupes de la CEDEAO, pour déloger le président gambien décidé à passer outre la volonté de son peuple. Les Mauritaniens  estimaient que le Président sénégalais minimisait le rôle joué, par Ould Abdel Aziz,  dans la sortie de crise. Il faut ici rappeler que la Mauritanie  entretenait de fortes relations avec le président gambien. Ould Abdel Aziz  s’est plaint de ce que Macky Sall ne l’ait pas informé de l’entrée des troupes de la CEDEAO en Gambie, alors qu’il lui avait signifié l’acceptation de Jammeh de quitter le pouvoir. On se rappelle qu’une campagne  médiatique s’était alors engagée, en Mauritanie, contre le Sénégal.

C’est dans  cette atmosphère  qu’est intervenue la  découverte  d’importantes quantités de pétrole et de gaz, à la frontière des deux pays. Les deux pays butaient sur les modalités d’exploitation, la Mauritanie s’opposant  au creusement de puits en territoire sénégalais, ce qui permettrait, pourtant, d’économiser temps et argent. Les deux pays ont aussi failli en venir aux mains, suite à des  déclarations malencontreuses d’un journaliste de la chaîne sénégalaise  2STV. Sur cette chaine privée, Mamadou Sy Tounkara disait : « Contrairement à ce que dit votre communiqué, les problèmes de racisme et de ségrégation en Mauritanie concernent directement le Sénégal car des milliers de nos compatriotes y vivent et en font les frais, tous les jours, et c’est bien au Sénégal que 70.000 Mauritaniens furent déportés, en 1989. Leur crime ? Avoir la peau noire… La Mauritanie doit veiller, de toute urgence, à ce que la nouvelle loi réprimant l’esclavage soit appliquée, effectivement et pleinement ».

 Le Sénégal et la Mauritanie  divergent, encore,  dans  leurs  rapports avec le Maroc. Le retour de celui-ci au sein de l’UA  et la suspension de la RASD, défendus  par le Sénégal  et 27 chefs d’Etat  et de gouvernement, a suscité le courroux de Nouakchott qui  penche, lui, du côté de l’Algérie. Des rumeurs récentes ont laissé croire que la Mauritanie allait procéder à la fermeture de l’unique et important passe entre les deux pays, au profit d’un autre à la frontière algérienne. Comme avec le Sénégal, les relations entre le Mauritanie et le Maroc n’ont jamais été stables. Et l’implication présumée de Mohamed ould Bouamatou, dans le dossier de même nom, n’a pas arrangé les choses. Le richissime homme d’affaires mauritanien, contre lequel un mandat d’arrêt international vient d’être lancé, début Septembre,  s’est réfugié au royaume chérifien, après s’être fâché avec son cousin, Ould Abdel Aziz, dont il avait soutenu le coup d’Etat, en Août 2008, et financé la campagne présidentielle,  l’année suivante.

Entre  le Sénégal et la Mauritanie,  qui appartiennent, tous  les deux, à  l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal  (OMVS), subsistent des  suspicions  permanentes depuis 1989. A l’époque un incident  banal avait  dégradé les relations entre les deux pays. Profitant de cette brouille, la Mauritanie avait alors expulsé  des milliers de négro-mauritaniens au Sénégal, tandis que la communauté maure était renvoyée chez elle. Aujourd’hui même et en dépit  de  l’accord  entre  les deux pays  et le HCR, des mauritaniens  continuent à vivre au Sénégal. Ould Abdel Aziz a beau déclarer,  au journal français « L’Opinion » : « Nos relations sont ancestrales, nous avons la responsabilité de les améliorer, c’est un devoir partagé avec le président Macky Sall, au regard aux générations futures » ; entre le Sénégal et la Mauritanie, c’est, hélas, toujours la politique du « Je t’aime, moi non plus ».

Dalay Lam

 

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La dépêche de l’APS

« Dakar, 4 Octobre 2017 (APS) - Les organisations sénégalaises de défense des droits humains, Amnesty International, la RADDHO et la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme organisent, jeudi à 10h 30, un point de presse sur la situation des droits humains et des libertés démocratiques en Mauritanie. La rencontre avec la presse se tiendra au siège d’Amnesty International/section Sénégal situé à Sacré-Cœur, indique un communiqué transmis à l’APS. Les panelistes vont se pencher sur la situation politique en Mauritanie depuis le référendum du 5 Août dernier. Traversée, depuis plusieurs années, par une grave crise politique et sociale, la Mauritanie, en proie à des maux tels qu’esclavage, racisme, pauvreté ou illettrisme, est gangrénée par une corruption systématique empêchant tout développement social ».

APS

 

 La réaction  de l’AMI

«Erreur ou dérive délibérée ?

Il est étonnant qu’une institution officielle telle que l’Agence de presse sénégalaise (APS) ait publié une dépêche à propos d’un communiqué de certaines ONGs ; communiqué haineux, mensonger, diffamatoire et hostile à la Mauritanie. Ces ONGs qui indexent, à tort, la Mauritanie feraient mieux de focaliser leur regard ailleurs, là où les libertés de presse sont bafouées, là où les manifestations de l’opposition sont réprimées… Les avancées indéniables, enregistrées, par la Mauritanie, dans les domaines de la démocratie, des libertés et des droits de l’Homme sont, aujourd’hui, saluées par les institutions internationales et les organismes indépendants.

Evoquer actuellement l’esclavage en Mauritanie, c’est, tout simplement, replonger dans un passé que les Mauritaniens ont dépassé. Ceux-là mêmes qui en faisaient leur fonds de commerce en Mauritanie se rendent à l’évidence que c’est un créneau qui n’est plus porteur. Par ailleurs, l’histoire de l’esclavage est connue mais la Mauritanie n’est pas connue pour être, historiquement, le centre de gravité sous-régional de cette traite des êtres humains, activité ignoble.

Par ailleurs, citer le racisme, dans le cas de la Mauritanie, forte de la richesse de sa diversité culturelle, relève de la mauvaise foi, quand on sait combien notre société est fondamentalement attachée aux valeurs de justice et d’égalité. De même, parler de l’illettrisme en Mauritanie, c’est méconnaitre l’histoire de ce pays connu pour être un minaret multiséculaire de savoir et de rayonnement culturel. Les éminents oulémas de ce pays qui ont fondé des mahadras et diffusé le savoir, partout en Afrique, en sont une preuve vivante. A notre connaissance, il n’y a pas de corrélation entre l’illettrisme et le pourcentage de citoyens parlant une langue étrangère.

Il est important de rappeler, à propos de la bonne gouvernance, que le principal combat du gouvernement mauritanien, depuis 2009, est mené contre la gabegie et la corruption. Une politique qui a donné des résultats tangibles, en raison d’une stratégie cohérente de lutte contre la corruption. Ces ONG auraient dû s’intéresser prioritairement, pour une crédibilité minimale, aux cas de corruption soulevés par la presse sénégalaise locale.

Toutefois, ces organisations, qui se font, aujourd’hui, les porte-voix des milieux lésés par la lutte contre la gabegie et la corruption, ne sauront pervertir une réalité vécue par tous les Mauritaniens, marquée par des avancées remarquables, reconnues par la Communauté internationale. Elles feraient mieux de consacrer plutôt leurs efforts et leurs actions à leurs missions premières au sein de leur propre société. Nous osons espérer que l’agence de presse sénégalaise ne s’est départie des règles professionnelles, déontologiques et de bienséance que par erreur et qu’il ne s’agit pas d’une dérive délibérée ».

 

AMI