Rapport de Sherpa sur la mal gouvernance en Mauritanie : Quand tout s’évapore

5 October, 2017 - 01:34

Un rapport de l’ONG anti-corruption Sherpa, datant de Juillet 2017, dresse un constat accablant sur l’état endémique de la corruption en Mauritanie : « […] la situation n’a fait qu’empirer, les spoliations se sont accentuées, alors même que le pays traverse une période difficile, depuis la chute des prix des minerais de fer. Les ressources publiques continuent à être détournées par le clan au pouvoir. Avec un nombre toujours croissant de partenariats publics-privés, notamment conclus avec des sociétés étrangères, les marchés truqués prolifèrent et, avec eux, les pots-de-vin, la corruption, l’évaporation des ressources gangrènent toute réelle perspective de développement social et d’amélioration du climat des affaires. La Mauritanie suit, actuellement, une trajectoire extrêmement inquiétante et l’Etat de droit est en net recul. Les financements mis à la disposition de la Mauritanie, par les bailleurs institutionnels (plus de 4,5 milliards de dollars en 2016), ne sont qu’un facteur d’aggravation, tant ils sont détournés », alerte le rapport. « A ce rythme, l’aide internationale à la Mauritanie ne fait qu’alimenter les risques de corruption. […] La Mauritanie, avec son fantastique potentiel en matières premières, est, aujourd’hui, le terreau parfait pour tous les receleurs et autres délinquants en col blanc qui peuvent y bénéficier, en toute tranquillité, d’une totale impunité, en matière de crimes financiers. […] Dans cette période particulièrement critique, il est donc de la responsabilité des bailleurs de surveiller la façon avec laquelle les fonds versés sont dépensés et de s’assurer qu’ils contribuent, effectivement, à l’émergence d’un réel Etat de droit et à l’amélioration des performances de développement. En particulier, les bailleurs doivent scrupuleusement veiller à la régularité des marchés conclus, dans le cadre des projets précis qu’ils soutiennent ».

 

La Mauritanie ou le syndrome de « la malédiction des ressources ».

Selon l’ONG anti-corruption, la Mauritanie n’échappe donc pas au syndrome de « la malédiction des ressources »– également appelé « paradoxe de l’abondance » – qui postule que l’abondance de richesses naturelles accroit, paradoxalement, la pauvreté et les inégalités. « Aux yeux de bon nombre d’observateurs »,lit-on dans le rapport, « ce contraste, entre la croissance rapide de l’économie mauritanienne et la perduration d’une situation d’extrême pauvreté, est, en grande partie, dû à la mauvaise gouvernance et, plus particulièrement, à la corruption qui  gangrène la sphère publique et détériore le climat des affaires ».

Même son de cloche, du côté du  Fonds Monétaire International (FMI), soulignant, dans son dernier rapport sur les consultations de 2016, au titre de l’Article IV, que la Mauritanie « occupe une place décevante sur les indices de  corruption ». Le pays figure, en effet et de façon constante, parmi les plus mauvais élèves duclassement publié, chaque année, par l’organisation allemande Transparency International (TI), en matière de perception de la corruption : 142èmesur 176, en 2016. La corruption endémique est perçue comme un obstacle important aux affaires. Dans son dernier rapport sur la compétitivité mondiale, le Forum économique mondial place, elle, la Mauritanie à la 137èmeplace sur… 138 pays. En 2015, le pays a perdu deux places, dans le classement élaboré selon l’Indice Mo Ibrahim, pour se situer au 41èmerang sur 54 pays. Dans son Document de Stratégie Pays 2016-2020 pour la Mauritanie, la Banque africaine de développement écrit :« La corruption constitue un problème épineux en Mauritanie, notamment dans l’octroi des prêts bancaires, l’attribution de permis de pêche, l’acquisition des terrains, l’attribution des contrats, et le paiement des impôts et taxes. […] L’accès au financement, l’insuffisance de l’infrastructure et la corruption y sont considérés comme les obstacles majeurs pour les affaires ». Les scandales politico-financiers, la mal gouvernance et une mauvaise gestion des ressources plombent l’économie du pays et bon nombre d’observateurs redoutent une trabelsisation de la Mauritanie.

 

Première source de préoccupation : les conditions d’attribution des marchés publics

« Nerf de la guerre », dans un pays dont l’économie se développe rapidement et qui doit, par conséquent, investir massivement dans ses infrastructures, les marchés publics sont bien souvent conclus au mépris de l’intérêt général : les mieux-disant, les plus talentueux, les plus compétents, dans les différentes sphères de la vie économique du pays, semblent constamment écartés au profit d’intérêts particuliers. « Bon nombre de marchés publics sont conclus de gré à gré », écrit le rapport, « au mépris des règles élémentaires de transparence, d'égalité de traitement des candidats et de liberté d'accès aux marchés publics, en dehors de toute autorisation ou contrôle du Parlement (pas plus que de la Cour des comptes), au profit et/ou dans l’intérêt d’individus et de groupes proches des cercles du pouvoir. Au-delà des commissions occultes, versées en marge de la conclusion des marchés publics, l’opposition dénonce, par ailleurs, des actes de favoritisme : certains marchés conclus « officiellement » seraient ensuite sous-traités, à des sociétés proches de l’entourage présidentiel, et de citer, en exemples, les marchés liés à la construction des routes ou, encore, celui de l’approvisionnement en eau potable de la ville de Magta Lahjar.

La liste des griefs illustre les pratiques interdites par le Foreign Corrupt Practice Act, une loi fédérale américaine de 1977 et son équivalent canadien, le Corruption of Foreign Public Official Act de 1998 : marchés baroques, accordés à des sociétés proches des autorités, versements indus à des fonctionnaires et à des officiels en vue d’obtenir les bonnes grâces des autorités, etc. A Nouakchott, quantité de hauts fonctionnaires et de proches du président de la République ont profité des largesses de Kinross Gold Corporation. Les agents des douanes et les gendarmes qui protègent le site sont, ainsi,« directement rémunérés par le groupe minier canadien et même liés par un contrat », révèle le rapport.

Les contrats élaborés, entre des entreprises étrangères et des sociétés mauritaniennes dirigées par des personnes politiquement exposées, et/ou fondées spontanément, pour répondre à un appel d’offres, comme « Maurilog », sont soupçonnés d’être entachés de faits de corruption. Et le rapport de citer le contrat conclu avec une société essentiellement connue pour des ventes illégales d’armes chinoises à l’étranger– ce qui rend l’affaire d'autant plus trouble – sans qu’aucun appel d’offres n’ait été, semble-t-il, publié.

 

La mauvaise gestion des finances publiques

Dans son rapport annuel pour l’année 2016, le FMI, regrette non seulement, que ses conseils ne soient appliqués que de façon mitigée, par les autorités mauritaniennes, mais, également, que ses recommandations, destinées à dissiper les craintes de la viabilité de la dette, moyennant un assainissement budgétaire et àrenforcer le cadre de la politique monétaire, n’ont pas toujours été appliquées. La Banque Africaine de Développement (BAD) a également épinglé la mal gouvernance et la mauvaise gestion des finances publiques du pays. Le déficit budgétaire s’est détérioré et la dette publique s’est aggravée, pour atteindre 93% du PIB, à la fin 2015, les autorités ayant emprunté, pour des projets d’investissement prioritaires et renforcer les réserves. Entre 2010 et 2015, la dette aurait augmenté de 153%. La Banque Centrale Mauritanienne (BCM) a dû contracter un emprunt bilatéral, avec l’Autorité d’investissement du Koweït, pour soutenir la position de la dette extérieure.

L’ouguiya mauritanienne a, quant à elle, enregistré une dépréciation nominale de 9%, en glissement annuel, par rapport au dollar américain et aucune politique de change n’a, pour le moment, été adoptée, pour remédier à cette forte surévaluation de l’ouguiya. Le FMI, comme la Banque mondiale, relève, encore, le manque de transparence des finances publiques. Ces institutions financières mettent en cause les liens, étroits, existant entre des conglomérats industriels et des banques, compromettant ainsi la transparence et la gouvernance, ce qui pourrait entraîner des risques systémiques. La BM dénonce surtout le secteur parapublic, « fardeau » pour l’économie mauritanienne : « Le secteur parapublic a augmenté et dispose de quelque cent cinquante établissements qui reçoivent des transferts représentant, désormais, 17% des dépenses, mais il y a très peu d’informations pour évaluer leur performance, en termes de services rendus ou d’efficacité opérationnelle. Ces entités représentent un risque et une menace considérable, pour les bonnes performances de la politique budgétaire et des finances publiques. […] Malgré les efforts consentis par les pouvoirs publics, les problèmes de gouvernance du pays demeurent multiples et présentent diverses facettes. Ils se manifestent sous la forme de corruption, de faiblesses institutionnelles, d’inefficacité, dans la fourniture des services publics, de gestion sous-optimale des ressources naturelles et des finances publiques […]. Les problèmes ainsi énumérés constituent un frein au développement du pays, obstruant le partage de la croissance et la capacité du pays à faire face aux chocs économiques ».

« Les entreprises publiques ont un niveau d’opacité modéré ou élevé », fait remarquer le rapport, « et il est encore très difficile d’obtenir des données précises, sur la position financière nette ou la contribution de ces entités envers les investissements publics. Une étude récente de la BM a constaté que le nombre d’agences avait augmenté depuis 2010 et que les subventions, aux entreprises publiques et aux organismes, s’étaient fortement accrues, passant de 5 milliards d’ouguiyas en 2005 (soit 17,2 millions de USD) à plus de 70 milliards d’ouguiyas en 2013 (soit 240 millions USD), tandis que les services fournis par ces entités restent médiocres et les contrôles externes peu fréquents ».

Une de ces entreprises publiques est, bien évidemment, la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM),  seule à pouvoir emprunter à l’extérieur, sans la garantie explicite de l’administration centrale. Selon le FMI, elle devrait « faire l’objet d’une surveillance étroite, pour éviter des engagements conditionnels potentiels. La dette extérieure de la SNIM a, en effet, augmenté de 5% à 11,5% du PIB, entre 2010 et 2015. Environ 70% de celle-ci devraient arriver à échéance avant 2021. Or les informations relatives rendues publiques concernant sa situation financière sont limitées, puisque ses états financiers ne sont plus publiés ». Derrière ces discours diplomatiques et policés des institutions financières internationales, semble se cacher, analyse Sherpa, « une véritable prédation des ressources publiques », comme cela est fréquemment relayée par les observateurs locaux.

« La Mauritanie court actuellement à sa ruine, sans que le peuple n’ait pu bénéficier, jusqu’à maintenant, de ses propres revenus. Le clan au pouvoir est devenu de plus en plus riche, les populations de plus en plus pauvres », conclut le rapport. Le pays est, aujourd’hui, l’un des plus corrompus au monde. Les bailleurs ne peuvent plus être les témoins passifs de cette grave régression. Bien au contraire, ils doivent obtenir, des autorités mauritaniennes, des engagements fermes, pour mettre un terme à ces graves dérives et pour que les enquêtes nécessaires soient diligentées. Les bailleurs ont la responsabilité de s’assurer, avec leur force de persuasion et le conditionnement de leur aide, que leurs fonds ne sont pas utilisés pour alimenter ce gigantesque système d’évaporation ».

 

Synthèse KAAW THIERNO