Sommes-nous entrés dans la période : Le peuple veut ? (2) /Par Mohamed Mahmoud ould Bakkar

5 October, 2017 - 01:25

L’entourage qu’Aziz s’est choisi, il le tient directement responsable d’une importante partie de son propre échec. La réticence des électeurs à voter pour la Constitution ne découle pas de ce que le Gouvernement soit inconnu politiquement ou n’ait pas honoré ses promesses, mais, au contraire, parce qu'il est bien connu pour tout cela. Aziz veut le beurre et l’argent du beurre, sans coup férir... Qui entendra l'ambition de cet homme ? Même déçu, il préfère montrer les muscles et défier les événements, alors qu’en son for intérieur, il rumine la défaite, dans toute son amertume, crachant sur le monde politique, à l’insu de tous, tout en ressentant, au plus profond de son âme, la tension croissante, sans répit, entretenu par sa patiente opposition. Ce n’étaient ni sa prévision ni son ambition.

On ne peut parier qu’Aziz se maintienne à distance du destin des leaders victimes du printemps arabe, alors qu’il cumule faiblesse, dans la concentration, et terrible détérioration de la situation et de la popularité. Le gigantesque travail accompli se voit contraint par la rigidité de la réponse du chef à des événements marqués par une évidente aspiration au changement. La seule différence qui sépare, aujourd’hui, Ould Abdel Aziz  de ses pairs arabes, est qu’il n’a pas encore été submergé par les événements et qu’il fut le témoin actif de leur destin au bord duquel il se trouve à présent lui-même. Quant à sa conscience des risques, difficile de se prononcer : aventureux de nature, il se croit assez différent pour triompher de tout. Mais ne s’agit-il pas, ici, du même fossé où ses prédécesseurs sont tombés ?

Plus grave, Ould Abdel Aziz ne semble pas convaincu de l’effondrement de la légitimité de son régime, avec les aspirations déçues des citoyens, après neuf ans de propagande alléchante et hypercentralisée, aux mains d'une seule personne. Toutes les informations et rapports sérieux concordent à souligner la multiplication du revenu de l'État, au cours des six dernières années, mais personne ne voit sa situation s'améliorer, sauf les chéris du sérail et… le « Président des pauvres » lui-même, désormais à la tête de la plus grande fortune du pays. L’homme n'accepte pas plus ces faits indéniables que la défaite, pourtant résultante de ses politiques.

 

Majorité politique désunie

Entend-il même la complexité de la menace, à sa porte et jusqu’à l’intérieur de son empire, portée, en secret, par ceux qu’il mène pour réaliser ses desseins et qui semblent lui obéir, au doigt et à l’œil, en toute docilité et sans contrepartie ? Nombre d’entre eux aspirent – témoignent même en privé – à une réforme profonde, stimulant l'économie, augmentant les opportunités, renforçant l’amélioration des conditions de vie des citoyens et élargissant les services publics. Or nous vivons tout le contraire, debout devant l’échec du Président, leader d'une majorité politique désunie. Mais cela s'applique-t-il à tout le système ? Plus précisément, celui-ci acceptera-t-il d'être associé à cet échec patent ? Va-t-il rater l'occasion de se sauver, en acceptant la débâcle ? A cet égard, la sortie, flagrante, de l’obligation de réserve des commandants de l'armée entend-elle sauver la situation ou est-elle une astuce, programmée de longue date, pour préparer l'avenir et des événements forts de nouveaux comptes et enjeux? Le discours du système est loin d’être clair là-dessus. Essayons donc d’examiner quelques détails.

Ould Abdel Aziz reste, fondamentalement, un militaire. L’armée est la seule institution dont il a maintenu l’organisation, comblé d'argent et d’avantages, qui jouit de son plus grand respect et à laquelle il cède les plus larges pouvoirs, dans le fonctionnement de l'Etat ou, du moins, dans sa gestion. L'institution militaire – plus exactement, les généraux... – jouit de tous les privilèges. Elle est présente – plus exactement, ses chefs sont omniprésents – sur la scène nationale, les événements ont prouvé, s’il était encore nécessaire, la contribution active des généraux, dans le processus politique, et ces messieurs ont d’ailleurs reçu des félicitations du boss lui-même, pour leur rôle public qui a sauvé le processus référendaire de l’extinction. Ce détail nous montre, clairement, la réalité militaire du régime, déguisé en démocratie, qui nous conduit mais cette «militarisation » reste au second plan, tant que la situation n’échappe pas au contrôle du Président. Dans le cas contraire, aboutirons-nous à un régime civil, sous gouverne d’un président élu, suivant les règles ordinaires du jeu démocratique ? Sommes-nous arrivés à la levée du voile? Il ne fait l’ombre d’aucun doute que les choses commencent à sortir des mains d'Ould Abdel Aziz et que le système doit assumer le devant de la scène.

La grande surprise est que ni l’un ni l’autre n'ont suffisamment de temps pour réorganiser les affaires, bien que certains analystes croient en une solution toute prête, à l’instar du modèle égyptien : une institution militaire puissante, organisée et présente dans les domaines politique et économique. A cette (très grosse) nuance près que l'establishment militaire mauritanien ne sert pas exactement – c’est le moins qu’on puisse dire – les intérêts de la bourgeoisie mais ne partage que les intérêts des établissements soumis à sa tutelle et…leur budget, sans être directement exposé aux intérêts des concurrents économiques. La crédibilité nationale de l'armée n’a donc jamais été que relative, insouciante du fait qu'elle constitue une grande partie du problème – de sa solution ? –actuellement insurmontable.

Le point sur lequel nous interpellons, à la fois, Ould Abdel Aziz et le régime, en tant que parties distinctes, est qu'ils peuvent continuer à se confondre ou se séparer, selon les circonstances. Mais combien de temps ont-ils, pour orienter leur futur destin, dans la situation actuelle, c’est-à-dire à la lumière de la crise et de l'échec ? Selon quelle méthode ? L’Ould Abdel Aziz qui a publié des documents sur certaines des manifestations de la corruption qui l'entoure est-il le même Ould Abdel Aziz qui a réuni ses pairs militaires, dans les orientations de la réforme ? Peuvent-ils, ces stratèges, vendre à nouveau leur prétendu chef ou commercialiser son régime, pour sauver leur avenir ?

Nous ne saurions répondre en lieu et place d’autrui. Mais on peut dire qu'une importante partie de ce choix dépend de la situation et du rythme des événements, actuellement comprimés. Selon toute vraisemblance, on peut s’attendre à une divergence au sommet, quant à la forme et au chemin de l’issue. Le seul moment où l'élite militaire réfléchit vraiment, c’est lorsqu’il s’agit de sauver le pays du pire – et seulement du pire –et c’est seulement à ce point de rencontre que l'élite politique est prête à faire corps avec elle. Cela a eu lieu trois fois, dans l'histoire du pays : 1978, 1984 et 2005, alors que chacun des régimes en place jouissait d’une large propagande, sur leurs « grandioses » et réputées prospères réalisations, disposant d’un soutien illimité des adulateurs, avant de se retrouver brutalement éradiqué, révélant ainsi qu'il couvrait une situation courant, sans aucun doute, à l'abîme. Les applaudisseurs obéissaient au désir du Président, en se gardant de toute innovation, dans le tapage d’une omniprésente désinformation, mêlée aux réalités, et la seule compétition, entre les profiteurs et ceux qui aspiraient à profiter. C'est exactement notre situation actuelle. Sans aucune alternative, semble-t-il.

 

 

Dossier mal ficelé

Notons deux événements qui ont pesé sur l’évolution psychologique d'Ould Abdel Aziz, à un moment particulièrement défavorable: l'amertume du coup de poing des sénateurs et la déception envers ses assistants, comme s'il s’était soudainement retrouvé au cœur d’un complot. Incapable d’admettre qu’il fut lui-même l’artisan de cette situation, il doit, dans cet état d'esprit troublant, gérer trois défis majeurs : l'échec, la crise et briser, au plus vite, le siège du temps et de l'économie qui le pressent. Gagnera-t-il son pari ?  Avec qui ? Sauf miracle, il n'est pas l’homme d’une quelconque conception rationnelle mais il a toujours su esquiver les problèmes qu’il s’est créés, sans jamais se poser des questions sur sa propre responsabilité. Sans aucune consultation, avec quiconque, ni réponse aux exigences des événements, sur ce qui doit être fait, il essaie de tirer l'attention sur d’autres champs, lointains, en usant de la passion privilégiée de ses émules, à savoir la séduction de l'opinion publique.

Il a ainsi organisé deux spectacles, distincts, pour tenter de dépasser sa situation critique : le premier consiste en la fabrication d'une grande affaire, sur la déstabilisation de la sécurité de la Mauritanie, via des « crimes transfrontaliers », comme indiqué dans la déclaration du Parquet général. Mais le ministre chargé de dramatiser ce dossier est parti en vacances, sans le ficeler, l’abandonnant aux mains de la police qui a dû couper le diable en quatre, pour lui donner, à partir du vide, un semblant de corps, justifiant la violation des droits d’Ould Ghadda par des« arguments » gravissimes et énormes : implication d’acteurs de la Société civile, de personnalités politiques et d’élus, en les liant à un homme d'affaires opposant, jamais encore condamné au pénal, avec des interrogatoires de journalistes combattant le danger menaçant leur pays. Mais quel crime y-a-t-il à ce que des journalistes, poussés par le harcèlement systématique du régime, s’emploient à rechercher l’aide d’un ou plusieurs de leurs concitoyens, afin de préserver leur espace de libre opinion ? Ne pas admettre qu’un organe de presse nanti d’une ligne éditoriale libre trouve  quelqu’un appréciant celle-ci et s’y allie, sans transgresser la loi – encore moins en l’absence de loi : aucun crime ni peine n’existe, sans définition légale – est un comportement illégal et antidémocratique.

Quant au second spectacle, il s’agit des visites, improvisées, du Président aux diverses moughataas de Nouakchott, afin de donner, aux citoyens, l'occasion de le glorifier une nouvelle fois, pour minimiser l'échec qu’il ressent. L'heure de sa glorification aurait-elle pour autant sonné ? On a l’impression, ici, d’avoir à faire à quelqu'un totalement inconscient de son destin. (A suivre)