Sommes-nous entrés dans la période : Le peuple veut ? (1) /Par Mohamed Mahmoud Ould Bakkar

28 September, 2017 - 01:33

Depuis quelques semaines, le pays est entré dans une sorte de goulet d'étranglement, au terme du referendum tristement célèbre qui l’a mis en congé forcé de vingt jours et dont les résultats ont été en deçà de toutes les espérances, du moins celles du pouvoir. Ce fut un processus extrêmement oppressif où les morts ont – pour la première fois – voté, l'Etat s’est dérobé à tous ses engagements, en matière de neutralité,  aspirations et luttes ont rebroussé chemin pour nous remettre au seuil de 1992, il ne nous manque plus que les urnes mobiles, pour reformer le tableau du départ.

On a tué la fierté de la démocratie et l'espoir de la stabilité, au vu et au su de tous. La fête n'était qu'une troisième révision de la doctrine militaire d'Aziz et une tentative civile de replâtrer son amour pour le coup d'Etat. Le referendum ne reposait pas sur aucune base juridique et ne fut nullement constitutionnel. Mais on introduisit, de force, l'article 38 dans son processus, marquant un tournant dangereux dans l'histoire du pays, après que les sénateurs ont fait tomber la procédure correcte des amendements constitutionnels. Notre démocratie avait failli devenir fonctionnelle et un motif de fierté. Mais, poussé par ses proches, le « Président » - se prit de fière arrogance et déclara une guerre hystérique aux sénateurs, n’épargnant rien sur son passage, rendant notre démocratie sans lustre ni avenir. Aziz n'est rien d'autre qu'un militaire à coudées franches, qui a trouvé des pouvoirs exorbitants au sein d’un régime présidentiel, dans une terre aride d'assistants dévoués, par ignorance ou par peur.

 

Erreurs fatales

Nous voyons, en cette situation, une accumulation d’erreurs fatales  et attendons sa fin, non pas celle que voudrait Aziz ni celle que la patrie désire, mais une fin de règne anormale. La bonne issue ne s’annonce plus au rendez-vous, les indicateurs passent au rouge, à commencer par la désobéissance politique, la division des rangs intérieurs inaugurée par les sénateurs en est le signe, avec son cortège de coups de poings politiques. D’un autre côté, les prix des matières premières ont chuté, la situation a conduit à la crise et poussé à l’unité de l'opposition qui s’enorgueillit de son titre, mérité, d'opposition nationale, en lutte contre un régime entrepreneur d’actions antinationales. La société a également commencé à perdre sa vertu de solidarité gracieuse qui protège les plus faibles contre la ruine et préserve la popularité du régime. La gestion « maladroite » des ressources est, ici, clairement mis en cause. Le renchérissement des prix des produits de consommation courante déborde, avec l'impact de la réduction des dépenses gouvernementales, l’inégalité dans les opportunités de redistribuer la richesse nationale, le rétrécissement du climat des affaires, les faibles revenus, la mauvaise gouvernance et l’accaparement des hautes fonctions. L'opposition se propage, dans les rangs mêmes des soutiens populaires du régime, en raison de l'extrême pauvreté, de l'augmentation des classes pauvres et des rues misérables, dans les quartiers périphériques (Tarhil), tandis qu’augmentent le taux de chômage et la diversité du crime, soutenus, de manière significative, par l'inévitabilité du changement, même si la méthode que le régime dit vouloir suivre change. Se plaignant de la vie pénible et de la faiblesse du pouvoir d'achat – c’est à dire de la difficulté de résister à l'énorme écart, entre les salaires gelés et les prix des produits de consommation en hausse dynamique – les travailleurs  ne seront pas les plus tentés par le calme, lorsque la situation aura rempli les conditions du changement ou de l'amélioration. L'Etat n'a révélé aucun plan pour faire face à cette situation. Au contraire, il se trouve obligé d'avaler, en secret, les doses mortelles de la Banque Mondiale, qui n’apporte que de nouvelles complications de la situation. Frappant la majorité de la société, un tel désastre n'est plus tolérable mais Aziz n'en perçoit pas les réalités. Il n’a donc aucune vision de ce qu'il faut faire exactement, d'autant moins que ses proches financiers ne l’orientent que vers l’arrêt de toutes sortes de dépenses, afin de préserver le slogan de « la lutte contre la corruption », en réalité un trompe-l’œil, et vers l'augmentation des impôts qui ont atteint, sur les produits alimentaires, des records. Les deux principaux assistants au Gouvernement ne sont que de lourds fardeaux sur le régime, responsables d’excès politiques et économiques en tout genre, de propagande mensongère, livrant des chiffres censés décrire une amélioration que personne ne ressent. L’un s’essaie en grand orateur, pour maquiller le gâchis, mais se trouve souvent dans l'embarras. Pendant ce temps, le temps se rétrécit – en termes réels – pour trouver des solutions objectives, se contentant de construire un homme de paille. A cet égard, le message porté par le referendum est sans ambiguïté : le peuple n’est plus convaincu par ce discours ni par cette performance. Alors que le régime est appelé à agir sur le terrain, on parle de la responsabilité directe d’Aziz, en tout ce qui se passe dans le pays et de sa force à s’enrichir personnellement.

 

Président accumulateur

 

Chaque jour qui se lève, on évoque le trésor d'Aziz, fort des biens publics qui constituent la plus importante part de sa fortune, amassée au poste de Président, tandis que les gens meurent de faim, dans les wilayas agricoles et dans la capitale économique, comme en Roumanie, au temps de Ceausescu, avant la révolution populaire qui se dressa contre lui, en Décembre 1989. A cette époque, nombre de quartiers de Bucarest subissaient des délestages réguliers d’électricité, alors que le dictateur décorait le salon de son palais avec un chandelier de quatre mille lustres. Aziz est tout aussi loin de ce qui est urgent, pour alléger le fardeau des gens et rétablir l'esprit de concurrence : cesser d'engraisser un groupe particulier, augmenter les salaires et combattre la hausse frénétique des prix. Aujourd'hui, nous constatons l’hégémonie, sur le climat des affaires du pays, des mêmes personnes associées à Aziz et leur domination rigoureuse sur l'activité économique. Souvenons-nous de la Tunisie d’avant 2010, lorsque Zine El Abidine comprit tardivement son peuple ou ne le comprit jamais, à l’instar de Hosni Moubarak. Alain Antil, du Centre français des politiques internationales écrit, dans un sujet consacré à la Mauritanie : « L’image du candidat des pauvres est devenue, aujourd’hui, pour un secteur important de l'opinion publique mauritanienne, celle d'un président qui accumule les biens personnels et enrichit ses amis et sa tribu, par deux moyens, à savoir : un système donné d’octroi des marchés publics et un mécanisme d'accaparement des revenus miniers." Dans le « Monde Diplomatique » nous lisons encore : « L'image du président modernisateur d’un Etat qui enregistre une forte croissance, grâce aux industries extractives économiques – après que le ministère de la Justice et la Commission des bourses des Etats-Unis ont ouvert une enquête sur les pratiques de la société Tasiast Ltd.  –  reposait sur la hausse des prix des produits miniers ; elle s’écroule, aujourd’hui, à cause de la baisse de ces mêmes prix ».

Notre « leader » fait face à un problème profond, à savoir l’épuisement de son stock de force et de slogans capable d’enflammer les faibles. Plus il tarde à comprendre son problème, plus son avenir dans le pays s’assombrit, plus il réduit la confiance dans les mécanismes et outils du processus démocratique, plus il diminue les chances de solutions naturelles et plus l'espace des choix diminue devant lui, pour sortir du pouvoir avec le minimum de pertes, pour lui et pour le pays. Il ne doit pas oublier qu'il est en tension avec trois des quatre pays limitrophes et n'a pas de soutiens dans sa relation avec les puissances occidentales, du moins construits par sa diplomatie. S’il en a, c’est à titre exceptionnel. La France a sauvé le président tunisien ; l'Amérique, le président égyptien ; la Russie, le président syrien. Quel rôle en Mauritanie pousserait une quelconque puissance occidentale à intervenir pour Aziz ? Contrairement à ses pairs, celui-ci n’a une seule option, l’option locale.

L’observateur averti des affaires mauritaniennes constatera des changements fondamentaux survenus dans la personnalité d'Aziz, après son engagement dans les amendements constitutionnels. Sa tentative de gagner la médaille ou le statut de leader national a essuyé le direct des sénateurs. Ce qu'on appelle, dans le monde professionnel, un « coup de maître » qui fut sévère et où l'élément de surprise consista en une action hautement provocatrice, pour un leader autoritariste surveillant les communications téléphoniques des gens et les moindres détails de leur vie, se targuant de n’avoir jamais connu de défaite, depuis son entrée sur la scène politique, et persuadé, depuis 2005, de ce que les événements lui portaient bonheur. Fortement ébranlé par ce coup, Aziz en subit désormais l'impact et toutes ses sorties sont relatives à cette déconvenue. A l’inventaire du compte – c'est-à-dire au bout du processus référendaire, avec ses fameux 54% de participation populaire tirés par les cheveux – il se sent faible. Aujourd’hui, il vit en grande peur de l’avenir proche : 2019. Ses cartes sont bouleversées de fond en comble, y compris celle qui semblait lui garantir une sortie en douceur : « la  carte de l'héritage ». Il est de moins en moins sûr – chaque jour, donc, moins que jamais – des futurs comportements de ses assistants civils qu’il avait, pourtant, triés sur le volet,  par leur soumission à sa volonté et à son ambition personnelle… (À suivre)