Dossier « Bouamatou et autres » : Prémices de la bataille 2019 ?

21 September, 2017 - 02:12

Le feuilleton politico-juridique, désormais dénommé « dossier Bouamatou et autres » et enregistré, sous le N°04/RP/2017, occupe les Mauritaniens, par media interposés. Le dossier n’est pas prêt, semble-t-il, de révéler tous ses dessous. L’accusation, a priori très grave – le Parquet évoque des « crimes gabegiques transfrontaliers » – met en cause des sénateurs, des syndicalistes, des journalistes et des personnalités politiques. Mandats de dépôt et d’arrêts internationaux ont été lancés contre un bon nombre de sénateurs et l’homme d’affaires Ould Bouamatou, suspecté d’avoir corrompu tout ce beau monde. Le sénateur Ould Ghadda, par qui tout serait arrivé, est en prison depuis quelques semaines et des menaces pèsent sur la sénatrice et cantatrice Maalouma mint Meidah.

Priver l’opposition de ressources ?
Le pouvoir d’Ould Abdel Aziz est très engagé à (dé)mêler les tenants et les aboutissants de ce dossier. D’où une certaine précipitation, laissant croire qu’Ould Abdel Aziz cherche à régler des comptes à tous ceux qui auraient eu le courage, au Sénat surtout, de le défier, en rejetant les amendements constitutionnels, objet du référendum du 5 Août dernier. En effet, tous ceux qui sont impliqués dans le dossier, membres ou non de la majorité présidentielle, ont ceci en commun d’avoir exprimé leur rejet des modifications de la Constitution. Et Ould Abdel Aziz a averti qu’il ne pouvait pas perdre et que les sénateurs prétendant bloquer son projet n’étaient qu’une minorité. Mais si le pouvoir a certes fait passer ses amendements constitutionnels, ce ne fut pas sans mal. En l’absence de l’opposition hostile auxdits amendements, la très forte implication, dans la campagne, du chef de l’Etat en personne n’a pas convaincu les Mauritaniens à plébisciter le texte. Loin de là. D’où cette impression d’agitation, au sommet de l’Etat qui cherche à « démontrer », à l’opinion nationale et internationale, que les sénateurs ont été corrompus, pour voter contre, d’une part et que le cousin et homme d’affaires, Ould Bouamatou, cherche à déstabiliser le pays, depuis son exil de Marrakech, au Maroc, par les financements qu’il distribue aux acteurs politiques, aux syndicalistes et à la presse. Une allégation rejetée, par les leaders de l’opposition démocratique qui croient, plutôt, qu’en cherchant à diaboliser Ould Bouamatou, lui faire porter le chapeau du « dossier », le gouvernement vise surtout à priver de ressources ses adversaires et concurrents politiques. Ce serait donc en perspective des élections de 2018, voire 2019, que le gouvernement charge, et l’opposition et son cousin, pour ôter toute possibilité, à ses adversaires, de se doter de moyens pour battre campagne. Comme on le sait, l’opposition démocratique manque cruellement de ressources. Hors Tawassoul, elle n’est représentée dans aucune instance démocratique (mairies, Parlement…).

Caractère politique du dossier
Au cours d’un point de presse, tenu, vendredi dernier, au siège du FONADH, le collectif de défense du sénateur Ould Ghadda s’est évertué à démontrer le caractère politique du dossier. Pour les avocats de la défense du sénateur et douze de ses collègues, « toutes les poursuites engagées, contre le sénateur Ould Ghadda et ses douze collègues n’ont aucune explication, mobile ou justification, hors la volonté politique, déclarée, de sanctionner tous ceux qui, au Sénat, ont osé voter contre la réforme constitutionnelle initiée et défendue, opiniâtrement, par le pouvoir exécutif». Le collectif informait qu’il venait de déposer une requête, auprès de la chambre d’accusation de la Cour d’appel, réclamant l’ « abandon de toutes les poursuites et charges retenues à l’encontre de leur client et de ses douze autres collègues poursuivis dans le même dossier ».
Les auditions vont cependant se poursuivre et tous ceux placés sous contrôle judiciaire doivent se présenter, chaque lundi, à la DGSN pour pointer. Outre les sénateurs, on peut citer Ahmed ould Cheikh, directeur de l’hebdomadaire « Le Calame », Moussa Samba, directeur du « Quotidien de Nouakchott », Rella Bâ, patronne de cridem.org, les syndicalistes Samory ould Bèye, secrétaire général de la CLTM, et Mohamed Abdallahi Nahah, secrétaire général de la CGTM. Leurs passeports sont retenus par la Direction Générale de la Police. Ils ne peuvent donc quitter le pays, même pour des raisons professionnelles. On leur reproche d’avoir perçu l’argent de l’homme d’affaires Bouamatou.
La gestion de cette affaire accapare à ce point le pouvoir qu’elle semble reléguer aux oubliettes tout autre préoccupation. Il veut enfoncer les accusés et empêcher l’opposition d’affûter ses armes. Aussi nombre de sceptiques se demandent-ils si les Mauritaniens iront bien aux urnes, en 2018, pour les municipales et législatives, et en 2019, pour la présidentielle. Ils suspectent le pouvoir de profiter de la crise politique pour reporter les élections – oules jumeler en 2019 – au risque d’un boycott de l’opposition, si les conditions minimales de transparence et de crédibilité ne sont pas réunies, d’ici là.
DL