Après le referendum du 5 Août : Prochaine étape ?

10 August, 2017 - 02:38

Les Mauritaniens ont voté, le 5 Août, pour se prononcer sur les amendements constitutionnels préconisés par le dialogue politique de Septembre et Octobre 2016, entre la majorité présidentielle et une partie de l’opposition. Selon les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sur laquelle tous les acteurs politiques étaient tombés à bras raccourcis en 2014, le oui emporte le pompon, avec  85% des votants, et un taux de participation de 53,75%. Ainsi, le président Ould Abdel Aziz qui avait fait, de cette consultation, une affaire personnelle, a gagné son pari. Celui de se débarrasser du Sénat mais, aussi, de changer le drapeau et l’hymne national. Nouvelle entrée de l’ex-général putschiste dans l’histoire du pays, après avoir renversé, en 2008, un président de la République démocratiquement élu et activement soutenu par les membres du CMJD dont il était le principal artisan. Le referendum du 5 Août marque une nouvelle étape dans le cheminement de cet homme obnubilé par les ruptures. Jusqu’à celle avec l’Histoire, glorieuse pour certains, mal écrite pour d’autres. Tout cela, Ould Abdel Aziz assume.

On le suspecte de vouloir fonder une nouvelle république. En attendant cette hypothétique aventure, que  fera-t-il de sa victoire du jour ? Occasion de préparer une transmission démocratique du pouvoir, en 2019 ? On devrait le voir, alors, inviter tous les acteurs à se donner, ensemble, les moyens de préparer cette échéance capitale. Lui au-dessus de la mêlée, en garantissant la transparence et l’équité. Les chantiers ouverts aux Mauritaniens trouveraient ainsi toute leur pertinence.

A contrario, trouver une pirouette pour s’imposer au-delà ? La bataille en cette perspective s’annonce particulièrement rude. Et ce n’est pas les désormais ex-sénateurs, très loin d’entendre baisser la garde, qui la lui faciliteront. Aujourd’hui qu’il a gagné son pari – A quel prix ? Première lourde question, guère aérée par les très contestables et déjà très contestés 53,75% de participation au scrutin – que compte faire celui « qui n’est pas né pour perdre », même si les sénateurs lui ont asséné un coup, en rejetant lesdits amendements, le contraignant à recourir au très contesté article 38 de la Constitution, pour organiser « son » referendum? Dans l’ambiance d’une électrique fin de second mandat, probablement précédée de législatives et municipales, alors que le pays économiserait beaucoup– gagnerait plus encore – à attendre le résultat de la présidentielle, l’homme du 6 Août aura bien du mal à apaiser ses relations avec une opposition qui peine à le déboulonner.

Scrutant les résultats de samedi, le président de  la République saura qu’il gouverne un système hypocrite. Mais il l’a, semble-t-il, déjà compris, en déclarant que, s’il ne s’impliquait pas dans la campagne, personne d’autre ne le ferait à sa place. Très frappant exemple de Nouakchott : les tentes n’ont commencé à pousser, au bord des grands axes de la capitale, qu’après le coup de colère du Président, peu après son retour de Zouérate.  Des têtes devraient donc tomber. Aussi  bien du  gouvernement que du principal parti de sa majorité. Les initiatives et les meetings, à l’intérieur du pays, n’ont pratiquement servi à rien. Les deux semaines de « vacances » octroyées, à l’Administration, non plus. Et, selon de multiples sources concordantes, ce n’est que l’investissement de celle-ci, les intimidations,  la présence, massive, des forces armées et de sécurité postées auprès des bureaux de vote, qui auront fait pencher la balance. L’invocation des « grandioses » réalisations n’a pas convaincu les populations. L’implication, forte, de l’administration territoriale, qui s’est employée à « gérer » le scrutin, a prouvé combien la CENI n’avait pas de mains libres, sur le terrain, pour superviser les consultations électorales. Les lenteurs, dans la compilation et la diffusion des résultats, par ladite CENI, en sont une parfaite illustration. Le gouvernement et les démembrements de l’Administration ont montré leurs limites. Le Président doit tirer leçons, de tout cela, avant les prochaines échéances.

 

Pas concernés

Autre évidence : nombre de Mauritaniens  ne se sont pas sentis concernés par ce scrutin, préoccupés qu’ils étaient par leur quotidien, de plus en plus insaisissable. L’intérieur du pays reste tracassé par l’excessive timidité de l’hivernage. Début-Août, celui-ci ne s’est installé qu’en de rares contrées. L’inquiétude des paysans et des éleveurs est donc vive et les campagnes de sensibilisation pour un oui au nouveau drapeau et autres paroles de chanson ne l’ont guère apaisé. Autre constat, le Président s’est servi de « sa » campagne pour  tirer, à boulets rouges, sur l’opposition, rééditant, à quelques formules près, son discours de Néma. Un manque de fair play guère de nature à détendre l’atmosphère. En démocratie, même tropicalisée, on doit un minimum de respect à son adversaire. En s’opposant, l’opposition joue son rôle. Mais en l’occurrence de ce referendum, elle a été, non seulement, critiquée vertement par le Raïs mais a subi, de surcroît, un  déluge de lacrymogènes. Certains leaders ont même été molestés par les forces de l’ordre. Bavure ou ordre de maintenir une tension très éprouvante pour tous ?

Même s’il a réitéré qu’il ne modifierait pas l’article 26 de la Constitution, certains propos du Président laissent perplexe. Quelles sont les « imperfections » de notre loi fondamentale  qui devraient être élaguées ? Nombre de Mauritaniens – Majorité comprise – continuent à suspecter Mohamed ould Abdel Aziz d’ambitionner un troisième mandat. Sinon, d’user de passe-passe à la Poutine, pour revenir au pouvoir ou garder, à tout le moins, une solide mainmise sur celui-ci.

Au final, la campagne référendaire a bel et bien manifesté la grave fracture politique, voire sociale et économique qui tend à scinder le pays. Au cours de ses deux mandats, Ould Abdel Aziz n’a pas apaisé la scène nationale. L’a-t-il même voulu ? Ses affiches le prétendent, à l’instar des divers dialogues qu’il a orchestrés, mais le fossé n’a pourtant cessé de s’approfondir, avec son opposition dite « radicale ».  L’unité nationale qu’on rabâche aux gens continue à en pâtir. On en parle mais on ne voit pas, à ce jour, la moindre concrétion de cette prétendue volonté politique à pacifier les rapports entre les Mauritaniens. Certes, on brandit un taux élogieux de croissance. Mais le chômage des jeunes diplômés perdure, les prix ne cessent de grimper, l’éducation de sombrer et la santé de traîner ses virus. Pour toutes ces raisons – et d’autres encore, certainement –un dialogue politique s’impose. Le referendum n’y a pas concouru, c’est un douloureux euphémisme, alors que la Mauritanie s’apprête à vivre deux échéances cruciales. Son peuple, pourtant, à les franchir dans la paix et la sérénité. La sagesse le commande. Le pouvoir et l’opposition les entendront-t-ils ?

DL