Brakna–Amendements constitutionnels : De la nouveauté d’une campagne morose au renouveau de la fraude électorale

10 August, 2017 - 02:34

La campagne du referendum – plus exactement, pour le oui au referendum, tant toute autre alternative s’est vue interdite de publicité – n’a pas été particulièrement très animée au Brakna. A part quelques meetings, difficilement organisés, et quelques soirées, aux sièges des diverses tendances locales, c’est la nonchalance et la froideur qui ont prévalu. Pas vraiment, tant s’en faut, l’ambiance des grandes campagnes électorales auxquelles les gens étaient habitués. Il faut dire que l’argent ne coulait pas à flot. Il ne coulait « même pas du tout », pour reprendre les propos d’un cacique de ces fastes moments, au milieu des années 90, avec le démarrage du processus électoral. Selon cet expert en la matière, cette campagne 2017 fut, incontestablement, la plus « sèche » de toutes. Avec, tout d’abord, le mauvais choix de son agenda. Surtout pour une wilaya agropastorale comme le Brakna dont les populations sont, pour l’essentiel, des agriculteurs et des éleveurs, tous en attente impatiente et angoissée des pluies. C’est d’ailleurs l’argument-massue que les responsables politiques tentent de faire valoir, pour expliquer la réticence des gens et leur faible mobilisation pour les amendements constitutionnels. Un manque d’engouement ressenti dans les QG de campagne de toutes les moughataas où de rares communicateurs à la solde des gros promoteurs de la Mauritanie Nouvelle  se seront démenés, avec les moyens du bord, à faire contre mauvaise fortune bon cœur.

 

Pourtant, ils étaient là !

A l’instar de tous leurs pairs du pays, les cadres du Brakna étaient rentrés chez eux pour battre campagne. Leurs trois ministres (Equipement et transport, Défense et déléguée des Affaires étrangères)  qui coordonnaient la campagne, respectivement, à Kiffa, Atar et Nouakchott, n’ont jamais été aussi présents, via leurs relais locaux. Dans le département de Boghé, réputé celui comptant le plus grand nombre de cadres, notamment deux ministres, un ambassadeur, des généraux (retraités) et une grosse poignée d’autres hauts responsables, comme le trésorier général adjoint ou le premier vice-président du Sénat, la campagne de mobilisation n’a pas été à la hauteur. Les opérateurs n’ont, tout simplement, pas mis la main à la poche. Or, sans argent, rien ne va. Impossible, comme nous le rappelle l’adage, de faire des omelettes sans casser d’œufs. Surtout dans une ville où les idées réfractaires aux idéaux et principes de la Mauritanie nouvelle ont pignon sur rue, avec un groupe des jeunes, très actifs, qui ne  cachent ni leur hostilité ni leur opposition aux amendements constitutionnels proposés.

 

La caravane du général

Le général à la retraite Ndiaga Dieng, ancien directeur général des douanes et ancien chef d’état- major de la Gendarmerie nationale, a organisé, du 30 Juillet au 1er Août, une caravane de sensibilisation dans les communes de Boghé, Dar El Avia, Dar El Barka et Ould Birome. Il était accompagné des opérateurs politiques desdites communes et de cadres de Boghé, comme l’ancien SG du ministère de l’Intérieur et de la décentralisation, Macina Mohamed El Hadi, l’ancien directeur du Trésor de Nouadhibou, Daha Sy, le docteur Baba ould Hmeyed, dit Sy Baba, coordinateur du projet de la résilience à l’(in)sécurité alimentaire au Sahel/BAD ou le professeur Tourad Moktar. A chaque étape, les populations ont réservé de chaleureux accueils à la délégation. Et les responsables de ces communautés de souligner combien le général Ndiaga n’a cessé d’entretenir d’excellents rapports avec elles, notamment par les aides régulières que ses représentants apportent à leurs activités agricoles. Cette fois encore, le général a distribué des enveloppes aux coopératives féminines et aux organisations de jeunes, tout en appuyant la construction/réhabilitation de diverses écoles, sans oublier les dons en équipements agricoles, à quelques villages, et, partout, la promesse de faire parvenir leurs doléances au président de la République. Le 4 Août, la délégation a visité le village de Loboudou (commune de Dar El Barka) où le commissaire Ly Mamoudou leur a réservé  la surprise d’un important rassemblement populaire et d’une égayante démonstration de course de pirogues, dans un cadre particulièrement agréable, au bord du fleuve où arbres et hautes herbes entretiennent l’espoir des populations agropastorales de vivre, enfin, un bon hivernage. La caravane du général Ndiaga aura tombé bien à pic, à Dar El Barka, seule commune à n’avoir organisé aucun meeting populaire en faveur des amendements constitutionnels.  

 

Courageux président de bureau

« Le courage ne tue pas », dit le dicton. Samedi 5 Août 2017, le cortège de la coordination régionale du Brakna (autorités administratives et sécuritaires, responsable régional de la campagne, coordinateur des partis de la majorité et de l’opposition participante, etc.), s’ébranle de la wilaya pour la traditionnelle visite des bureaux de vote et s’assurer que « tout va bien ». Et, de fait, ça marche « comme sur des roulettes », dans tous les bureaux entrevus. Le hakem et le directeur régional de la campagne se permettent même, parfois, quelques apartés irréguliers, avec le président de bureau. La délégation entre dans la salle et s’informe du taux de participation. Mais au bureau sis à l’école 4 d’Aleg, son téméraire président refuse l’accès du local à la délégation :« Ce n’est pas conforme », explique-t-il ,« aux instructions que la Commission électorale nationale indépendante m’a données ». Mieux, il refuse de communiquer toute information sur le taux de participation, en déclarant qu’il ne le donnera qu’au responsable de la CENI, à l’heure prévue par la réglementation. Après de rapides concertations, le wali et ses collaborateurs décident de ne pas relever le président rebelle. « Inutile de susciter des réactions intempestives indésirables », auraient-ils convenu, selon une source de leur entourage.

 

Fraude massive

Jamais, de mémoire d’Alégois, on aura constaté une fraude aussi massive et évidente. Jusqu’aux environs de midi, les votants ne se sont présentés qu’au compte-gouttes. A peine quarante à cinquante, en plusieurs bureaux de la ville. Les responsables régionaux, notamment le commandant de la septième Région militaire et l’équipe de la campagne régionale, accompagnée des autorités administratives et sécuritaires, allaient et venaient entre les points de vote. Les responsables de la CENI ont fait l’objet de toutes sortes de pression, pour ‘’faciliter’’ le vote. Début d’une vaste opération de « nettoyage » de tous les présidents et assesseurs de bureau... Pour reprendre la main, consigne est donnée, aux responsables, de ‘’faire preuve de souplesse’’ pour  le bon déroulement du vote. Chèque en blanc, donc, donné aux activistes de l’UPR de toutes les tendances, pour rivaliser de fraude, dans les bureaux aux « comptes » de leur patron respectif. Il est alors devenu possible de voter sans carte d’identité nationale. Puis, bientôt, sans aucun document officiel ! Ni carte d’électeur ni carte d’identité. Puis, encore, possibilité de voter cinq à dix fois, pour une seule personne. Comble du comble à Bouhdida (vingtaine de kilomètres d’Aleg) où une seule et même personne aura voté pour tout son village, avec menaces au président du bureau, si jamais il tentait d’empêcher ça ! Un certain Ndiaye ould Yargueytt, venu de Nouakchott sans pièce d’identité ni carte d’électeur, même pas inscrit à Aleg, se voit autoriser, par ses amis, à voter quand même. Malheureusement pour eux, il vote non. Dispute. Récriminations. Rideau.

 

Le temps des 100% n’est pas révolu !

Le village de Goural est situé à sept kilomètres au Nord d’Aleg. Son bureau de vote a réussi à faire voter tous ses inscrits. Taux de participation : 100%. Son responsable, Bâ Ibrahima, est tout fier de l’annoncer à qui veut l’entendre. Mais ce n’est que de justesse que Goural a ravi la vedette au bureau du Carrefour dont le compteur s’est arrêté net à 99%. Comme le bureau est « compté sur » le maire d’Aleg, celui-ci n’a pas « joué », en passant la journée à « déloger » ses partisans afin de les mener au bureau, pour accomplir leur « devoir » citoyen.

 

Bye-bye et à la prochaine !

Maintenant que tout est fini, les villes de l’intérieur vont reprendre leur train de vie habituel. Les gens renouent avec leur quotidien. Le vrombissement des voitures de toutes marques s’est éloigné. Ainsi que les cadres. Les plus regardants d’entre eux ont attendu le lendemain du vote, pour procéder aux derniers réglages de leur départ vers Nouakchott. Mais la campagne n’a vraiment pas été fastueuse. C’est à peine si les plus accrocheurs ont réussi à décrocher quelques petites affaires. Même les directeurs régionaux et départementaux de campagne se plaignent  de ne pas avoir été gâtés, question « moyens », pour accomplir leur délicate mission. Comme après chaque joute électorale, cadres et élus repartent, en attendant la prochaine occasion de renouer avec le terroir et ses populations qui oublieront, généralement très vite, le sort que ces cadres et élus leur réservent, à quelques très rares exceptions, en période de soudure électorale. Bye-bye, donc, et à la prochaine ! Elle ne devrait pas tarder, puisqu’on évoque, déjà, la désignation/élection des conseils régionaux et, en cas de dissolution probable de l’actuelle Chambre, celle des députés de la nouvelle Assemblée nationale de la Mauritanie nouvelle. Ah, que c’est beau, que c’est bon, le renouveau de la nouveauté !

                    El Kory Sneïba