Dr. Kane Hamidou Baba président du Mouvement Pour la Refondation (MPR), membre du FNDU : ‘’Nous restons engagés pour le rejet d’une consultation référendaire faite au mépris de la loi fondamentale du pays’’

6 July, 2017 - 01:01

Le Calame : L’actualité politique du FNDU reste dominée par  le  projet de candidature unique pour la présidentielle de 2019. Un projet qualifié, par certains, au sein même du forum, d’ « illusoire ». Qu’en pense  le président  du MPR ? Une chance ou un handicap ?

Hamidou Baba KANE : Je vous laisse la liberté de votre appréciation mais, si vous voulez mon avis, les deux questions d’actualité, au sein du Forum, concernent le fameux référendum et la recherche d’un programme commun, pour l’alternance en 2019. La question d’une candidature unique n’est même pas à l’ordre du jour. Pour l’heure, nous nous attachons, principalement, à formuler une offre crédible qui puisse abréger les souffrances du peuple mauritanien et ouvrir des perspectives pour renforcer l’unité nationale, enraciner la démocratie et assurer, dans l’équité, un développement économique et social durable. Plus fondamentalement encore, ce qui est en jeu, aujourd’hui, c’est l’accord sur une gouvernance nationale et locale, dans le cadre d’un projet collectif. Savoir, maintenant, si le programme alternatif sera supporté par une, deux ou trois têtes, c’est une autre affaire. Nous veillerons et travaillerons à la rationalisation des candidatures mais à chaque jour suffit sa peine.

 

-Préparer une candidature unique pour 2019 signifie que le FNDU va participer à la présidentielle ; peut-être aussi aux municipales et législatives de 2018. Le fera-t-il sans dialogue avec le pouvoir ?

- Le Forum, surtout à travers son pôle politique, a vocation à participer à toutes les élections. Le boycott doit être l’exception, pas la règle. Les circonstances peuvent décider d’une attitude à prendre, face à l’impossibilité conjoncturelle de participer à telle ou telle élection. Il est cependant de l’intérêt du pouvoir, comme de l’opposition, de s’entendre sur les règles du jeu démocratique. A cet égard, il me semble que le Forum a clairement manifesté sa disponibilité à un tel dialogue.

 

-En ne s’engageant pas réellement et fortement dans ce référendum,  le Forum et, plus généralement, l’opposition dite radicale  ne risquent-ils pas de rater l’alternance de 2019 ?

- Nous n’établissons pas de lien, ni directement, ni indirectement, entre le fameux référendum et l’alternance de 2019. Cela dit, nous restons engagés sur  le rejet d’une consultation référendaire décrétée au mépris de la loi fondamentale du pays. Nous sommes, par ailleurs, décidés à rendre possible l’aspiration profonde du peuple mauritanien à une alternance en 2019.

 

-Le Forum n’aurait-il pas raté des occasions, en 2011 et 2016, en refusant de dialoguer avec le pouvoir ?

- Le FNDU a été fondé en 2013. Il n’est donc pas comptable des positions prises en 2011. Il est, en outre, inexact de dire que le Forum a refusé le dialogue avec le Pouvoir en 2016. D’ailleurs, avec le recul, on comprend aisément que l’objectif de celui-ci – imposer un troisième mandat – n’avait aucune chance d’aboutir,si le FNDU participait auxdébats. On se rappelle ainsi que le pouvoir, dans la dernière ligne droite de nos pourparlers avec ses instances, prit, contre toute attente, la tangente, en organisant « son » dialogue, avec des partenaires jugés beaucoup plus accommodants !

 

-L’autre équation que le FNDU doit résoudre reste sa participation ou son boycott du référendum reporté au 5 Août prochain. Il y a comme une espèce de flou à ce sujet.  Quelle est la position exacte du Forum ? Boycott actif ou passif ? Abstention  ou vote négatif ?

- Je vous en donne acte. Mais vous savez que le Forum est composé d’au moins quatre pôles, dont le politique composé,  lui-même, d’une douzaine de partis. Par conséquent, toute décision fait l’objet d’un processus de maturation. Nous avons le souci de préserver l’unité de nos rangs, surtout lorsqu’on est en face d’une consultation dont la procédure est manifestement illégale. Rassurez-vous déjà sur un point : le FNDU n’est pas abstentionniste. Nous travaillerons, tous, à l’invalidation du référendum, à travers un boycott actif. Mais qui peut le plus, peut le moins. Appeler à voter non est aussi une forme active de rejet du référendum et  c’est là  l’essentiel !

 

-Que pensez-vous des déclarations, prêtées au PM, selon lesquelles le pouvoir a délibérément refusé de développer la vallée du fleuve Sénégal ?

- Premièrement, j’observe que ces déclarations proviennent d’un organe de presse dont la notoriété est bien assise dans notre paysage médiatique. Deuxièmement, les propos prêtés au PM sont gravissimes, pour un homme en charge publique et encore en activité. Troisièmement, aucun démenti, ni de la part du PM, ni de ses services compétents, n’a été servi à l’opinion, en émoi légitime. Enfin, ces propos sont d’autant plus troublants qu’ils tendent à être confortés par la réalité. Je ne résisterais pas à la tentation de donner un exemple : Il suffit de voyager la nuit, sur l’axe Rosso- Kaédi, pour constater la différence, frappante, entre la rive droite mauritanienne, ses villages et campements, dans l’obscurité totale ; et la rive gauche sénégalaise où bien de petits hameaux brillent de mille feux ! Et, pourtant, le réseau de Manantali se situe bien dans la Vallée. Ce n’est, bien sûr, pas le moindre des paradoxes. Le diagnostic sur l’exclusion est archi-connu.

Mais l’essentiel est ailleurs : La Vallée n’est la propriété d’aucune communauté particulière. Toutes nos communautés nationales y vivent. Elle demeure le cadre le plus achevé de notre intégration nationale et de toute chance de développement harmonieux de notre société. A ce titre, elle mérite tous les égards. Vraies ou fausses, seul un gouvernement notoirement incompétent peut se permettre de faire le dos rond, face à des telles révélations !

 

-Ces déclarations interviennent peu de temps après l’adoption, par le gouvernement, d’une loi  punissant  les actes ou propos à caractère  discriminatoire, tandis qu’il ne cesse de vanter l’unité nationale et la cohésion sociale. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

- Nous aurions bien voulu voir le gouvernement joindre le geste à la parole, dans son apologie de l’unité nationale et de la cohésion sociale ! Il reste à savoir de quelle unité nationale parlons-nous. S’agit-il de l’unité du cavalier et du cheval ? Le doute subsiste, quand on sait combien et depuis tant le régime de Mohamed ould Abdel Aziz a perdu de vue cet objectif. Si les propos prêtés à son Premier ministre ne sont guère rassurant, on sait, par ailleurs, que nous continuons à traîner, comme un boulet à nos pieds, les conséquences des errements du régime catastrophique de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya.

Il est à craindre que cette loi punissant les actes ou propos à caractère discriminatoire n’ait été inspirée par le souci de s’attaquer, plutôt, à ceux qui combattent le racisme, l’exclusion et les discriminations de toutes sortes.

 

-Dans une pétition publiée jeudi 29 Juin, l’association des maires mauritaniens exprime son regret de voir la scène médiatique inondée par des « discours prêchant la haine, la discorde et semant la division au sein de notre peuple pacifique ». Après avoir condamné ces déclarations, l’AMM invite les pouvoirs publics à « s’opposer, avec la plus grande force que leur confèrent les lois,[…] à tous ceux ou celles qui se rendent coupables de discours racistes ou ethnicistes, ainsi  qu’aux media utilisés à cette fin ». Que vous inspire cette sortie ?

- Il faut, d’abord, s’attaquer aux pratiques racistes et ethnicistes. Ne confondons pas les causes avec leurs effets !  Vous savez, dans les temps anciens, il arrivait souvent qu’on s’attaquât au messager, lorsque le message ne convenait pas aux gouvernants. Ceux qui nous gouvernent ne sont pas portés à se regarder dans une glace. Et lorsque le miroir renvoie la face hideuse de notre société, faite d’injustices de toutes sortes, y compris l’esclavage et ses pratiques associées, c’est le miroir qu’on  brise…

 

-Certains  hauts responsables du gouvernement et du parti au pouvoir  ont  laissé entendre que  le  pouvoir en place survivrait à la présidentielle de 2019, date marquant la fin du second et dernier mandat constitutionnel de l’actuel président. Est-ce à dire que le FNDU doit faire le deuil de l’alternance à cette date ?

-Il faut y voir plutôt le désarroi du le camp de ceux qui le disent ! Ils se sentent perdus, en s’accrochant, désespérément, à un pouvoir sans représentation ni adresse précise. Voilà pourquoi se réfugient-ils dans des généralités douteuses.

 

-Depuis que le président de la République a décidé de passer outre le rejet, par les sénateurs, des amendements constitutionnels, objet du referendum du 5 Août, la haute chambre du Parlement  est entrée en résistance. Les sénateurs boycottent, non seulement, les membres du gouvernement et demandent à entendre certains,  sur certains dossiers,  mais ont décidé, de surcroît, de mener des enquêtes sur l’attribution de marchés de gré à gré  aux proches du président de la République et sur le patrimoine même de l’ONG Errahma, fondée par son  défunt fils…Que vous inspire cette guerre de tranchées ?

- Les sénateurs sont dans leur rôle. C’est une prérogative constitutionnelle que d’exercer la fonction de contrôle de l’action du gouvernement. Celui-ci est tenu de collaborer, au risque d’entrer dans une impasse. J’entends, bien sûr, que cela se passe dans un contexte pollué par la question du referendum. Il n’est pas souhaitable que les institutions de l’Etat s’en trouvent bloquées. Quoiqu’il en soit, la responsabilité incombe principalement au chef de l’Etat.

 

-Des manifestations de jeunes ont marqué le 1er Mai dernier, jour d’entrée en vigueur de nouvelles mesures visant à  réglementer la circulation urbaine et interurbaine. Presque 48 heures durant, ils ont brûlé des pneus, cassé des  voitures et autres commerces. Quelle lecture faites-vous de ces événements ?

- Ce qui se présentait comme une grève des chauffeurs, au lendemain d’un jour de fête, a vite tourné en émeutes qui ne sont pas sans rappeler celles de la faim, observées en d’autres lieux et d’autres temps. A l’origine de cette situation, des petits gestes (ceux d’une administration tatillonne) mais à grands effets, qui ont favorisé, un peu comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase, l’expression d’un ras-le-bol, face à une crise économique et sociale profonde.

Il est symptomatique de constater comment la ceinture de la Capitale a, spontanément, réagi face aux oukases administratifs. S’il faut regretter et condamner les violences, c’est bien l’injustice qui fait le lit du désordre.    

 

Propos recueillis par Dalay Lam