Questions de savoir pourquoi (au président Aziz)/par Mohamed Saleck Beheit

6 July, 2017 - 00:56

‘’Vous ne trouverez dans cet ouvrage, ni un style brillant et pompeux, ni aucun de ces ornements dont les auteurs cherchent à embellir leurs écrits. Si cette œuvre vous est agréable, ce sera uniquement par la gravité de la matière du sujet. Il ne faut pas que l’on m’impute à présomption, moi un homme de basse condition, d’oser donner des règles de conduite à ceux qui gouvernent. Mais comme ceux qui ont à considérer des montagnes se placent dans la plaine, et sur les lieux élevés lorsqu’ils veulent considérer une plaine, de même, je pense qu’il faut être prince pour bien connaître la nature et le caractère du peuple, et être du peuple pour bien connaître les princes.’’

(Dédicace de Nicolas Machiavel, offerte en cadeau au prince Laurent II de Médicis)

Monsieur le président, vous êtes-vous posé un jour la question la question de savoir pourquoi vos courageuses réformes n’ont pas porté en impacts positifs sur la vie des mauritaniens, ni permis de résoudre le problème récurrent de l’injustice ressentie au niveau d’une juste répartition de la richesse nationale ?

Vous êtes-vous posé un jour la question de savoir pourquoi vos grandes réalisations en infrastructures et dans des domaines sensibles comme la lutte contre le terrorisme, ne se sont pas traduites en contenus de retombées politiques à mettre à votre crédit, vous sont déniées par vos opposants et sont souvent occultées par vos partisans et vos communicateurs, quand il s’agit d’en faire référence ?

Vous êtes-vous déjà posé la  question de savoir pourquoi la dynamique de lutte contre la gabegie, amorcée par vous, dès votre arrivée au pouvoir, n’a pas renversé les tendances de la pauvreté, de l’inflation et du chômage. Et pourquoi elle n’a pas non plus jugulé les effets pervers sur notre économie, de la crise ambiante, dont l’érosion monétaire, la déconfiture de nos industries de pêche et le délitement de notre éligibilité à l’exportation aux normes internationale en la matière ??

 

Actions de sape

Vous êtes-vous posé une fois la question de savoir, pourquoi la confiance que vous placez en votre gouvernement et la stabilité que vous assurez à vos ministres, leur permettant de projeter leurs actions dans la durée, n’ont pas fait de votre régime un système structuré, capable d’absorber les secousses de parcours et de réunir les conditions de survie à la limitation des mandats ?

Vous est-il arrivé de vous poser la question de savoir, pourquoi le régime auquel vous avez donné les moyens d’être fort, respecté, aimé du peuple, moderne et performant, est devenu le talon d’Achille de vos programmes de développement, compromettant à la fois votre propre avenir et, sur le court et le moyen termes, celui de la nation tout entière ?

Vous êtes-vous posé la question de savoir, pourquoi certaines sphères de votre régime tentent aujourd’hui de vous frustrer de votre plus grand atout politique ; celui de caracoler, depuis plus de six ans, en tête du monde arabe dans le domaine de la liberté de presse ?

Savez- vous que les mesures de rétorsion à l’encontre de la presse, que l’on vous suggère de manière à peine voilée, consistent à vous enfermer progressivement dans une logique de répression, pour la simple raison que les démocrates, aidés en cela par la communauté internationale, s’opposeront à toute remise en cause des acquis en matière de liberté ?

Vous êtes-vous posé la question de savoir pourquoi aucune plume nationale, pas même parmi celles que vos conseillers en communication dédient à tous les sujets, sauf ceux de votre notoriété, n’a jamais daigné vous rendre justice en reconnaissant que vous avez réussi là où vos pairs africains et arabes ont échoué ? Vous avez, en effet réussi à réformer une armée nationale moribonde. Grâce à votre persévérance et à l’appui de certains de vos généraux, vous en avez fait un outil de développement, une armée professionnelle, compétente, républicaine, motivée, disciplinée et incontournable dans le G5 Sahel.

Vous êtes-vous posé la question de savoir, pourquoi l’opposition, censée servir de contrepoids à vos pouvoirs, pour le bien de la démocratie, s’est transformée en courants vindicatifs, pour la plupart racistes, extrémistes et sectaires, avec pour unique programme de vous poursuivre en justice dès la levée légale de votre immunité ?

Vous êtes-vous posé un jour la question de savoir pourquoi les fabuleuses richesses en or, cuivre, fer, poisson, agriculture, bétail et pétrole du pays, n’ont jamais pu venir à bout du processus de paupérisation structurelle de trois million de mauritaniens ? J’espère que le gaz connaitra un sort meilleur.

Connaissez-vous, monsieur le président, l’origine et les causes du revers que vous avez essuyé dans vos projets de moraliser les finances publiques. Savez-vous qu’il existe une corrélation entre ce projet et l’obligation de le doter d’un support en créant une synergie interactive entre, d’une part, les investisseurs, les douanes et les impôts et, de l’autre, les forces productrices, ouvrières et prolétariennes, les besoins en formation professionnelle du marché du travail et la nécessité stratégique de redynamiser et de moderniser l’enseignement technique ??

Vous est-il arrivé de tenter de comprendre, pourquoi la criminalité urbaine et les extrémismes, se sont étendus à tous les rouages de la société, délocalisant ainsi les indicateurs de prévalence dans ce domaine et rendant inefficaces, pour plus de dix ans  à venir,  les fichiers de suivi de la police ?

Vous est-il arrivé de remettre en cause certaines certitudes, élaborées à partir d’informations venant de personnes ou d’officines auxquelles vous accordez votre confiance ? Si tel n’est pas le cas, je vous conseillerais d’en faire une habitude de routine, tant que vous n’avez pas exorcisé la présidence, après le passage de ceux de vos conseillers formés au dur métier d’informer.

Savez-vous que certains de vos proches, amis et collaborateurs, agissent comme une centrifugeuse, éloignant de vous les forces vives qui, à l’origine, sont vos alliées naturelles et objectives ? Sous les actions de sape de cet entourage, dont celle perpétrée à travers la gestion du dossier du dialogue, votre régime ressemble désormais à un îlot détaché de son continent et, entrainé vers le large par les courants marins, perd chaque jour un peu plus, ses chances de trouver un port de salut.

Savez-vous, monsieur le que les plus grands ennemis potentiels d’un régime sont les hommes qu’il érige en mythes vivants et les hommes qui lui témoignent une admiration sans discernement, ni contradiction ?

L’heure est grave

Savez-vous que l’infidélité est le trait de caractère dominant chez deux types de personnes ; celles qu’on crée à partir de rien et celles qu’on affecte aux petites besognes et qui acceptent d’en assumer la misère ?

Et, enfin, savez-vous, monsieur le président, pourquoi votre idée hautement patriotique et singulièrement pertinente, d’organiser les retraités des forces armées et de sécurité dans un créneau porteur et répondant à leurs qualifications, a été déviée de ses objectifs initiaux et à qui profite l’OPA faite sur la MSP sa??

Monsieur le président, l’heure est grave. Pour le bien du pays, vous devez vous affranchir de certaines influences dont la nocivité est vérifiable aux défections et aux trahisons de personnes qui vous doivent jusqu’à leur propre existence politique. Vous devez aussi vous sevrer des discours inhibiteurs des thuriféraires et autres ‘’saffagas’’ (applaudisseurs), à l’origine desquels se situe tantôt l’ignorance (appels à vous introniser roi), tantôt les calculs cyniques et pernicieux (menaces de vous trainer en justice si vous refusez de briguer un troisième mandat).

En revanche, si vous voulez reprendre pied dans un environnement hostile, malgré les déclarations d’intention et les professions de foi en votre faveur, recadrer vos projets politiques et tirer profit des avantages dont vous disposez, vous devez essayer d’apporter avec tact et sous le sceau de l’urgence, des réponses à toutes ces questions.

C’est d’autant plus vrai, qu’avec les amendements constitutionnels qui semblent tant vous tenir à cœur et qui, il faut le reconnaitre, répondent aux aspirations d’une grande partie du peuple mauritanien, le projet politique que vous avez initié en 2008, est en train de muer en projet de société.

Or, un projet de société a de particulier qu’il est une œuvre qui dépasse toujours la dimension individuelle et émotionnelle de celui qui le porte. De ce fait, il ne s’accommode guère des calculs ponctuels, ni de médiocrité et encore moins de subterfuges, grossièrement érigés en mode de stratégies sectorielles où des profanes ont statut d’idéologues, en vertu d’une ‘’amitié’’ contestable à tout point de vue et qui ne dure que le temps de s’enrichir à vos dépends, avant de prendre le large.

Dans cet ordre d’idées, la vision qui semble être la vôtre et ses mécanismes de mise en œuvre, ne demandent donc pas de réformes en priorité. Ils nécessitent plutôt une restructuration axée autours de quatre préalables déterminants qu’il convient de réunir au plus vite : une bonne économie (gouvernance), une bonne diplomatie, un bon cabinet et une bonne communication.

Jusqu’à là et malgré le potentiel historique à votre disposition, ces quatre préalables ont cruellement souffert d’erreurs d’appréciation, de mauvais choix des hommes et d’une complaisance qui traduit certes votre bonne foi, mais dont vous avez payé le prix en terme d’efficacité et de non-respect des engagements électoraux.

A titre d’exemples, il y a l’erreur d’avoir débarqué l’ancien ministre des finances, Ahmed Ould Moulaye Ahmed, avec les conséquences qu’on connait sur le Trésor public et qui auraient provoqué l’irréparable dans ce département, n’eussent été la vigilance et la rigueur de gestion du Directeur des douanes, le Général Dah Ould El Mamy et de celui des Impôts, Ely Ould Teiss.

Il y a aussi l’erreur d’avoir confié la diplomatie et la direction du Cabinet du président de la République, à des professeurs, mathématiciens de surcroît, qui ne savent faire preuve d’aucun art ni talent, en dehors des amphithéâtres et qui, au plan politique et malgré las moyens dont ils disposent, ont perdu le contrôle des syndicats estudiantins face aux Islamistes et à la nébuleuse Nassérienne.

Il y a également l’erreur de ne pas s’être doté d’un dispositif de communication, apte à identifier les besoins du régime et de l’Etat en la matière, à analyser l’environnement cible et cœur de cible, à élaborer une stratégie de communication et à adapter les médias officiels aux contraintes exogènes spécifiques de l’information, pour faire passer les messages et contrer, de manière efficace et acceptable à l’aune démocratique, les campagnes orchestrées contre le pays.

Sur ce registre précis, l’AMI, la TVM et Radio Mauritanie sont des tares techniques, des gouffres financiers et du plomb dans les ailes de toute velléité de décollage économique et de bien-être social.

Avant de finir, permettez- moi un petit conseil, monsieur le président : n’acceptez pas que, sous votre magistère, la loi dont vous êtes le protecteur et les institutions que vous incarnez, soient utilisées pour protéger ceux qui contreviennent à leur esprit.

Je vous remercie

Mohamed Saleck Beheit